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L’étranger - Albert Camus
samedi 7 décembre 2013 par Fatima El Bouanani

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INTRODUCTION

L’étranger est un roman révolutionnaire dans l’histoire littéraire française et mondiale par le silence frappant qui a mené Roland Barthes à fonder une théorie de l’écriture, nommée Le Degré zéro de l’écriture. C’est une écriture neutre qui « se place au milieu de ces cris et ces jugements, sans participer à aucun d’eux ; elle est faite précisément de leur absence ; mais cette absence est totale, elle n’implique aucun refuge, aucun secret » [1]. Elle se veut blanche, innocente, amodale, indicative et libérée de toute sorte de servitude à un ordre du langage. Bref, c’est une écriture de journaliste. Camus est donc son précurseur puisqu’il a été le premier à l’inaugurer avec L’étranger, en utilisant un style de l’absence : l’écriture se réduit alors à une sorte de mode négatif dans lequel les caractères sociaux ou mythiques d’un langage s’abolissent au profit d’un état neutre et inerte de la forme ; la pensée garde ainsi toute sa responsabilité, sans se recouvrir d’un engagement accessoire de la forme dans une Histoire qui ne lui appartient pas . [2]

En lisant le roman un étonnement s’empare du lecteur, pour céder la place, ensuite, à une vive fureur contre l’insensibilité du protagoniste. Et tout en s’avançant dans notre lecture, on est la proie d‘une énorme confusion due à l’épaisseur d’un message secret qui passe comme un mirage entre les lignes, tantôt clair, tantôt insaisi, mais qui ne nous laisse guère indifférents. Et un flux de question nous envahit : Camus se contente-t-il dans son roman de peindre une réalité mortellement ennuyeuse et un héros animalement insensible ? Et ce silence, étranger à l’auteur de La Peste est-il arbitrairement utilisé ? Ou pour symboliser autre chose que la passivité d’une existence ? Quel est le vrai enjeu de Camus ?

L'auteur est le porte-parole de l'humanité tout entière, ses maux, ses peines et ses soucis à elle sont les siens. Souvent, et quand il se trouve condamné à garder le silence face à une injustice quelconque, il a recours aux symboles pour faire passer implicitement ce qu’il ne peut exprimer directement. On aurait donc deux histoires en parallèle, l’histoire explicite dégagée littéralement de l’œuvre et l’histoire sous-entendue qui règne lourdement sur le roman et qui lui donne sa richesse, son individualité et qui garantit le saisissement total du lecteur. C’est un répertoire de la vérité prévue par ces auteurs dotés de clairvoyance. On l’y garde en sûreté, guettant le temps convenable pour les mettre à jour ou attendant que l’on en décode les signes. Camus fait partie de ceux-ci, son silence n’est pas gratuit, il a une fonction symbolique comme le sont ses personnages, son histoire, et même son style. Ils sont tous au service de l’intention de l’auteur que l’on va déceler plus tard dans cette étude analytique.

Nous allons étudier en premier lieu les symboles des personnages et la signification de chacun, pour étudier ensuite la symbolisation du crime commis par le héros et enfin celle du procès.


DES PERSONNAGES SIGNIFIANTS

Chacun des personnages de L’étranger joue une fonction symbolique dans le roman. Ce ne sont pas de simples acteurs dont le rôle serait limité par les bornes de l’histoire, mais des acteurs qui invitent à de profondes réflexions pour en déceler la vraie signification. Meursault, Raymond, Marie, Masson et les Arabes sont donc des personnages à doubles fonctions qui, en tissant les fils de l’histoire initiale, suggèrent, par l’épaisse signification de leurs noms, leurs caractères et leurs rôles mêmes, une signification plus profonde et plus universelle.

MEURSAULT

Le héros du roman est le personnage le plus signifiant par la singularité de ses caractères et par sa fonction dans l’histoire. En effet, ce sont les premiers, les caractères, qui précisent son rôle et qui lui préparent les moyens pour l’accomplir. Il est bizarre, méconnaissant et matérialiste.

Un personnage "bizarre"

Meursault est un personnage bizarrement passif qui agit, non selon ses convictions personnelles, mais selon la commodité. Sa passivité nous donne l’impression que l’on est devant un robot minutieusement dirigé par une télécommande. Il ne sait jamais refuser, contrarier ou donner son avis. Il a accepté de se marier avec Marie parce qu’elle le lui avait demandé, et ne saurait le refuser à n’importe quelle autre femme. De plus, quand il a envie de se débarrasser de quelqu’un qu’il écoute à peine, il a l’air de l’approuver. Ses opinons ne sont guère basées sur un raisonnement logique, il n’est pas maître de lui-même. C’est l’absurde. C’est la dépendance totale dont il saurait habilement tirer profit.

Il est aussi un être pessimiste, sans ambition, d'ailleurs il les a perdues après avoir quitté ses études. C’est également pourquoi il a refusé une proposition de travail à Paris. Cela paraît incroyable pour un jeune homme de son âge, mais cette ville si éblouissante ne l'attire guère, il la trouve « sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les gens ont la peau blanche. » [3] Voilà comment il voit la capitale des rêves, Paris, et comment il voit le monde et la vie elle-même. Effectivement cette dernière n’a pas de sens et il y est indifférent.

Voilà en somme la mentalité paralysée de Meursault, mais lorsque la pensée s’absente, les sentiments la remplacent pour réaliser un certain équilibre. Le pire est que ceux-ci aussi sont absents chez notre héros, c’est un homme vide, sans âme, dont la froideur est le grand titre, il enterre sa mère avec toute l’insensibilité du monde. C’est un athée qui ne croit pas en un dieu qu’il ne voit pas, et garde un caractère taciturne et renfermé envers les autres et envers lui-même. Il est étranger à soi, et la vie ne le regarde pas, c’est effectivement pourquoi il garde le sang froid, même en risquant sa vie, après avoir été condamné à mort. Tout lui est égal.

Un méconnaissant

Meursault est un personnage froid, insensible et indifférent, on le juge mal dans le quartier, parce qu'il a mis sa mère à l'asile de vieillards, et l'a abandonnée à son sort jusqu'aux derniers moments de sa vie, mais cela lui paraît naturel puisqu'il n'a pas assez d'argent et puisqu'elle n'a rien à lui dire. Elle est inconnue pour lui, il ignore son âge. Et puisqu’elle n’a rien à lui dire, son rôle s’arrête là. Elle doit être retraitée et posée à l’écart comme toutes les vieilles choses. Les engagements familiaux s’anéantissent ici au profit des considérations purement matérialistes.

