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Que ce soit doux pour les vivants - Lydia Flem

Editions du Seuil - 2024

vendredi 6 décembre 2024 par Alice Granger

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Lydia Flem est l’enfant-miracle de parents auxquels sa naissance a permis de survivre au trou noir du trauma de la Shoah. Alors, les objets, les meubles, la vaisselle, les bijoux, les vêtements qu’ils lui ont laissés, et parfois des mots comme celui glissé dans une boite à couture et des écrits qu’elle trouve après leur mort, lui racontent, font vivre par-delà leur disparition, l’amour très intense qu’ils avaient pour elle. Objets qui témoignent du grand écart entre leurs vies là-bas où c’était la mort programmée monstrueusement et leur vie retrouvée d’après, qu’ils devaient recoudre, recoller, cicatriser. Des objets, archives vivantes, parmi lesquels il y a des films où Lydia Flem se revoit enfant heureuse, avec ses parents, qui transmettent à leur fille l’énergie miraculeuse de la vie, pour qu’elle l’incarne.
C’est après la mort de son compagnon que Lydia Flem écrit ce livre. Elle l’évoque : « Tu considérais comme une chance inouïe d’avoir entre les mains les textes profonds et limpides de tes aînés ». C’était un homme qui dirigeait une collection, « La Librairie du XXe puis du XXIe siècle », qui se faisait un honneur d’accompagner ses auteurs afin de les faire accoucher de la meilleure version possible de leurs livres. Donc, précieux était pour lui ce que celui qui écrit laisse dans la bibliothèque, et « Il faut que ce soit doux pour les vivants », avait-il dit. Doux comme le récit du passage du flambeau de la vie la joie au cœur de savoir que des vies nouvelles la vivraient toujours comme la victoire de la vie sur la mort ?
Lydia Flem rappelle qu’elle avait déjà été confrontée à la transmission, lorsqu’elle avait dû vider la maison de ses parents (elle en avait fait des livres). Elle aurait voulu qu’ils lui disent par testament ce qu’ils voulaient qu’elle garde d’eux. C’est-à-dire, ce qu’eux voulaient laisser d’eux. La différence entre la loi et l’amour. Ce que ceux qui ont disparu ont décidé de laisser donne le sentiment d’une présence. Est-ce celle de cette continuité de la vie, par-delà la mortalité, et ceux à qui le flambeau a été passé sentant la responsabilité de réussir à en faire vibrer à la fois la beauté et la réussite portée plus loin, à charge de le transmettre à leur tour ? Elle avait décidé de transformer l’héritage de ses parents en dons multiples, pour réparer le monde, comme si à son tour elle transmettait. « Je recevais en donnant. Je donnais pour recevoir ». Elle écrit que le deuil, s’il est un moment de grande douleur, est aussi une chance, car c’est une occasion de métamorphose. Elle se pose la question : les morts, qu’offrent-ils aux vivants « comme supplément de vivre » ? Serait-ce de se poser à son tour la question de ce qu’on veut transmettre pour avoir vraiment la sensation, - en transmettant le flambeau de la vie - de vivre infiniment plus ardemment sa propre vie, pour témoigner en la faisant résonner de toutes ses cordes combien elle « aura été » vivante, combattant envers et contre tout pour vivre ?
Chaque matin, chaque jour, autour d’elle, il y a les objets, les meubles, qu’elle a gardés de ses parents. Des verres, de l’argenterie, des vases précolombiens, des couverts, de la vaisselle en porcelaine blanche, chacun de ces objets ayant une histoire, racontée par sa mère, son père. Des bijoux, venant par exemple d’une grand-tante morte déportée à Auschwitz. Mettant sa bague, Lydia Flem se demande si elle porte le poids du destin tragique de cette ascendante, ou bien par ce bijou, sa vie à elle devient-elle une revanche, ou mieux lui donne-t-il un surcroît de vie ? Ce bijou (cette bague qui un jour fut volée par une pie, mais aussi Lydia Flem n’a cessé de la perdre puis de la retrouver) d’une ascendante victime de la Shoah viendrait-il mettre entre ses mains le flambeau de la question du pourquoi d’une haine si violente à l’égard du peuple du Livre qu’elle a conduit à l’Holocauste, ce sommet de la monstruosité humaine, une question à laquelle jusqu’à présent la réponse s’est toujours dérobée, comme des mots manquants ? Justement, dans son livre, il est tellement question du livre laissé « pour que ce soit plus doux pour les vivants ».
