Recueil paru chez L’Harmattan dans la collection Accent Tonique
mercredi 26 juin 2024 par Françoise Urban-MenningerPour imprimer
L’autrice diplômée en lettres modernes par l’Université de Bucarest s’est établie en France en 1983 et écrit en français depuis 1991. Dans la préface de son recueil, Dana Shismanian souligne que "l’écriture est une expérience de vie", elle ajoute que "la poésie est omnivore" et que "le poète est un apprenti chaman".
Le ton est donné d’emblée avec le titre de son livre Ragnarök et la couverture signée par la Roumaine Dany Madlen Zärnescu aux couleurs de lave et de cendres. Ragnarök annonce le crépuscule des Dieux, la fin du monde prophétisée par la mythologie nordique...
Orchestré comme la musique de Wagner, ce recueil appréhende la diversité et la densité des thèmes qui nourrissent l’inspiration de Dana. Reprenant des poèmes publiés dans d’autres recueils, elle les enrichit dans une poésie élégiaque et incantatoire qui érupte comme la lave d’un volcan. Elle prête sa voix au "chant de la terre" qui tente de régler ses comptes avec une humanité qui n’en porte plus que le nom "...vous adulez les tyrans/ et vous vous prosternez devant les fous/ qui vous mènent au précipice tels des porcs-"
Dans Lamento, ses doutes, ses larmes, son angoisse débordent sur la page blanche mais le mot "paix" revient tel un leitmotiv éclairer la noirceur d’un monde en pleine déliquescence.
Des vers limpides jaillissent alors des ténèbres "des gouttes de paix à la fraîcheur de la manne du désert/ sur tes lèvres au petit matin quand ton corps s’est glacé/ et ton sang a coulé dans le sable". La beauté, si elle ne peut sauver le monde, "peut aider quelques âmes à se sauver du monde", écrit Dana avec lucidité et cette note d’humour propre à la politesse du désespoir évoquée par Chris Marker, Boris Vian et bien d’autres auteurs.
Les poèmes de l’autrice reflètent une philosophie qui a partie liée avec celle de Spinoza qui affirmait que chaque âme était un fragment de l’âme du monde.
"L’esprit esseulé", la solitude dans la mort témoignent d’une quête de cette sérénité que l’on ne peut atteindre qu’en "retournant au néant" et Dana Shismanian de préciser "tu t’annules" et plus loin d’ajouter "l’envie te manque/ de continuer l’entrain-de-faire/de poursuivre l’en-vie"...
Le poète devient alors cet "apprenti chaman" aspirant à la maîtrise des éléments", et le désir de se fondre dans le rien devient celui d’appartenir à ce tout où confinent l’origine et la finitude. L’autrice nous avait prévenus dans sa préface et avertis de "la multi-dimensionnalité qui est la nature même de l’acte poétique", "voire l’expression d’un ego en errance". Cette clairvoyance nous donne à contempler "l’obscur qui travaille en nous" selon Meschonnic, elle délivre chez l’autrice des fragments de vers sublimes qui éternisent l’instant "...pourtant naître/ comme une boucle du temps musical/ le violoncelle de Schumann jouait sans doute pour moi dans l’au-delà".
Françoise Urban-Menninger
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