Contrairement à Salamano, le voisin qui reste fidèle à son chien dégoûtant par ses croûtes qu'il pleure chaleureusement, lui, il n'éprouve aucune affection envers l'auteure de ses jours, jetée à l'asile sans lui rendre aucune visite la dernière année de sa vie, parce que cela lui coûte son « dimanche - sans compter l'effort pour aller à l'autobus, prendre des tickets et faire deux heures de route. » [4]

C'est une muette réduite au silence et à la négligence au déclin de sa vie de la part de son chou de cœur, insensible à son sort. Insensibilité qui tient son apogée avec la mort de celle-ci. Nulle affection, nulle tristesse, juste une indifférence comme s'il n'avait aucun lien avec la défunte, et une anxiété, car il devait veiller péniblement sur l'enterrement, c'est une surcharge de plus. Et sans laisser couler aucune larme, sans faire les derniers adieux à la décédée, sans jeter aucun regard sur elle, il va l'enterrer comme on enterre une inconnue, sans même se rappeler les détails des funérailles, mais se rappelle seulement de sa joie de retour parce qu'il va se « coucher et dormir pendant douze heures » [5], pour continuer, le lendemain, à se réjouir de sa vie comme si rien ne s’était passé. D’ailleurs cette page a été définitivement détournée.

Un matérialiste

Le protagoniste a une nature telle que ses besoins physiques dérangent ses sentiments. Ainsi tout ce qui le tourmente, dans sa prison, ce sont des besoins d'ordre physique tels les femmes, les cigarettes et le sommeil. Pour lui, ôter à quelqu'un sa liberté, c'est le priver de toutes ces choses. Mais il a réussi à les surmonter tous, le désir des femmes par les souvenirs de toutes les femmes qu’il a connues ; les cigarettes en suçant du bois ; il est même arrivé à tuer le temps par le biais du jeu des souvenirs.

Les besoins physiques sont alors à l’origine de tous ses malheurs. Et comme il est bizarrement impuissant à les surmonter, il y cède aveuglément sans en considérer les conséquences. C’est alors que pour fuir les pleurs des femmes dans le cabanon, après la blessure de Raymond, il revient sur la plage sous le soleil brûlant. Et pour échapper à cette dernière et à la chaleur étouffante de la plage, il va revenir sur la source et tuer l’Arabe. Il a tiré le premier coup et il a attendu un peu, et sous l’influence de la plage rouge et du sentiment de la brûlure sur son front, il va tirer les quatre autres coups. Ces besoins physiques témoignent d’une puissance irrésistible sur lui, ils sont toujours là pour le porter sur toute autre chose, même dans les situations les plus décisives. C’est également le cas dans la scène du procès, il a mal suivi le juge dans son raisonnement, parce qu’il a chaud, et parce qu’il y a de grosses mouches posées sur sa figure. Et lors de la déclaration du jugement, une trempette d'un marchand de glace, qui a résonné jusqu'à lui, va l'égayer pour n'avoir qu'une seule hâte, que cette scène se termine.

Son corps a donc tout le pouvoir sur lui, et les sentiments n’ont aucune considération, ni envers l’auteure de ses jours, ni envers la femme qu’il a choisie pour passer le reste de sa vie. En effet, sa relation avec elle est purement physique. Elle ne l’aime pas, pour lui l’amour « cela ne voulait rien dire » [6].Ce sont les besoins physiques son vrai moteur. Et Raymond a su en profiter, il lui offre généreusement cigarettes, repas et vin pour s’assurer de sa servitude totale qu’il va utiliser malignement à son profit. Il devient son chien fidèle qui va jusqu’au bout dans l’obéissance aveugle. Pardon cela semble plus bas que l'animalité, car le chien, outre ses besoins physiques, réussit souvent à tisser des liens sentimentaux avec son bienfaiteur. Meursault n’en a pas, et n’écoute que son corps qui va le guider à commettre un crime. Mais pour lui, tuer pour '’argen,t '’est tout à fait naturel, '’où son indifférence à la terrible histoire du Tchèque, tué par sa mère et sa sœur pour des considérations purement matérialistes.

Meursault est un homme naïvement passif et froid, sans assise morale, ni sentiments humains, bizarrement insensible, purement matérialiste, sans reconnaissance envers celle qui lui a donné le jour, extrêmement égoïste, doté d’une rare servitude et ayant une aptitude naturelle à tout faire pour satisfaire ses besoins physiques sans en considérer les conséquences, il symbolise par là l’Occident ne pensant qu’à réaliser des privilèges économiques, suivant aveuglément Israël et prêt à mener des guerres pour la défendre.

RAYMOND

Le personnage le plus signifiant, après Meursault, et le plus influençant dans le sort de ce dernier est Raymond. Il lui obéit aveuglement et devient, entre ses mains, une pâte souple dont il peut faire ce que bon lui semble. Mais il a tout ce qu’il faut pour se garantir sa servitude totale, il est malin et comploteur.

Un malin

Raymond, le voisin de Meursault, est un menteur, il prétend que sa maîtresse profite de lui pour gaspiller son argent avec ses amies, les bijoux et même sur le loto, la vérité est tout à fait différente « on dit qu’il vit des femmes […] il n’est guère aimé » [7]dans le quartier. Il vient fréquemment chez Meursault parce qu’il l’écoute.

Il est aussi malin et infidèle, il voulait attirer Marie et « n’arrêtait pas de [lui] faire des plaisanteries […] elle lui plaisait, mais elle ne lui répondait presque pas. » [8] De plus, il dit à Raymond « salut vieux » et appelle Marie « mademoiselle ». Et lors de la visite au cabanon, alors que les autres sont descendus sur la plage, il reste seul avec la femme de Masson. Mais malgré son grand amour pour les femmes, il n’est guère pacifiste avec elles, il va frapper impitoyablement sa maîtresse jusqu’au sang.

Il est, de plus, un profiteur qui a su utiliser Raymond à sa guise, il ne pouvait rien lui refuser, même lorsqu’il s’agissait de commettre un crime, c’est un être violent qui cherche toujours les conflits et les disputes. Il est aussi têtu et veut toujours que sa volonté soit faite. Lorsqu’il a été blessé, il a voulu descendre sur la plage tout seul, et comme Masson et Meursault ont insisté pour l’accompagner, il s’est mis en colère et les a insultés tous.

Un tel homme n’a rien d’humain, c’est une âme basse, il a voulu tirer sur l’Arabe, et comme Meursault lui a conseillé de ne pas faire, puisque l’autre ne lui a pas parlé, il a voulu l’insulter et dès qu’il répondrait, tirer sur lui. À cette soif de sang, s'ajoute une non-reconnaissance même envers l'homme qui a dû tuer pour lui, il ne lui rend aucune visite en prison.

En somme, il a fait conjuguer tous les vices qui vont le préparer à jouer un sale rôle.