Ces objets sont, chacun, des récits racontant la tragédie d’ascendants juifs déportés ou fuyant le régime soviétique, assassinés en chemin, rarement bienvenus au sein des populations locales, aux gueules de métèque, de Juifs errants. Ce sont des objets ambassadeurs. Des meubles ramènent dans la pièce où ils sont maintenant les conversations de jadis, lorsque ses parents recevaient des amis polyglottes passant d’une langue à l’autre. Il ne s’agit pas pour Lydia Flem de faire de sa maison un musée des ancêtres, mais, on l’entend, de recevoir en transmission le témoignage de chacun d’eux à travers les objets, vaisselles, meubles, bijoux, livres, vêtements. Y compris en retrouvant dans la maison familiale des objets de sa propre enfance. Son père lui témoignait de ses souvenirs d’enfant juif exilé à Hambourg, où il devait s’efforcer de ressembler à tous les autres gamins. Sa mère témoignait de son engagement dans la Résistance. Sur l’un de ses bras, il y avait un double tatouage de chiffres à l’encre bleu, le premier en tant que non Juive, le deuxième en tant que Juive. Des dentelles, ouvrages raffinés, témoignent d’un savoir-faire, d’un savoir-dire, car le vocabulaire pour dire les points est d’une précision remarquable, imagé et poétique.
L’écriture comme un abri, après le deuil. Rester avec un corps qui, avant, était réconforté par un père. Qui lui avait fabriqué une petite maison en tôle rose et bleu, et seulement maintenant, alors qu’il est parti, elle lui trouve une place, près de la table où elle écrit.
Lydia Flem se demande comment nommer l’expérience du deuil d’après le deuil. Si ce qui n’est pas nommé existe. La vie qui dure après la mort, quelque chose d’impalpable qui s’est pourtant transmis ? La sensation indéfinissable d’être enveloppée, habitée, la surprend, c’est un état qui pour elle n’est ni présence, ni absence, ni mémoire, ni oubli. Sentiment irrémédiable d’une durée. Serait-ce parce que, à travers ces objets qui sont des témoignages de vie, voire des leçons de vie, de combats pour vivre et s’adapter à des conditions tragiques, un fil d’Ariane de la vie vivante s’est transmis, qu’un ensemencement de vie s’est accompli en elle pour que sa propre vie se batte comme ces ascendants l’avaient fait ? Une forme nouvelle de vie, la sienne, fait écho au lien brisé. Le deuil devient doux. Deuil qui a pour effet de faire reconnaître à « je » « sa fragilité et l’éphémère de la vie ». Mais donne toute la place à notre vie, comme les ascendants s’étant retirés disant, c’est à toi de jouer maintenant l’art de vivre sur la scène du monde, l’ensemençant en même temps. Accepter la perte car « de tout notre être nous aspirons à une forme de continuité qui nous offre un lien durable réinventé ». Le deuil créatif se poursuit sans fin. Les ascendants laissent un humus nourricier sur terre pour les vies nouvelles, et les vies nouvelles qui s’en nourrissent doivent être, en vivant, à la hauteur des prédécesseurs. Ainsi, ils vivent en héritiers de la vie. En l’incorporant psychiquement. Sa présence est généreuse par-delà de son absence. Elle est douce au vivant qui perpétue la vie.
Lydia Flem, à propos de l’aliénation du silence après l’Holocauste, et en particulier la difficulté pour les survivants de la deuxième génération de vivre en leurs noms propres, pense que cela vient du fait qu’ils ne trouvent pas de mots personnels pour vivre leur vie sans porter le poids du passé. Serait-ce parce que les mots ont toujours été absents pour dire enfin le pourquoi de cette haine génocidaire qui est passée monstrueusement à l’acte avec la Shoah, et qui a surgi d’êtres humains, qui a été une monstruosité humaine ? Que manquent les mots d’explication de la part de ces humains criminels ? Des mots qui aillent plus loin que le discours antisémite, un récit de la haine de l’humain pour l’humain. La haine a été toujours là pour les Juifs errants, les Juifs regardés comme des métèques. Mais comment ça a commencé ?
