Cet ouvrage qui aurait pu paraître rébarbatif au premier abord pour certains lecteurs peu férus d’histoire s’avère être un véritable trésor sur le plan littéraire tant le style relevé conjugue le savoir et la saveur (sapere) en renouant avec l’étymologie latine commune de ces deux termes. Les trois voix, qui alternent au fil de ce récit, confèrent à cette lecture une approche théâtrale qui maintient l’attention, voire le suspens, même si l’on sait d’entrée par la voix d’un "hussite, frère en Christ" que Jean Hus finira sur le bûcher. Car on se passionne pour ce personnage hors norme qui, malgré l’insistance de ceux qui le supplient d’abjurer ses écrits, refuse de se rétracter et préfère "Plutôt aller à la mort pour la vérité du Seigneur Jésus-Christ qui lui accordera une joie éternelle parmi les Bienheureux", rapporte le fidèle hussite dans une lettre adressée au seigneur de K. en Bohême.
Ce témoignage trouve un écho dans la version qu’en donne le cardinal d’Ailly, l’éminent théologien, à un médecin qui est venu l’assister à son chevet. Celui-ci relève "l’obstination" dont fait preuve Jean Hus car l’essentiel pour lui n’est autre que de mettre fin au Schisme afin d’assurer pour l’Eglise "un avenir plus serein".
De fait, la fin annoncée de "l’hérésiarque" Jean Hus, même s’il qualifie son procès de "mascarade" semble être pour le cardinal d’Ailly, avant tout un mal nécessaire, voire un mal pour un bien. On ne peut s’empêcher d’être horrifié par une telle prise de position et de propos d’autant plus qu’une troisième version émane de l’antipape Jean XXIII, alias Baldassare Cossa, dépravé notoire, manipulateur perfide sans foi ni loi, qui sauve sa peau malgré son passé entaché de turpitudes avérées. Il les relate sans pudeur dans un monologue totalement désinhibé, qui tranche selon Jacques Wallet avec "l’habituelle langue policée du Saint-Siège" et met dans le même temps en lumière l’hypocrisie de l’Eglise dont Jean Hus avait dénoncé la corruption reconnue par l’antipape lui-même "Quel embarras ce matin, quand les deux ribaudes avec lesquelles j’avais passé une nuit de débauche on été surprises au sortir de mes appartements ! Il fallait voir les regards canailles de certains de mes gens et les regards offusqués de la plupart. Le respect que l’on me doit est mis à mal par ma propre faute".
Ce livre dont chaque voix propose un autre regard prend à témoin le lecteur et lui donne à découvrir les coulisses du concile de Constance. Très documenté, cet ouvrage, se dote en outre d’une langue subtile et imagée, parfois haute en couleur, qui restitue l’atmosphère d’un temps révolu mais qui ranime sous les mots l’émotion à la lecture de la condamnation à mort de Jean Hus pour avoir refusé de croire en la transsubstantiation, l’on songe à Galilée, et la description "du pauvre corps carbonisé du Maître toujours enchaîné au mât qui avait été dressé pour le supplice", bien évidemment, soulève en nous l’indignation et la révolte face à cette barbarie orchestrée par l’Eglise.
Et Jacques Wallet de faire un rapprochement imparable et éclairant dans son épilogue entre le bûcher de Jean Hus et celui de jeanne d’Arc à quinze ans de distance pour conclure "qu’ils furent les marques au fer rouge d’un Moyen-Age à l’agonie".
Nul doute que Trialogus ne peut laisser indifférent, ce livre interpelle le lecteur qu’il soit croyant ou non car toutes ces voix d’outre-tombe résonnent en nous dont celle du supplicié qui finit par embraser le coeur de l’Europe...

Françoise Urban-Menninger