Un comploteur

Raymond a élaboré un plan avec beaucoup de génie et de malignité, Meursault ne serait qu’un outil intelligemment utilisé. D’ailleurs il saurait comment acheter son obéissance, il l'a profondément étudié et a conclu qu'il est un matérialiste dépourvu de toute affection, et a bien su en considérer le prix. Effectivement, un repas, du vin, et quelques cigarettes étaient suffisants, mais pour s'assurer de sa servitude, il lui « a offert une fine. Puis il a voulu faire une partie de billard » [9] et notre héros s’est laissé prendre. Il s’est appliqué à contenter Raymond, il n’a pas de raison de ne pas le contenter.

S’assurant que le fruit est suffisamment mûri, il passe à la deuxième étape, exécuter à la lettre sa stratégie, il lui demande d’abord s’il veut être son copain, et il accepte simplement. Puis il lui raconte qu'il a une maîtresse profiteuse qui a gaspillé son argent sur des choses peu importantes, et pour se venger il la bat jusqu'au sang. Mais le désir de se venger l’emporte toujours, et il a besoin de son aide pour mettre au jour une idée qui le tourmente depuis quelque temps, c’est de lui écrire une lettre, l’inciter à venir et après avoir couché avec elle, il lui cracherait au visage. Il le charge de l’écriture de la lettre. Ayant exécuté à la lettre le plan, une dispute s’est déclenchée chez Raymond entre lui et la fille arabe, et a nécessité l’intervention d’un agent qui gifle Raymond, jugé sauvage et inhumain par tout le voisinage. Il fallait que Meursault lui serve de témoin que la fille lui avait manqué, et c’est ce qu’il a fait sans hésitation.

Ensuite, il l'a invité à passer le week-end chez un ami, dans un cabanon près d'Alger. En vérité il avait peur d’un groupe d’Arabes parmi lesquels le frère de la fille. En arrivant sur la plage, il l'emmène vers une source. En le suivant, Meursault avait l’impression que son copain savait où il allait. Là-bas, ils ont trouvé les Arabes, Raymond a voulu exciter son type pour faire déclencher un conflit, et comme l'Arabe n'a pas répondu à ses fantaisies, il a fait garder le revolver chez Meursault qui va l'utiliser plus tard à tuer le même homme.

Par malignité de Raymond et par duperie de Meursault, celui-ci est tombé tout droit dans la toile d’araignée, exécutant une vengeance qui n’est pas la sienne, et subissant une condamnation sans issue. Bien que le témoignage du malin ait été en sa faveur, il a su tisser les fibres du complot tel que toutes les défenses du monde ne pourront démonter son innocence, la lettre à l’origine du drame était de son écriture et le témoignage au commissariat n’ont fait que lui enrouler la corde autour du cou. Raymond a réussi à avoir deux oiseaux d’un même coup, se montrer de son parti, tout en le faisant tomber dans un abîme sans issue.

Raymond est un être extrêmement malin, il a su comment profiter des points faibles de Meursault pour l’utiliser à son gré. Ainsi, et accédant à satisfaire les besoins d’ordre physique de ce dernier, il a pu se procurer son obéissance totale, et va réussir par là-même, en expert comploteur, à l’engager à commettre un crime pour lui assurer une sûreté définitive. Il symbolise Israël, réussissant à entraîner l’Occident à déclencher une guerre, qui n’est pas la sienne, pour instaurer la paix du pays sioniste.

MARIE

Marie Gardona est la maîtresse de Meursault, il l’a rencontrée sur la plage le lendemain de la mort de sa mère. C’était une ancienne dactylo de son bureau. La relation entre les deux a été purement physique, au moins de la part de Meursault, il a déclaré maintes fois qu’il ne l’aime pas. Pourtant, elle suscite ses désirs.

La pauvre devrait subir ses infamies, il ne se contente de lui déclarer à la figure qu’il ne l’aime pas, mais il explicite, en sa présence, sa fascination par la beauté des femmes passantes. C’est le comble de la misère, être attachée à un être insensible à ses sentiments, oui elle l’aime, si bizarre qu’il soit, peut-être à cause de cela et rien que cela. Ne sachant vraiment ce qui l'attend, elle irait plus loin et lui demanderait s'il voulait se marier avec elle, chose qu'il ne pourrait refuser, ni à elle, ni à n'importe quelle autre femme.

Le processus de torture va s’accentuer avec ce mariage suspendu à cause d’un crime commis gratuitement par le mari éventuel, ce qui entraînerait une arrestation. Elle n’a guère perdu d’espoir, et c’est la seule qui vient lui rendre visite dans sa prison malgré les obstacles, et qui fait de son mieux pour le sauver de la guillotine, elle a voulu témoigner en sa faveur, et comme le procureur a su habilement en tirer profit, elle s’est mise à pleurer. C’est le seul cœur qui bat pour lui. Mais la condamnation à mort était suffisante pour achever tous ses rêves. Son rôle de victime s’arrête là dans l’histoire, mais non dans l’esprit cruel de Meursault, il l’imagine donnant sa bouche à un autre.

Le prénom de Marie ne manque pas de signifiance, conjugué au nom de Gardona, et en faisant un jeu de déplacement de lettres, on obtient le mot grenade, et on connaît le symbolisme de ce fruit chez les Chrétiens, ses pépins symbolisent les perfections divines, l’image se clarifie. Est-elle le christianisme représenté par la vierge ? Et ce mariage à contre-cœur représente-t-il le mariage entre l’Occident et le christianisme imposé forcément ? A-t-il (et je parle toujours de l’Occident) bien représenté cette religion dans sa paix et sa tolérance ? N’est-elle pas sa victime comme l’est Marie ?

MASSON

Masson est l’ami de Raymond chez lequel ce dernier va inviter Meursault à passer les vacances avec Marie. Il vient, tous les week-ends et les jours de congé, à son cabanon au bord de la mer, même s'il n'est pas habile en natation. À l’arrivée des invités, ils ont trouvé à leur réception une femme aimable et hospitalière. Tout promet un congé génial, mais les choses vont tourner, Raymond, suite à un conflit avec un groupe d’Arabes, va être blessé, et les événements vont tragiquement se précipiter vers un crime, qui achève le rêve de ces moments de quiétude, et ouvre à jamais les portes de la misère de Meursault.

Masson est donc l’ami de Raymond. Il « y avait longtemps qu’ils se connaissaient et qu’ils avaient même vécu ensemble à un moment. » [10] C’est pourquoi il le soutient tout le temps, dans le conflit qui s’est survenu près de la source, Raymond s’est occupé de son type, lui de l’autre Arabe ; et après sa blessure, il l’a soutenu dans sa visite au docteur et a même essayé de le consoler en le faisant rire. Ce soutien ira plus loin, dans son grand souci de veiller au confort de son protégé, il va demander à Meursault de ne plus le contrarier.

