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Pourquoi le discours amoureux est-il aussi triste ?
mercredi 2 mars 2022 par Yazid Daoud

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L’amour est un sentiment, voire une valeur universelle qui anime les êtres humains. Avant l’amour du prochain, il y a l’amour du conjoint, celui avec lequel on voudrait vivre. C’est ce qu’on appelle l’amour passion. Il est frappant de remarquer que le discours qui accompagne ce sentiment est très souvent parsemé de pessimisme. A considérer la langue par exemple, on dirait qu’il s’agit d’une disgrâce. En effet, l’expression « tomber amoureux » apparente l’amour à une maladie : « tomber malade ». En anglais « fall in love » garde également l’idée de la chute. En arabe l’expression « waqaa fil hob : وقع في الحب », littéralement « tomber dans l’amour » rime avec « waqaa fil fakh وقع في الفخ » qui signifie « tomber dans le piège ». Eh bien, c’est entre maladie et piège. Pourquoi donc un sentiment censé être noble et élévateur se trouve traité en des termes se rapportant à la déchéance ? La mythologie nous est ici d’un grand secours. Effectivement, le dieu Cupidon avait des arcs qui visaient les célibataires. Dès qu’il en apercevait un, il lui tirait un arc sur le cœur et le célibataire tombait « amoureux ». C’est à mon sens une explication possible de l’expression. Les langues témoignent donc d’un imaginaire collectif qui conçoit l’amour comme une malédiction.
Qu’en est-il de la philosophie ? En réalité, la philosophie confirme la morosité du langage amoureux. A quelques exceptions près, les philosophes voient en l’amour une chute ou un piège. Pour Descartes, « l’amour est une passion qui peut naître en nous sans que nous apercevions en aucune manière si l’objet qui en est la cause est bon ou mauvais ». Ce déterminisme annule la résistance humaine. L’amour nous tomberait donc dessus tel une maladie. Pour Schopenhauer, « l’amour est un piège tendu à l’individu pour perpétuer l’espèce ». Schopenhauer n’a jamais été aussi clair. L’amour serait ici une ruse que se créent les humains pour survivre. Plus encore, Schopenhauer préconise l’impossibilité de l’amour. Celui-ci étant un désir, il disparaît une fois satisfait et laisse place à l’ennui. C’est pourquoi le philosophe définit la vie comme un pendule oscillant entre la souffrance et l’ennui. Et Nietzsche ? « Dans la plupart des amours, il y en a un qui joue et l’autre qui est joué. Cupidon est avant tout un petit régisseur de théâtre ». L’amour serait donc une simple comédie, une illusion.
La littérature, elle non plus, ne gratifie l’amour d’aucun beau discours. « Les commencement ont des charmes inexprimables » certes comme le dit Molière, mais « il n’y a pas d’amour heureux » selon Aragon. On n’attendrait pas de Kafka autre chose que ceci : « l’amour est que tu sois pour moi le couteau avec lequel je fouille en moi ». Et Proust n’a jamais été court qu’en définissant l’amour : « j’appelle ici amour une torture réciproque ». Le paradoxe de la littérature est de pouvoir trouver les fleurs du mal. C’est en parlant des amours impossibles, lugubres et contrariées que la littérature a produit des textes alléchants. « On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments » disait André Gide. Du côté de la littérature arabe, on n’aurait jamais connu Qayss et sa poésie s’il avait épousé Layla. Ce couple est devenu mythique justement parce qu’il incarne l’amour impossible.
Avant de terminer, pourquoi ne pas voir du côté de la religion ? Dans le Quran, l’amour n’est jamais maltraité. Il existe peut-être un seul endroit assez triste où le Quran rapporte l’histoire du prophète Yousuf avec Soulafa, l’épouse du souverain ‘Al Aaziz’, quand celle-ci avait tenté de séduire le prophète. Son époux lui dit alors en parlant des femmes « Vos ruses sont énormes ». Malgré cet événement de grande importance, aucun commentaire pessimiste n’est mentionné. Le Quran définit le mariage comme un projet apaisant : « Et parmi Ses signes Il a créé de vous pour vous des épouses pour que vous viviez en tranquillité avec elles et Il a mis entre vous de l’affection et de la bonté ». (Sourat Arroum – verset 21) Dans la vie du Prophète, l’amour est aussi conçu comme une chance. L’une des plus belles phrases d’amour est prononcée par le Prophète en parlant de son épouse Khadija « إني رزقت حبها » qui est l’équivalent de : « Dieu m’a offert son amour ». L’amour est ici compris comme un cadeau de Dieu et non pas comme une fatalité imposée au cœur.
Répondons donc à la question initiale ! Pourquoi le discours amoureux est langoureux ? Tout simplement parce qu’on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments. Dit autrement, les amoureux qui ont réussi leurs amours n’avaient rien à écrire. Ils vivaient cette tranquillité de l’âme dont parle le Livre Sacré. L’on ne retient alors que les témoignages des frustrés.

El Yazid Daoud, professeur agrégé de lettres modernes.

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