Pas de traces de ce commencement, de cette dualité originaire comme entre frères ennemis mortels, dans les correspondances intimes retrouvées dans les maisons vidées. Sous Napoléon, les registres racontent juste que les Juifs n’avaient pas de nom de famille ni de prénom fixe. Lydia Flem, prise d’un immense malaise à Lyon, ville d’où sa mère fut déportée, a besoin d’archives pour retrouver les noms d’ancêtres partis en fumée. Pour rendre hommage à des morts partis sans sépulture. Elle est saisie non seulement par la monstruosité des génocidaires nazis, mais aussi par la monstruosité humaine, se disant que tout être humain peut devenir sanguinaire, « ivre de l’amour de la haine ». Elle veut retrouver le dossier – l’écriture – prouvant que sa mère était entrée dans la Résistance. Elle fut décorée. Elle veut rencontrer sa mère comme elle ne l’a jamais rencontrée, c’est-à-dire une « microhistoire de la Shoah ». En étant non pas la fille, mais l’adulte qui veut savoir. Affronter le traumatisme en héritage. Besoins d’archives, de photos, de lettres, d’inscriptions pour l’avenir. Non pas pour le devoir de mémoire, mais pour la continuité de la mémoire. La Shoah a-t-elle voulu gommer des pages du Livre du peuple du Livre, pour dire que l’objet de la haine venait de là ? D’où la recherche des archives, des traces, des récits à travers des objets, pour restituer les pages manquantes ? La mère de Lydia Flem avait connu Paul Celan juste avant la guerre, celui-ci était amoureux d’elle, mais elle avait préféré un ami à lui. Elle imagine écrire une lettre à Paul Celan, ayant appris sa fin tragique, où elle lui parle de sa mère : « Je m’adresse à toi, Paul/qui as parlé pour ceux qui ont perdu leur ombre… Elle portait des cheveux d’or, et tu l’as aimée/… La meute n’était pas encore venue/Coaguler les sens… Pardonne-moi, Paul, de t’écrire, mais je n’ai/personne/D’autre à qui m’adresser/Tu es la Rose de Personne…/Tu l’as aimée, elle en aimait un autre…/Elle voulait oublier les insultes…/Se cacher dans la langue de la France…/à l’abri d’elle-même, cesser d’être juive…/Je suis née d’elle, et de celui qu’elle a choisi…/Tu écris :/D’une clé qui change/tu ouvres la maison où/tournoie la neige des choses tues…/Ouvre-moi cette maison, Paul. /Apprends-moi la perte et l’écart/Apprends-moi à couper le lien/Et à le renouer de nouveau/Et que vienne le ressaisissement/ TOI, SOIS COMME TOI, toujours ». Voici les mots les plus importants : « la maison où tournoie la neige des choses tues ».
En 2022, elle a accès à un enregistrement fait par sa mère, filmé aussi, en 1993. Elle est vêtue aux couleurs de la France. Née en Allemagne, raconte-t-elle, elle a une enfance douce et ensoleillée, aimée de ses parents et grands-parents, elle est allée dans une école juive, et puis, en 1933, la famille quitte précipitamment Cologne, son oncle ayant été convoqué par la Gestapo et battu. Départ pour Strasbourg, où ils ont pu vivre, travailler, s’intégrer d’autant mieux qu’ils n’étaient pas les seuls réfugiés. Cette mère avait très bien vécu l’immigration, elle avait trouvé que la France était un pays merveilleux, d’autant plus que son père, qui connaissait ce pays, lui en avait raconté beaucoup de bien. Plus tard, à Tours, elle s’intègre très bien, est une très bonne élève, citée en exemple comme une étrangère meilleure qu’un élève français : de quoi, on imagine, faire jaillir la jalousie, par cette capacité incroyable de s’adapter à un pays étranger, de saisir mieux que les « autochtones » ce que ce pays offre comme accueil nourricier, parce que la question de la sédentarité se trouve dans la parole et est vitale ? Mais la haine du sédentarisé contre le peuple du Livre sans cesse déraciné ne pourrait-elle pas trouver là, dans le jaillissement d’une jalousie d’enfant à l’égard de l’élève étrangère beaucoup plus brillante, le début du « pourquoi » manquant qui a conduit à l’effroyable génocide ? En 1939, tous les Allemands sur le