Cet engagement de soutenir jusqu’au bout son ami est redoutable. Il nous conduit à nous arrêter un moment sur la signification de ce nom. Masser signifie réunir des soldats, des troupes en espace réduit. Mais c’est également ce que fait Masson : réunir les deux guerriers Raymond et Meursault, sur la plage où se trouve la source, la scène du conflit et du crime par la suite. Ce n’est pas tout, patientons un peu ! Masson vient de l'Anglais "Free Mason" qui signifie en Français le maçon libre ou la franc-maçonnerie. Et aujourd'hui est universellement reconnu, le rôle de soutien et d'appui que fournit cette organisation secrète, directement ou indirectement à Israël.

LES ARABES

Les Arabes commencent leur apparition dans le roman comme victime, et la finissent comme telle. La fille arabe, l'ex-maîtresse de Raymond, est jugée, selon ses prétentions, profiteuse qui s'empare de son argent pour la gaspiller sur des choses sans importance. La vérité est tout à fait contraire, c’est lui le grand profiteur qui vit des femmes. Pour se venger de ce gaspillage prétendu, il « l’avait battue jusqu’au sang. » [11] Mais il n’en a pas son content et il veut aller plus loin dans sa vengeance. Pour ce faire, il va élaborer un plan qu’il va suivre littéralement, l’inciter à venir, en lui écrivant une lettre, coucher avec elle et ensuite, lui cracher au visage.

Cette fille n'est pas la seule à souffrir de la cruauté de Raymond, son frère aussi serait sa victime, il a voulu le tuer avec son revolver, et sous la demande de Meursault de le prendre d'homme à homme, d'autant plus qu'il ne lui a pas encore parlé, il a voulu l'insulter pour le tuer dès qu'il répondrait. Le grand malheur est que Meursault lui-même ne va pas le prendre d’homme à homme, et va le surprendre allongé, et lui tirer dessus comme s’il exécutait une condamnation à mort.

Certes, les Arabes sont représentés comme victimes, mais ils ne vont plus baisser les armes, si inégal que soit le combat, et ne sont plus prêts, quelles que soient les contraintes, à renoncer à leurs droits. Ainsi, le groupe d’Arabes va intervenir pour défendre la fille arabe, outragée par Raymond. Une fois leur devoir accompli, ils vont se retirer doucement.

Les Arabes font leurs quelques apparitions dans des scènes de conflit, pourtant, ils sont paisibles. Allant prendre l’autobus pour la plage, Raymond attire l’attention de Meursault sur leur présence. Ils ont été adossés au bureau de tabac, en les regardant « en silence, mais à leur manière, ni plus ni moins » [12], que s’ils étaient des pierres ou des arbres morts. Raymond a prétendu qu’ils les ont suivis. Mais ils ont été au même endroit, regardant, avec la même indifférence, celui qu’ils viennent de quitter. C’est d’ailleurs lui qui cherche les conflits, quant à eux ils aiment mener une vie calme et paisible. C’était le cas dans la source, avant l’arrivée des deux parasites, et même après leur venue, rien n’est changé, ils ont continué à les regarder sans rien dire. Ils étaient calmes et presque contents, l’un « soufflait dans un petit roseau et répétait sans cesse […] les trois notes qu’il obtenait de son instrument. » [13] Puis, et peu de temps après avoir vu Raymond porter la main à son revolver, ils se sont cloués, à reculons, derrière le rocher.

Le décèlement de la signification de ces personnages dans le roman nécessite moins d’effort que pour les autres. Le nom Arabe avec une majuscule renvoie généralement à tous les Arabes, mais spécifiquement aux Palestiniens défendant leur territoire, les sources d'eau, et étant victime de l'alliance Israélo-occidentale, dans un combat totalement inégal, où ils refusent toute outrance ou capitulation.

Les personnages de L’étranger sont symboliques. Chacun d'eux renvoie à un acteur sur la scène politique mondiale : Meursault est l'Occident ; Raymond est Israël ; les Arabes sont les Palestiniens ; Masson est la franc-maçonnerie et Marie est le christianisme. Alors que l’on est arrivé à mettre au jour la signification et la symbolisation de chaque personnage, la question qui se pose, et avec insistance, quelle est la signification de chacun de leurs gestes et leurs actions ? Celle du crime qui serait commis ? Et celle de l’endroit qui serait la scène des événements les plus décisifs ?

---- LE CRIME : UNE GUERRE PAR PROCURATION

Albert Camus est habile en matière de symboles, et chacun de ses personnages symbolise un parti sur la scène politique mondiale. Raymond représente Israël, Meursault l’Occident et les Arabes les Palestiniens. Dès lors, et après le décodage de leur signification, il devient bêtement stupide de parler d'un simple crime, mais d'une guerre, celle israélo-arabe dans laquelle serait introduit l'Occident au profit d'Israël. De ce fait, deux histoires iront en parallèle, l’une renvoie à l’autre.

Raymond essaye d’abord d’attirer Meursault par des objets purement matérialistes (vin, repas, cigarettes). Celui-ci, sans assise morale, va le suivre dans une obéissance aveugle. Et c’est également le cas d’Israël, s’octroyant l’appui et le soutien de l’Occident par l’autorité de ses capitaux et de ses élites parvenant au pouvoir, partout dans le monde.

Raymond va ensuite demander à son ami de devenir son copain et de lui donner un coup de main pour se venger d’une maîtresse qu’il a connue, et avec laquelle il est en brouille actuellement. Et comme Meursault ne peut refuser, il accepte de servir son copain, en écrivant une lettre à l’ex-maîtresse, l’incitant à venir, par des termes d’amour et par un style affectueux, pour recevoir par la suite la vengeance la plus atroce de la part de son ex-amant. Comme Raymond qui croit avoir des droits sur son ex-maîtresse, Israël croit avoir des droits sur Palestine parce que ses ancêtres y habitaient autrefois. Elle va demander à l’Occident d’être son allié, comme elle demanderait son appui. La lettre écrite par la main de ce dernier n'est rien d'autre que les traités faits au profit d'Israël, commençant par la promesse Belfort, et passant par toutes les conventions établies pour la défendre.

Meursault serait ensuite invité à témoigner faussement que la fille avait manqué à Raymond. C’est également le rôle accompli avec réussite jusqu’ici par l’Occident, faire renverser les vérités, et le coupable devient victime et vice-versa. Il s’efforce de montrer Israël comme proie de la violence arabe et d’un projet de déracinement. Il devient son porte-parole dans toutes les réunions et les congrès internationaux.

Étant sûr de l'appui de Meursault, il essaierait de déclencher des conflits avec les Arabes, tout en essayant qu'il s'y enfonce, tantôt en attirant son attention sur leur présence près du bureau de tabac, prétendant qu'ils les guettent, tantôt en essayant de les provoquer, mais c'est vilain, d'autant plus que ses ennemis sont d'une paisibilité inexcitable, ils réussissent toujours à garder leur sang-froid et leur silence. Israël aussi cherche des excuses pour reconquérir le territoire palestinien, en se prétendant menacée dans son existence. C’est un enfant gâté et prêt à tout faire pour que ces désirs soient comblés. D’ailleurs il est sûr que sa mère, l’Occident, lui viendrait au secours dès qu’il commencerait à pleurnicher.

