>Et c’est bien pour se dégager de l’étroitesse d’un langage et "y échapper" qu’ Aragon libère la parole dans une litanie d’injures et d’insultes qui "scintillent sur la page" comme dans Le con d’Irène, nouvelle qui fut censurée à l’époque.
Valéry Molet écrit qu’ Aragon "est pris dans la griserie d’innover, de détruire le roman par ses propres moyens" et ces moyens ont partie liée avec un érotisme débridée où "son sexe est une plume" et "le désir libéré de toute sociabilité".
Et Valéry Molet d’avancer qu’Aragon est cet "écrivain du volcan, du tonnerre et de la plaisanterie qui merdoie, car tout est toujours à recommencer" et de poursuivre en écrivant "C’est un bouquet de volcans comme les obus d’Apollinaire sont des mimosas en fleurs". Et de reprendre cet aveu d’Aragon "Je suis le suicidé vivant", voilà le sésame mortifère qui ouvre l’infini car "l’univers est haïssable", reprend Valéry Molet et de citer encore Aragon qui qualifie "Les Français de sacs à larmes".
Et dans ce dialogue avec l’outre-tombe, Valéry Molet, au diapason d’Aragon, de dézinguer la littérature qu’il traite de "pute éhontée" ou de "morale de métro" !
Si Les aventures de Jean-Foutre la Bite d’Aragon trouvent grâce à ses yeux, Valéry Molet n’en regrette pas moins que l’écrivain, quelques années plus tard, "ne sera jamais plus ni pamphlétaire ni drôle : il ne sera plus que murmuration de roses..."
Et alors, a-t-on envie de lui répondre, n’est-il pas plus admirable que ces vers :
Connaissez-vous la rose-lune
Connaissez-vous la rose-temps
L’autre ressemble autant à l’une
Que dans le miroir de l’étang
L’une à l’autre se reflétant"
La défense de l’infini doit-elle nécessairement faire exploser le langage dans une dérive verbale ? La beauté mourante de ce monde ne peut-elle pas être saisie aux marges de l’infini et éternisée dans la magnificence absolue d’un poème.
Bien évidemment, nous sommes plusieurs à l’intérieur de nous-mêmes et il appartient au lecteur de choisir entre la part d’ombre ou de lumière d’un auteur. D’ailleurs, Valéry Molet nous donne une clé pour ne pas enfermer la poésie dans une définition restrictive. Il affirme qu’il est impensable de poser des questions à la poésie car "elle est burinée à l’inconditionnel" et de s’insurger contre "les amoureux de la culture" bien évidemment autoproclamés. Nul doute que dans son essai, Valéry Molet cherche une figure tutélaire qui renvoie à son oeuvre personnelle particulièrement sombre pour lui faire écho dans la déréliction d’un langage qui casse les codes et fait sauter tous les verrous mais la poésie est bien plus que cela, elle est transcendance et laisse jaillir ce cri des profondeurs qui nous vient du fond des âges en ne cessant jamais de nous ébahir. Enfin l’auteur de résumer ainsi sa pensée "Un écrivain ne saurait réussir" et pourtant l’extrait du poème d’Aragon cité plus haut, nous invite à réenchanter ce qu’il nous reste d’âme...

Françoise Urban-Menninger