territoire français sont arrêtés, car censés être un danger pour la nation, même si eux était une famille de très bonne réputation à la mairie, et que le père était très estimé. Il y avait des ordres. Donc, déportation dans les Pyrénées et libération en 1940, avec l’armistice. La mère de Lydia Flem témoigne qu’elle s’identifiait totalement à la nation française, son père s’était engagé, portait l’uniforme militaire français, avec le sentiment d’être valorisé. Dans ce témoignage, elle frappe, la reconnaissance envers la France, le pays qui accueille, telle la gratitude pour la sensation restée virginale d’une découverte de la terre natale après le traumatisme de la naissance, traumatisme se réitérant de déracinement en déracinement. Partie avec des camarades à Marseille, entre 1940 et 1942, la mère de Lydia Flem raconte avec un enthousiasme fou, étant donné la situation désastreuse de l’Occupation, combien elle avait vu quelque chose de formidable, des gens faisant des bouchées de fruits avec des raisins, des dattes, des noix, des amandes, et les vendaient. Des choses en nombre infini, et par surprises, même dans le temps le plus inquiétant, réussissaient à faire vibrer sa joie, ses sens. Revenue auprès de ses parents, ils ont fait du commerce, rentable, avec ces pâtes de fruits, mais les Allemands sont venus occuper la zone libre et ce fut fini. La mère de Lydia Flem est entrée dans la Résistance. Hélas, elle se fit prendre par la Gestapo, a subi la torture de la baignoire, a essayé de donner le moins de renseignements possible. La Gestapo va fouiller sa maison, elle rafle tout ce qu’elle peut, peu de temps après la mère de Lydia Flem voit une des femmes de la Gestapo porter une de ses robes. D’abord, elle a de la chance, une femme SS la désigne pour faire le ménage chez elle, elle est ravie, comme si, très douée pour la vie, un rien l’enchantait alors que sa situation est terrible. Une énorme coupe de pêches lui a fait tellement envie, l’a enivrée. Sachant que si elle en prenait une ce serait sa mort, elle se rattrape sur le sucre, qui n’est pas compté, qui lui donne des forces. Sens pratique vital inné, de survie ! C’est Barbie qui décida de la déportation. La mère de Lydia Flem avait trouvé par terre un insigne de la Croix-Rouge, elle l’avait mis dans sa poche – « au cas où ? », instinct de survie toujours en alerte maximale, et elle avait acquis des compétences en secourisme chez les Scouts -, et elle est arrêtée avec cette veste. Elle fait partie du dernier convoi pour Auschwitz. Elle y arrive comme non juive. Ils sont emmenés dans les baraquements près des fours crématoires, l’odeur âcre est insupportable, puis soudain elle pense à son insigne de la Croix-Rouge, et elle se met à prendre soin des gens paniqués. Elle a pu être inscrite sur une liste de médecins et d’infirmières. C’est le miracle dans cet enfer, alors qu’elle est déjà nue, prête pour la chambre à gaz, c’est la vie plutôt que la mort. Elle avait su anticiper le pire en ramassant par terre l’insigne. La suite est bien sûr très dure, très peu de nourriture, la maladie, l’absence totale de solidarité entre déportés, vols de pain. Très peu d’humanité. Elle pense qu’elle a pu tenir grâce à sa formation de scout et de résistance au parti communiste. Elle a un moral du tonnerre et en donne aux autres, ceci malgré son état déplorable de santé. Le 18 janvier 1945, la guerre est finie, mais pas pour eux. Evacuant le camp, c’est la marche dans la neige, le froid, des cadavres jonchant les routes, elle a tenu parce que d’autres lui ont donné du sucre. Là, il y a de la solidarité humaine. Croix-Rouge norvégienne. Pour la première fois, des colis. Ceux qui se sont précipités sur la nourriture trop vite en sont morts. Plus tard, dans une infirmerie américaine, tout est aseptisé. Aidée par son français, bien que n’ayant pas de papiers français, elle est dirigée vers Paris, Hôpital La Pitié Salpêtrière. Première chose : la désinfection.