Au contraire de Raymond assoiffé de sang, les Arabes sont d’une paisibilité inaltérable, ils ne sont guère faciles à exciter. Ils ne quittent leur calme que pour se défendre ou se venger d’un outrage. Ainsi, ils surviennent sur la plage pour se venger de Raymond qui s’est mal comporté avec leur sœur. Les Palestiniens aussi gardent souvent leur sang-froid et réussissent à avaler leur rage, sauf lorsque leur honneur est offensé, ce qui est impardonnable. Le recourt des Arabes au couteau pour se défendre est un passage des Palestiniens à la résistance armée. Ayant une bouche et un bras ouverts, Raymond va revenir sur la plage pour se venger. En le suivant, Meursault a eu l’impression que son compagnon sait où aller. Ils sont arrivés, par la suite, à une source qui coule dans le sable derrière les rochers. Là-bas ils ont trouvé les Arabes calmes et presque contents. C’est exactement le cas pour Israël, elle sait ce qu’elle veut, l’eau, cette matière précieuse de l’avenir. Elle veut s'emparer de toutes les sources aquatiques du Moyen-Orient. Mais les Palestiniens étaient là les premiers, ils menaient une vie calme et paisible avant son arrivée.

Israël était sûr que cette terre ne supporterait pas deux adversaires, cette question d’existence nécessitait l’anéantissement de l’autre. Elle ne cesse de rêver d’une guerre de déracinement contre ses ennemis, chose qui n’est pas du tout facile face à la paisibilité extrême de ses adversaires. Mais rien ne semble impossible à sa malignité et sa puissance, elle va essayer d’exciter les Arabes pour les attirer à la guerre. C’est exactement ce qu’il a fait Raymond. Il« a porté la main à sa poche revolver, mais l’autre n’a pas bougé et ils se regardaient toujours. » [14] Il a voulu tirer sur lui, Meursault a pensé qu’en disant non, Raymond s’exciterait seul et tirerai,t certaine'ent. Il lui dit que l’autre 'e lui a pas encore parlé. Alors il veut l’insulter pour le tuer dès qu’il répondra. Et Meursault intervient une deuxième fois pour lui conseiller de le prendre d’homme à homme, et de lui céder son revolver pour l’utiliser si l’autre Arabe intervient. L’Occident est toujours prêt à imposer silence à qui veut soutenir les Palestiniens. Mais les Arabes, paisibles par nature, ont reculé, et les deux alliés sont rentrés chez eux.

La fatalité va conduire Meursault, de nouveau, sur la source, enivré et hypnotisé par le soleil et la chaleur. Il a remarqué que le type de Raymond est revenu seul. Il repose tranquillement sur le dos. Dès qu’il le voit, il se soulève un peu et met la main dans sa poche. Meursault serre le revolver de Raymond dans son veston. « Alors de nouveau, il s’est laissé en arrière, mais sans retirer la main de sa poche. » [15] Il pense qu’il n’a qu’à faire un demi-tour et tout sera fini. Et au lieu de se retirer, il fait fatalement quelques pas vers lui. « L’Arabe n’a pas bougé. Malgré tout, il était toujours assez loin. Peut-être à cause des ombres sur son visage, il avait l’air de rire. » [16] Mais enfin quelle absurdité ! Tuer quelqu’un parce qu’il semble rire ! C’est une justification pire que le crime lui-même ! Et quelle inégalité ! Un homme allongé contre un autre debout ; l’un recule, l’autre avance ; le premier avec une arme efficace (un revolver qui peut tirer de loin) le deuxième avec une arme primitive (un couteau). Cela traduit toute la situation, l’Occident puissant et riche, avec tout un arsenal bien développé contre Palestine, un pays pauvre qui essaie de se lever, avec une arme primitive propre à effrayer des oiseaux.

Une autre fois la fatalité va jouer son rôle, Meursault a fait un autre pas, l’Arabe a tiré son couteau dans le soleil, son étincellement a ajouté un coup à sa tête fiévreuse. Il a senti tout son être tendu, a crispé sa main sur le revolver, et a tiré « quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût. » [17]Voila c’est fait, un crime par le revolver de Raymond et une guerre par l’arme israélienne.


LE PROCÈS

Le crime commis par Meursault contre l’Arabe, avec le revolver de Raymond, près d’une source rafraîchissante, sur une plage au sable brûlant, est une guerre déclenchée par l’Occident contre les Palestiniens, avec une arme israélienne, pour s’emparer d’un pays riche naturellement de la matière la plus valeureuse à l’avenir, l’eau, dans le Sahara arabe. Meursault sera condamné pour son crime principal et pour les crimes préparatifs. Il sera accusé d’être un monstre moral et de commettre un matricide, et sera condamné à mort. Se rendra-t-il enfin compte de la cruauté de son acte ? Et réussira-t-il à se libérer de la tutelle du profiteur Raymond ?

UN MONSTRE MORAL

Meursault a commis son crime avec un sang froid qui a étonné même le procureur. Celui-ci a reconnu qu’il était devant un cas particulier. Le criminel est sans âme ni principes moraux, inhumain et a le cœur vide. Il est athée et ne croit pas à un dieu qu’il ne peut pas voir parce qu’il a un cœur aveugle. Il est de plus un pécheur qui meurt sans regretter son crime atroce.

L' instruction du juge montre qu'il a fait preuve d'insensibilité. Le lendemain de la mort de sa mère, il est allé à la plage où il a rencontré Marie, ensemble ils se sont réjouis, ont pris des bains, sont allés au cinéma, ont ri devant un film comique et ont passé la nuit ensemble. Il est insensible même à son sort, pendant la scène du procès, il n’a pas eu le "trac", par contre cela l’a intéressé de voir un procès, car il n’en a jamais eu l’occasion de sa vie.

Meursault est aussi un lâche, il n’a pas voulu aller chercher un agent pour sauver la fille arabe des mains du sauvage Raymond. De plus, il a contrefait les vérités en témoignant que c’était elle qui lui avait manqué. Cela paraît étrange, mais notre héros, vide sentimentalement et sans principes ni assise morale n'a rien de commun avec les humains. Rien que l’animalité ne peut le débarrasser de ses charges sociales et ses engagements envers sa mère dont il a espéré la mort. Effectivement tous « les êtres sains avaient plus ou moins souhaité la mort de ceux qu’ils aimaient. » [18] C’est un souhait tout à fait légitime quand ils deviennent un fardeau, au moins dans la conscience morbide de Meursault qui est allé jusqu’à légitimer le meurtre des proches pour s’emparer de leur argent. Ainsi, et en lisant, dans un vieux journal trouvé dans sa prison, le fait divers du Tchèque qui était parti faire fortune et est revenu après vingt-cinq ans. Pour faire surprise à sa mère et à sa sœur qui tenaient un hôtel dans leur village natae, il '’était présenté comme un client riche. Ne l’ayant pas connu, elles le tuaient et se suicidaient lorsqu’il leur avait révélé sa véritable identité. Cette histoire lui a paru naturelle.

