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Le Roi du jour et de la nuit - Anne Bourrel
jeudi 2 mai 2024 par penvins

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Moment de bascule quand Salvador au sommet de sa grue découvre un trou dans sa chaussette, un trou rond comme un nombril est-il précisé, un trou qui offre un passage vers un autre monde dans le même temps qu’il devient père d’une petite fille. Moment de se souvenir d’où il vient. Traversée d’un tunnel au bout duquel la lumière se rallume. Je savais même pas que c’était possible que ça s’éteigne comme ça, les yeux, et que ça se rallume la seconde d’après. Moment irréel où il entreprend le retour vers sa mère. C’est elle qu’il doit aller retrouver, là-bas, à Colera. Elle qui ne cessait de le battre. Sa mère que Josep avait mise en cloque et qu’il continuait de baiser chez eux hors du bordel. Sa mère qui savait que le vomi de baleine - l’ambre gris - vaut de l’or et qui battra à mort le mammifère (de même qu’elle l’a longtemps fait pour son fils) comme pour le punir de rapporter facilement tout cet argent qui sent mauvais.

Évidemment, l’évocation de l’argent et celle du vomi font de la baleine une métaphore de la prostitution, de même que l’acharnement des coups sur le corps de la baleine et l’exécution de Josep le souteneur que l’on retrouve criblé de balles sur le monument aux Catalans. Josep la virée en cloque, ça ne rapporte plus une meuf en cloque, mais le lien est resté. Josep le Roi du jour et de la nuit. Josep, donc, qui a gardé le lien avec la mère de Salvador, Josep le père qui souvent le dimanche rendait visite à sa mère et apportait au petit garçon qu’il était des crayons de couleur et du papier Canson. Josep le père qui sera exécuté, criblé de balles sur le monument aux Catalans. Règlement de compte entre maquereaux, sans doute, mais aussi entre l’enfant et son père. Règlement de compte sur lequel l’auteur insiste l’ayant déjà évoqué dans un roman précédent. Si le thème est récurrent chez Anne Bourrel, ce qui caractérise ce roman-ci c’est la traversée de la frontière entre le fantasme et le réel. Comme s’il lui était nécessaire de réinventer le passé.
J’avais envie de dire à Léa que celle qui m’avait toujours paru la plus fine, c’était la frontière entre le rêve et la réalité. Le passé revisité se mêle au présent, Salvador dans un état comateux les visite, confondant parfois l’un avec l’autre.
Pendant que la femme de Salvador accouche, celui-ci avec sa grue - oserait-on dire ses grues ? - contribue à l’enfermement de leur appartement à l’intérieur de son quartier : ils l’avaient choisi pour la vue imprenable sur la ville […] et bientôt ils se trouveraient encerclés par des barres d’immeubles.

Avec la naissance de sa fille la vie de Salvador prend une tournure nouvelle dans une sorte de happy end, un retour à la normale où Léna pourrait être Léa toutes deux aussi belles malgré leurs bouches édentées. Trou noir, tunnel, traversée du temps, plongeon dans l’indicible. Beauté et vomi, Anne Bourrel perd le lecteur dans un en deçà du conscient.



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