Lydia Flem pense à son enfance sur les genoux de cette mère, et maintenant c’est le corps de cette mère qui lui raconte des vicissitudes terribles, que les chiffres imprimés sur le bras certifient, corps battu, affamé, humilié, dont la mort avait été industriellement préméditée. Contraste terrible avec les robes de soie de cette mère, et pourtant, elle a pu les porter joyeusement, après l’horreur, leçon transmise à sa fille de la force de vie plus forte que la mort. Lydia Flem sent une faille dans son propre corps, et pourtant, cette mère avait eu en elle la force de vivre au-delà de ce trou de la civilisation, au-delà de cette pièce cachée de la maison, la chambre à gaz. Lydia Flem a peur de ne pas avoir assez nommé, dans son livre, les choses et les sentiments, terrifiée par le fait d’être née « d’une survivante sortie de l’enfer du monde dit civilisé ». Elle se dit que ses parents souffraient d’un syndrome post-traumatique, et que ce trauma l’atteignait, s’était incorporé à elle comme c’est le cas pour tous les enfants de déportés. Lorsqu’elle était enfant, ce qui n’était pas nommé n’existait pas, personne n’en parlait, alors, n’avait-elle pas tout pour être heureuse ? Puis il y a eu Elie Wiesel, Primo Levi, Claude Lanzmann, d’autres.
Le père de Lydia Flem fut détenu comme prisonnier politique russe dans un camp de travail en Bavière, pendant 38 mois, entre 1942 et 1945. Il craignait plus que tout d’être pris de fou rire lors de l’appel. C’était un adolescent impertinent. En captivité, il réapprit sa langue maternelle, le russe. Il ne s’est pas plus découragé que la mère de Lydia, en camp. Où il y avait des ateliers, il récupérait des tas de choses, et les échangeait contre du pain avec des Allemands qui voulaient des jouets pour leurs enfants. Lydia Flem se demande aussi, à propos de son père, comment il avait fait pour rester aussi joyeux, tendre, bienveillant, débordant de créativité. Leçons de vie plus forte que la mort, transmises avec celles de sa mère, à leur fille.
Au terme du livre, Lydia Flem se demande si ses parents auraient approuvé qu’elle l’écrive. Alors, elle a rêvé d’eux, apparaissant dans une gare, lui faisant un signe d’approbation, et elle s’est sentie en paix.
Un livre qui a touché beaucoup d’autres endeuillés. Elle parle bizarrement d’un sujet tabou, à propos de ce livre. Pourquoi ? C’est un livre transmission des leçons de vie plus forte que la mort que ses parents, parce qu’elle a voulu d’eux quelque chose qui reste, ont ensemencées en elle parce qu’ils étaient tous les deux doués pour la vie, et l’ont prouvé en traversant l’enfer de la Shoah. Lydia Flem, née de la Shoah, née après le génocide, le crime nazi contre l’humanité, avait tant rêvé la nuit de rendre un nom, un visage, une histoire, à chaque déporté. Elle l’a accomplie, en écrivant, cette transmission de la mémoire. Afin de « combler l’évidemment dans la suite des générations ». Ce qui a été thérapeutique, témoigne-t-elle, « c’est la réception de ce récit de soi devenu partagé, partageable ». En effet, la réception de ce livre par les lecteurs « a métamorphosé mon intérieur comme personne ne pourrait s’en douter ». (Elle parle de son livre « Comment j’ai vidé la maison de mes parents »).
Il fallait oublier sans oublier. Sa mère disait, lorsque Lydia était enfant, qu’il fallait témoigner, sa terreur était que l’oubli recouvre les horreurs commises. Tandis que son père s’opposait à son injonction : pour survivre, il fallait oublier, opposer au meurtre nazi un projet de vie en revanche sur eux, une vengeance contre l’anéantissement. Lydia a longtemps porté en elle cette double injonction paradoxale. C’est ce qui la fait écrire. Sa mission inconsciente étant de faire le deuil qu’ils n’avaient pas pu vivre, prisonniers d’une mémoire impossible et d’un impossible oubli. Elle s’aperçoit après-coup qu’il y avait un livre enfoui dans ce livre, qu’elle portait en elle depuis toujours mais qu’elle n’osait pas écrire en toutes lettres : le livre de la deuxième génération de survivants après la Shoah. Paradoxalement, fallait-il d’abord se souvenir, retrouver la mémoire empêchée par le traumatisme de s’éteindre dans l’oubli, « pour pouvoir ensuite véritablement oublier et s’apaiser ».
Alice Granger



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