Un tel être peut commettre un crime sans sourciller ni quitter son sang-froid. Le pire est de n'éprouver aucun repentir. Cela a suscité l’étonnement du juge et du procureur. Le premier a déclaré que les autres criminels pleurent toujours de remords, celui-ci a une âme endurcie, nul remords, juste un ennui. Le deuxième a conclu : « Le même homme qui au lendemain de la mort de sa mère se livrait à la débauche la plus honteuse a tué pour des raisons futiles et pour liquider une affaire de mœurs inqualifiable. » [19] Ce n’est qu’un« monstre moral. » [20]

UN MATRICIDE

Le protagoniste du roman a vécu avec sa mère, mais sans parvenir à la connaître. Il en ignorait l’âge. S’avançant dans les années, et gagnant la sagesse et le silence des vieillards, il l’a jetée à l’asile, son rôle s’arrête là, elle n’avait rien à lui dire et ne devenait qu’une charge pesante pour une âme purement matérialiste. Mais il s'est bercé d'illusions en croyant que le silence est un non-langage, alors qu'il vaut plus que la parole et traduit ce que ne peut traduire cette dernière. Lors de la seule visite qu’il a eue durant tous les mois de sa prison, il a remarqué qu’un jeune Arabe et sa vieille mère sont restés silencieux tout le temps. Ils ne se disaient rien, mais se regardaient fixement, alors que les prisonniers et leurs visiteurs parlaient à haute voix autour d'eux. Insensibles à ce brouhaha, ils continuaient leur dialogue silencieux, profitant de la courte durée de la visite pour faire un échange d’émotion inaccessible aux âmes aveugles comme la sienne.

Les considérations matérialistes sont donc prioritaires chez notre héros, et tant qu’il n’a pas eu d’argent et que sa mère a été usée et n’a rien eu à lui dire, l’asile semble être une solution tout à fait légitime. Il a même jugé qu’elle était heureuse là-bas. Mais la vérité est toute à fait contraire. Elle, selon le témoignage du directeur de l'asile, lui a toujours reproché cet acte et a souvent pleuré, d'autant plus qu'il ne lui a rendu que rarement visite. C’était une surcharge de plus qu’elle lui prenne le dimanche. Il a voulu jouir de sa vie sans aucun engagement envers celle qui lui a donné la sienne. C’est également pourquoi il ne dissimule guère le souhait de la voir morte.

Le vœu de Meursault a été exaucé, sa mère est enfin morte, mais est-il absolument libéré de ses engagements envers elle ? Pas encore. Une nouvelle fois, elle fait obstacle à ses projets. Il doit veiller à son enterrement. Elle dérange ses projets vivante et morte. « Ce n’est pas de ma faute » [21] disait-il souvent, ce n’est pas de sa faute que sa mère est morte, que sa vie va se modifier un peu pour accomplir un devoir purement humain, l’enterrement de sa mère, c’est de la faute de la morte elle-même. Elle ne devait pas mourir, ou, plutôt, ne devait pas'tre sa mère. Main ena't, l’ attend un fardeau': l’enterrement, et il va l’accomplir avec tout le calme du monde. Il a fumé, dormi et bu du café au lait « devant le corps de celle qui lui avait donné le jour. » [22] Et sans pleurer ni éprouver aucune affection, 'l va l’enevelir sous la terre, et part aussitôt l’enterrement fini, s'ns se recueillir sur sa tombe, comme un prisonnier récemment libéré. Il s’est enfuit avec sa vie suffisamment reportée et dérangée, pour aller s’en réjouir, le lendemain même. Mission accomplie, et il est actuellement libre de toupat s'engagement même moral. 'l est allé sur la plage prendre des bains, a établi une relation avec une femme et ils se sont rendus au cinéma pour se divertir, en regardant un film comique. La vie ne doit s’arrêter avec la perte d’une mère.

Sa mère avait vécu et était partie en silence. Mais son mauvais comportement envers elle ne pourrait passer ainsi. Il sera jugé tant pour son insensibilité envers sa maman que pour le crime, l’assassinat de l’Arabe. Ne l’avait-il pas vraiment tué par négligence et par méconnaissance ? Il est hors de doute qu’il songe à sa mort pour s’en débarrasser, comme il est fort probable qu’il aurait mis fin à sa vie si celle-ci s’était allongée. Il n’est guère contre l’assassinat des proches. C’était son avis dans l’affaire du Tchèque tué par sa mère et sa sœur pour son argent. D’ailleurs, c’est la mode de l’assassinat des parents. L’affaire qui suit la sienne dans le tribunal est celle d’un parricide. C'est une gradation remarquable, on ne se contente pas de les enfermer, mais, on les tue. Et notre héros a tué sa maman, sinon physiquement, il l’a assassinée moralement. Et c’est ce qui prépare les actes du meurtre réel de l’Arabe. C’était la conclusion du procureur qui s’écriait : « j’accuse cet homme d’avoir enterré une mère avec un cœur d’un criminel. » [23]

Cette scène traduit toute la vérité, l’Occident, dépourvu de son humanité, commet un crime contre l’humanité, une guerre illégitime, celle contre Palestine.

UNE CONDAMNATION À MORT SANS ISSUE

Meursault s’est trouvé face à une condamnation, l’assassinat d’un homme. Dans la scène du procès, il y avait énormément de gens, des journalistes et des envoyés spéciaux même de Paris. Cela symbolise l’universalisme du procès de l’Occident, commettant des crimes contre l’humanité. L’Histoire s’en chargera.

On a fait entrer l’accusé dans la salle du tribunal et on l’a encore fait décliner son identité et malgré l’agacement, il a « pensé qu’au fond c’était assez naturel, parce qu’il serait trop grave de juger un homme pour un autre. » [24] Ce serait vraiment grave de juger l’Occident à la place d’Israël, mais si cette dernière parvenait par sa malignité extrême à en abuser, cela au moins ferait débarrasser le monde d’une agressivité aveugle et idiote.

