Fabienne VERDIER
« Le souffle vital de la calligraphie »
Fabienne Verdier est peintre, passionnée de calligraphie chinoise. Son parcours dartiste est exceptionnel car elle a vécu 10 ans au Sichuan, au fin fond de la Chine communiste des années 1980, pour sinitier à lart pictural et calligraphique traditionnel dévasté par la Révolution culturelle.
Elle raconte son expérience unique dans louvrage « Passagère du silence - Dix ans dinitiation en Chine » (Editions A.Michel 2003), « livre magnifique nimbé de spiritualité qui suscite un autre regard sur le monde sensible ».
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« Ce que je souhaite retracer ici, cest le récit dune peinture, du cheminement suivi pour arriver à ce que je crée aujourdhui
Je voudrais à la fois décrire les conditions de vie en Chine et montrer en même temps que, dans cet univers carcéral et kafkaïen, survivent encore démouvants vestiges dune magnifique civilisation ».
Lintérêt du livre de Fabienne Verdier est donc double :
- la vie difficile dune jeune étudiante des Beaux-Arts qui se retrouve seule, étrangère et perdue dans une école artistique régie par le Parti et qui doit lutter contre la méfiance des chinois, le système inquisitorial de l administration, la misère, la promiscuité et la maladie;
- mais aussi son parcours délève auprès de grands artistes méprisés et marginalisés qui linitient aux secrets et aux codes dun enseignement millénaire, afin de « refléter le souffle vital ».
Le style précis et imagé de louvrage rend bien compte de la singularité et des contradictions de la Chine, et les anecdotes sur les coutumes souvent curieuses encore en vigueur dans la plupart des régions renforcent lintérêt du récit. Citons comme exemples la description dune maison de thé, la pharmacopée traditionnelle, lapprivoisement des oiseaux et le dressage des grillons
pour le combat tel quil est pratiqué par un jeune garçon appelé Petit Singe :
« Petit Singe possédait un pot en terre cuite décoré dune divinité guerrière, abri pour son insecte; il sortait lanimal dans une cage aux petits barreaux de bois munie dune porte coulissante; sur le haut de la cage était écrit : « Chacun a sa raison de se réjouir ». Les grillons possédaient également des mangeoires en porcelaine décorée et de délicieux accessoires : fines badines de bambou, peintes de motifs différents selon les régions, utilisées pour taquiner lanimal. Au bout de la badine, deux poils de moustache de rat. On pouvait ainsi exciter le grillon en chatouillant certaines parties de son corps. Le langage était très codifié et linsecte, de manière étonnante, obéissait aux ordres également donnés par le propriétaire en tapotant sur le bord du pot : selon les vibrations, le grillon percevait les messages et obéissait. Surprenant spectacle ! Cet élevage de pur-sang miniatures provoquait une activité épuisante dans la maison. Des plats dhonneur étaient préparés pour le « général » : concombre, graines de lotus, laitue finement hachée. Quand je rapportais un moustique plein de sang qui venait de me piquer, Petit Singe me faisait fête: le sang rendait son grillon plus fort et agressif au combat
»
Mais lintérêt majeur du livre de Fabienne Verdier se situe sur un autre plan : celui de sa passion pour la calligraphie et sa détermination à suivre un enseignement ascétique auprès des plus grands maîtres pour simprégner de la pensée chinoise et acquérir la culture intérieure indispensable à un art authentique .
Maître Huang Yuan accepta de linitier à cet art après un temps de mise à lépreuve pour juger de sa motivation. Il lui demanda dabord de suivre un stage chez un graveur de sceaux; lécriture sigillaire sur les stèles conserve en effet les formes les plus anciennes de lécriture et cest seulement par les sceaux que lartiste peut se familiariser avec la calligraphie de lAntiquité. Après plusieurs mois dexercice du Pinceau de fer, elle apprit à « donner vie » au trait horizontal :
« Le trait est une entité vivante à lui seul; il a une ossature, une chair, une énergie vitale; cest une créature de la nature comme le reste. Il faut saisir les mille et une variations que lon peut offrir dans un unique trait ».
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Son maître lui enseigne ainsi non seulement la technique, mais tout un art de vivre délaissé de nos jours, même en Chine :
« Si tu veux travailler les perceptions infinies à travers les lavis dencre, il faut une attitude dhumilité, de transparence; cest seulement ainsi que tu feras naître dans tes peintures une présence subtile. Quiétude, calme, silence. Cest le vide qui nourrira ton futur tableau; sur ce terrain vierge la pensée doit jaillir dans linstant, comme une étincelle limpide».
Au fil des ans, à force de persévérance malgré de graves ennuis de santé, Fabienne Verdier va devenir « la passagère du silence » quelle voulait être. Elle dit avoir retrouvé dans les peintures et les pierres de rêve le monde imaginaire des paysages de son enfance en Ardèche.
« Ma peinture exprime un désir de volupté, de béatitude, un refuge contre la tristesse, le plaisir procuré par les beaux paysages qui, depuis mon enfance, mont apporté les moments les plus intenses de joie et de paix. Jai compris que lextase, quelle se crie ou se taise, nest pas un don du Ciel quon attend les bras croisés, mais quelle se conquiert, se façonne, et que lintelligence y a aussi sa part ».
Un très beau livre dune vie exemplaire à la recherche de « la tranquillité de lâme ». D.G.