Les Editions du Cerf - 2024
jeudi 4 juillet 2024 par CalciolariPour imprimer
L’évangile de la criminologie
En lisant Alain Bauer
C’est un évangile apocryphe qu’il faut lire. C’est l’évangile contenue dans l’ABC de la criminologie d’Alain Bauer, dans sa nouvelle version augmentée de 2024. La première édition était de 2016, publiée par Les Éditions du Cerf. C’est un double livre : un dictionnaire des mots-clés de la matière et une anthologie de ses écrits pivots, à partir du XVIIIe siècle à aujourd’hui.
C’est un évangile apocryphe parce que depuis deux cents ans la logique du crime reste un mystère pour ses experts. D’ici vient la fleuraison de matières qui enveloppent la criminologie et qui sont l’anthropologie criminelle, le droit pénal, la science pénitentiaire, la psychologie, la psychiatrie et la psychanalyse du crime, la biologie du crime, la sociologie criminelle… L’introduction donne les éléments pour entendre le panorama criminel, qui compte aussi la « criminalistique » : médicine légale, police scientifique, psychologie judiciaire.
C’est donc un effort considérable d’écrire en pédagogue la base de cette discipline, qui porte en soi les termes du débat civil planétaire. Le mythe ? Comment répondre à l’acte de Caïn ? Et l’exégèse est déjà interminable : c’est quoi le crime, qui définit le crime, qui stigmatise le criminel ?
Ce que Alain Bauer, dans son esprit encyclopédique, ne prend pas en considération, c’est la « littérature » sur le crime, comme Le Dernier jour d’un condamné de Victor Hugo. Mais la « littérature » criminelle de Cesare Lombroso gagne encore son prix Nobel chaque année, tout en laissant sur sa faim Michel Foucault, celui de Surveiller et punir, mais aussi de « Moi, Pierre Rivière… ».
Ayant réussi l’examen de criminologie en 1981, avec brio et mention très bien, je me retrouve avec un chantier encore plus augmenté en dimension et en complexité. Les trois directions qui dessinent en gros le champ de l’approche du crime par Alain Bauer, qui cite Edwin Sutherland (Principes de criminologie), indiquent l’étendue de la recherche : « a) la loi et les conditions qui président à son développement, b) la transgression, la recherche des causes du crime, c) la réponse apportée au crime ».
Est-ce que Alain Bauer est un théoricien ? Oui, Alain Bauer est aussi membre laïc du conseil de direction de l’Institut européen en sciences des religions. C’est surtout un pragmatique, un conseilleur, un expert sur le terrain en cas de gestion de crise : terrorisme, police de ville, conflits internationaux.
Sa thèse de doctorat en droit : Crime et criminologie : une archéologie juridique, politique et sociale. Ce sont les détails qui intéressent les lecteurs. Le personnage public est toujours mystérique. C’est l’opacité de la zone grise, toujours cible par la zone d’ombre. Je n’allume pas la lumière, cela pourrait être une poudrière ! Mais le personnage public reste un fantasme.
L’ABC de la criminologie n’affronte pas le discours du crime et sa vérité ségrégative et donc sa vérité criminologique, qui est une vérité d’un cercle restreint, qui règne et gouverne en entier sur le système, où chacun est un criminel potentiel, mais les coupables sont souvent innocents. Aujourd’hui, qui rentre dans un procès au Japon et en Russie n’a presque aucune chance de s’en sortir « malgré » son innocence. En Italie la longueur des procès s’est transformée déjà dans la peine à escompter. Et le pilori publique fait le reste : perte de l’emploi et des biens, divorce, fuite des enfants, des amis…
C’est donc super de constater que la logique du crime est un mystère et cela n’empêche pas qu’un cercle restreint d’experts puisse gagner très bien sa vie avec des expertises ? La vérité criminologique reste à disposition des experts, mais personne d’autre ne peut entendre quelque chose, au point d’avoir besoin des experts pour avancer, sans néanmoins savoir vers où.
Qui gagne par la gestion du crime et de sa « logique » ? L’oligarchie nationale, qui s’inspire des dictatures, si elle n’en fait pas déjà partie. Il n’y a aucune logique du crime, mais seulement la langue du cas en question, qui ne rentrerait jamais dans la taxonomie du crime, dans la statistique du crime, dans la démographie du crime.
Comme dans beaucoup d’autres cas de sciences humaines, de la criminologie nous avons les archives, mais pas l’analyse, pas le cas singulier dans sa qualité. Il semblerait qu’Aristote avait raison d’affirmer qu’il n’y a pas science de l’individu. Mais il pourrait sembler aussi que c’est le « système » qui dans son engrenage (son autre nom est peut-être « hachoir ») élimine les cas qui ne produisent pas de la valeur ajoutée.
Peut-être aussi que « crime » est un mot qui a un statut non « criminel » dans la citoyenneté planétaire. La crête de l’expérience ?
Le crime originaire : vivre !
Alain Bauer, ABC de la criminologie, Paris, 2024, Les Éditions du Cerf, pp. 287, € 9,00.
Giancarlo Calciolari
2.7.2024
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