L’accusé a été condamné pour son insensibilité envers sa maman vivante et morte, vivante en la mettant dans un asile, et morte en l’enterrant avec une extrême froideur. C’était son premier crime qui a préparé les actes du deuxième, l’assassinat de l’Arabe. Pour le premier, il n’a eu rien à dire. Et pour le deuxième, il a voulu se défendre, mais la cause qu'il a donnée, le soleil, a suscité les rires. Et malgré la bonne plaidoirie de l’avocat, pour laquelle il a reçu les félicitations de ses collègues, il a été condamné à mort. Il doit mourir parce qu’il n’avait « rien à faire avec une société dont [il] méconnaissait les règles. » [25]

La sentence est donc prononcée. Maintenant que sa vie est en jeu, il cherche en vain une issue. Peut-on éviter la mort ? Et quelle serait la solution ? Une évasion ? Et même en réussissant à s’évader, être abattu en pleine course par une balle est un luxe interdit. La machine de la guillotine pourrait-elle tomber en panne ? Quel est le nombre de ceux qui ont échappé à la machine ? Ah ! La machine ! Elle est posée à même le sol, contrairement à celle de la Révolution de 1789 où l’on doit monter un échafaud. Les héros ont droit à l’ascension en plein ciel, à l’élévation. Ils ont vécu en héros et doivent mourir en héros. Lui, il n’est que criminel, vivant et mourant dans la bassesse. Vraiment le déclin de l’Occident, exactement comme ses gloires, n’a rien de grandeur. Sa fin serait comme celle de Meursault,« on était tué discrètement, avec un peu de honte et beaucoup de précision. » [26]

UNE PRISE DE CONSCIENCE TARDIVE

Au début de sa détention, Meursault se pensait libre, il songeait à être sur une plage et ne prenait pas les choses au sérieux, se croyant en train de jouer. Il lui a fallu quelques mois pour se rendre compte de sa vraie situation. C’est la visite de Marie qui l’a situé réellement dans l’histoire, il est prisonnier et privé de sa visite tant qu’ils n’ont pas été mariés.

Dans le tribunal, un jeune journaliste qui le regardait attentivement lui a donné l’impression d’être regardé par lui-même. C’est à partir d’ici qu’il va voir les choses différemment. Il s’est rendu compte qu’il était intrus dans cette affaire, et il a raison, l’Occident est intrus dans le conflit Israélo-arabique. Et pour la première fois depuis des années, il a eu envie de pleurer, en constatant combien il a été détesté par tous ses gens. L’Occident aussi ne sème que la haine par sa politique contre les Palestiniens.

C’est vraiment étrange ce qui lui est arrivé. Pour la première fois, il a senti l’envie d’embrasser un homme, devant Céleste témoignant en sa faveur, d’ailleurs c’est un être céleste comme l’indique son nom. Mais enfin c’est de sentiment qu’il s’agit ici. Notre ami parvient enfin à regagner sa sensibilité. À vrai dire, ce n'est plus une condamnation, c'est plutôt une purification. Il gagne en humanité et va reconnaître que toute la ville recomposait pour lui « un itinéraire d’aveugle » [27] . Se débarrassant de son aveuglement, il va se rendre compte aux derniers moments de sa vie qu’il avait fait un mauvais choix en prenant le parti de Raymond, « Qu’importait que Raymond fût mon copain autant que Céleste qui valait mieux que lui ? » [28] Ce n’est que plus tard que l’Occident se rendra compte de l’absurdité de sa décision de suivre aveuglément Israël.

L'étranger, l'insensible et le froid, qui ne quitte jamais son calme, qui accepte tout et n'ose jamais refuser ou contrarier et pour qui tout est égal, va se révolter contre l'aumônier au déclin de sa vie. Il réussit, non seulement à regagner ses sensations et ses sentiments, mais aussi sa bonne volonté. Il n’est plus étranger, mais un homme sûr de lui qui sait exprimer ses avis et même les défendre.

LA MORT EST UNE LIBÉRATION

Meursault menait une vie froide et sans éclat, tout lui était égal. Il vivait étranger à soi-même. N’arrivant à comprendre ni la vie ni les gens qui l’entourent ni soi-même, il vivait en absurdité totale. Et comme il n’avait aucun but dans la vie, il suivait aveuglément le malin Raymond qui l’avait engagé à tuer un Arabe, pour se trouver enfin face à une condamnation à mort. C’est en risquant de perdre la vie que l’on comprend sa vraie valeur. À partir de ce moment, il a commencé à acquérir des qualités qu’il n’avait pas. À sa froideur extrême, il est devenu sensible et éprouve les sentiments humains, la joie et la tristesse, le dégoût et la connaissance envers les autres.

La sensibilité n’est pas la seule qualité gagnée par le condamné à mort, mais aussi sa raison et sa clairvoyance. Après avoir été dirigé minutieusement et déjoué avec habileté, il commence à voir clairement et réussit à acquérir un esprit critique qui accepte ou refuse selon un raisonnement logique. Il regrette les fautes du passé ainsi que son obéissance aveugle à Raymond.

Dans les derniers moments de sa vie, il s'est révolté contre l'aumônier qui insistait pour le voir. C’était vraiment incroyable, le calme, le froid et l’indifférent sent le sang couler abondamment dans ses veines et lui monter à la tête. Et l’image se renverse, il était mort, il revient à la vie. Ce n’est guère une mort, c’est plutôt une résurrection. C’est en croyant tout perdre que l’on gagne tout. La résurrection du héros provoque une résurrection du roman tout entier. On constate un passage du style indirect au style direct, des phrases courtes et simples à des phrases longues, complexes et riches d'adjectifs, d'un vocabulaire simple ordinaire à un vocabulaire raffiné et littéraire avec des mots recherchés. On sent aussi un changement du style qui devient plus rapide, la chaleur parvient jusqu’au lecteur pour lui rappeler la résurrection totale qui se produit dans le roman tout entier.

Vraiment on n’exerce la vie qu’en la perdant, qu’en se libérant de ses exigences. Il comprend maintenant pourquoi sa maman s'est donné un fiancé à la fin de sa vie, car la mort est la vraie vie. Quant à lui, il commence à savourer les plaisirs de la vie, et pour la première fois, il aperçoit« La merveilleuse paix de cet été. » [29] Il est actuellement attentif ,à 'ous les détails comme un exilé qui revient à son pays natal après une longue absence. Enfin l’étranger regagne sa patrie.

Ce grand Camus, expert en symboles, réussit toujours avec sa clairvoyance à déceler les choses, l’Occident ayant la corde au cou, ne peut se libérer de la tutelle d’Israël qu’en mourant. D’où la signification du nom du protagoniste du roman Meursault. Il se compose de deux parties : "meurs", c’est le verbe mourir à l’impératif ; "sault" semble insignifiant, mais en modifiant l’ordre des lettres, on obtient "salut". Le tout est "meurs pour retrouver ton salut". C’est avec le déclin de l’Occident que la paix règne sur la terre.

Maintenant qu’il a connu le goût de la liberté, il n’a plus peur de la mort. Le roman s’achève avec cette déclaration : « il me restait à souhaiter qu’il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu’ils m’accueillent avec des cris de haine. » [30]

Meursault est jugé pour son crime aussi bien que pour ses caractères et son comportement avec sa maman. Son égoïsme, sa passivité, sa lâcheté, son esprit matérialiste, sa soumission à ses besoins physiques qui le mettent sur un pied d'égalité avec les animaux, et son aptitude à être tributaire sont son vrai crime ou plutôt les motifs de ses deux crimes, car, et avant d'assassiner l'Arabe, il a tué sa maman, sinon physiquement il l'a achevée moralement, en la jetant dans un asile. Du coup, une condamnation à mort est la sentence la plus méritée dans son cas. Mais à vrai dire, il a été condamné à la vie, se rendant compte de toutes ses fautes antérieures et parvenant à les dépasser, il acquiert des caractères humains, mais aussi sa liberté. Il symbolise par là l’Occident, qui cédant au procès de l’Histoire et étant condamné au déclin pour ses crimes contre l’humanité, gagnerait par là même sa liberté en s’échappant de la tutelle d’Israël.


CONCLUSION

Rien n’est gratuit chez Camus, tout est signifiant, les personnages, les noms, le lieu, les événements, l’intrigue et même le style, le vocabulaire et le rythme de la narration, tout est porteur d’une épaisse signification qui constitue la richesse du roman le plus célèbre de l’histoire littéraire, le plus lu, faisant l’objet du plus grand nombre de thèses et d’études.

Ce qui nous saisit dans le roman est une chose subtile, inaccessible à la parole, aux mots. C’est peut-être l’ambiguïté qui y règne et qui nous rappelle toujours que l’on est devant un message ingénieusement codé, et que pour déceler la vraie signification, il faut chercher la symbolisation de chacun des éléments du roman. L’ayant décodé, une autre histoire se fournit à nous, en plus de l’histoire initiale du roman. C’est l’histoire du conflit israélo-palestinien qui relate une situation inégale où l’offenseur, suffisamment puissant, reçoit l’appui pour anéantir le défenseur.

L’absence est le grand trait du roman et y joue un rôle très important, il accomplit une fonction expressive. Elle est la caractéristique du protagoniste, mais s’accentue avec l’absence du narrateur qui prend une certaine distance du héros et de l’histoire qu’il raconte avec la neutralité d’un journaliste présentant un article de presse. Et l’histoire de Meursault devient un fait divers sur un journal ou un périodique, celle du conflit israélo-arabe et de l’appui occidental devient un article politique largement détaillé. L’absence dans le roman n’est pas l’exclusive du héros et du narrateur mais aussi celle de l’auteur, absence de ses réflexions, de ses idées et de ses expériences personnelles qui ne vont réchauffer le roman qu’après la scène du meurtre, dès la scène du procès, plus précisément, et alors nous débarrasser de l’extrême froideur du protagoniste et des événements qui parviennent jusqu’au lecteur. Cette chaleur marque la résurrection du héros, de la narration et du roman tout entier.

À cette absence expressive, il faut ajouter un silence non moins significatif et non moins pesant, mais non plus gratuit, et bien qu'il ait un côté négatif puisqu'il relate la situation de Meursault et symbolise par là même le silence de la communauté internationale face aux injustices d'Israël envers les Palestiniens, encouragé par la bénédiction occidentale, il n'est guère un défaut ou un inconvénient, par contre, c'est une qualité, c'est la langue des personnes avancées dans l'âge et ayant une certaine expérience de la vie, et celle des êtres dotés d'une clairvoyance et ayant une vision du monde et qui savent se taire. Il est donc un zèle non donné à n’importe qui. Les personnages silencieux dans le roman sont les victimes de Meursault, sa mère et les Arabes.

Camus nous a habitués de ne rien laisser à la chance, et de ne rien utiliser arbitrairement, tout lui est significatif, et le titre n’échappe pas à cette norme. Le mot "L’étranger" est porteur d’une lourde signification, il désigne Meursault étranger à lui-même d’abord, au monde ensuite par ses bizarres caractères et à la vie elle-même puisqu’il n’a récupéré son humanité et sa sensibilité qu’en étant sur le seuil de la quitter. C’est en ce sens un expatrié ou un exilé qui regagne son pays après un long voyage, la mort est son pays natal, la vie est son exil. Et comme on a doubles histoires, doubles rôles et doubles significations de chacun des éléments du roman, le titre aussi a une double signification, il désigne l’Etranger ou l’Occident, étranger au conflit israélo-arabe, mais qui insiste à s’y mêler.



Notes :

[1] Roland Barthes, Le Degré zéro de l’écriture, Editions du Seuil, 1953, p.56

[2] Ibid

[3] Albert Camus, L’étranger, Edition Gallimard, folio PLUS, 1942, p.47

[4] Ibidem, p.11

[5] Ibidem, p.22

[6] Ibidem, p.40

[7] Ibidem, p.32

[8] Ibidem, p.52

[9] Ibidem, p.42

[10] Ibidem, p.56

[11] Ibidem, p.34

[12] Ibidem, p.52

[13] Ibidem, p.58

[14] Ibidem, p.59

[15] Ibidem, p.61

[16] Ibid

[17] Ibidem, p.62

[18] Ibidem, p.67

[19] Ibidem, p.95

[20] Ibid

[21] Ibidem, p.9

[22] Ibidem, p.91

[23] Ibidem, p.96

[24] Ibidem, p.87

[25] Ibidem, p.103

[26] Ibidem, p.112

[27] Ibidem, p.96

[28] Ibidem, p.121

[29] Ibidem, p.121

[30] Ibidem, p.122





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Messages

  • Je vous fais part de toute mon indignation sur le commentaire fait samedi 7 décembre 2013, par Fatima El Bouanani sur l’Etranger de Marcel Camus.
    L’analyse littéraire pourtant intéressante se termine à la fin de chaque paragraphe par un jet de venin sur Israël ; il s’agit de propos antisémites édifiant au décours d’une analyse littéraire d’un classique.
    Camus a écrit son livre en 1942 soit 6 ans avant la création de l’état Hébreu et du conflit israélo-palestinien.

    Je vous serais reconnaissant de supprimer de votre site cet article ; il ne vous sera pas difficile d’en trouver un plus objectif.

    • Bonjour,

      je viens de prendre connaissance de votre réaction.
      Effectivement cette note de lecture est très orientée, ceci dit elle n’insulte personne, elle émet simplement une opinion que vous ne partagez pas.

      Vous pouvez bien entendu contester cette analyse et dire pourquoi elle vous semble injustifiée. Le fait que l’auteur interprète l’oeuvre de Camus au regard d’une situation qu’il ne connaissait pas me semble une première réponse, mais n’a-t-on pas le droit d’interpréter les œuvres au regard de l’actualité, les exemples ne manquent pourtant pas ?

      Bien cordialement

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