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Introduction à la mort française - Yannick Haenel
par penvins


Editions Gallimard


La critique est facile mais l'art est difficile et ce disant je risque moi-même de tomber dans le piège, mais Yannick Haenel, ne manque pas de culot de s'attaquer à la littérature française depuis là où  il est, avec ce style qui ressemble si fort à celui de la « Villa Blanche » à tel point que l'on peut se demander s'il n'est pas sous le coup d'un contrat - lié par les conditions d'un contrat d'édition - obligé de s'exprimer dans la langue de ses maîtres pour mieux la dénoncer.

Examinons ce que cherche à nous dire Y. Haenel, qu'est ce que la Mort française, en quoi elle est différente de la mort espagnole ou italienne ? Le symbole de cette mort  en est le Gilles de Watteau cet homme en blanc - transparent - qui n'est « ni moi ni personne », à cette mort s'oppose la mort réelle celle du retable d'Issenheim mais aussi la vie féerique, celle de la Sainte Chapelle. Cette mort est à la fois celle de l'amnésie et celle du dépassement de la culpabilité, celle de l'amnésie bien sûr : BLANCHIR LE PURIN : activité primordiale du pays. Comme une fosse sceptique, il avale les corps ; comme des étrons, il les broie ; les recrache en filament verbeux, mais d'une amnésie contrôlée L'amnésie contrôlée, la période de Vichy, les secrets transparents de la guerre d'Algérie, tout ça se réfléchit dans la langue... celle de la rayure provinciale des tapisseries d'hôtel, on n'est pas loin de l'expression France moisie dont on sait qui l'écrivit !

En trois parties Errance, Captivité, Evasion, Haenel prétend nous montrer ce qu'est la mort française et comment s'en défaire. Il nous présente tout d'abord une exposition à la grande Bibliothèque, le bâtiment y figure des livres ouverts comme les gardiens d'un tombeau, le décor est planté, la littérature française ne serait qu'hommage aux Grands écrivains - ceux qui sont morts, Destine demande à l'auteur de s'en aller, Marianne celle qui a déchiré sa carte d'identité vient ensuite rappeler que plus la femme française est enfoncée dans la lèpre familiale, engluée dans le manque, assourdie dans les traumatismes, plus [elle] est réserve de jouissance. C'est semble-t-il vers cette jouissance que  l'auteur entend nous mener.

Mais il lui faut d'abord subir l'épreuve de la littérature telle qu'elle se vit dans le Saint-Germain des Prés d'aujourd'hui, du côté sans doute de chez Gallimard, ce sera la Villa Blanche.

Je ne m'attarderai pas sur cette deuxième partie, celle de la Captivité. Enfermé avec ses congénères l'auteur subit la dictature de la reine mère et du président. Mais lequel ? Car si tout désigne Mitterrand, celui qui contemple la statue équestre de Louis XIV, qui apprécie la pyramide du Louvre et qui face au Pierrot soupire « c'est moi », que vient-il faire ici ? Pourquoi se fait-il sucer sous la table? Ne serait-ce pas quelqu'un d'autre, je vous laisse deviner. Comme je vous laisse deviner qui sont ces trois vieillards appelés président1, président2, président3 ? Le petit monde de l'édition parisienne est bien sûr ici visé, cherchez les noms si ça vous amuse. La reine mère, madame D regarde à travers une vitre les 3 présidents mimer des scènes de torture  - Métaphore évidemment - elle a bouclé dans l'ennuyeuse répétition du pire la narration française, mais certainement aussi triste réalité germano-pratine. Y Haenel serait-il tombé dans le piège qu'il dénonce ?

C'est évident, c'est même l'histoire de ce livre. Expérience d'enfermement dont Haenel s'est senti la victime, mais aussi dont il a  joué - j'allais dire joui - et souffert. A cet enfermement de la littérature française il y a des raisons qu'Y Haenel avoue : Ce sont les écrivains eux-mêmes qui ont inventé la Villa Blanche ; l'enfermement ils ne le discutent pas. Ce statut économique qu'ils acceptent en est une, dont l'auteur paraît dire qu'il s'est échappé ? !

Voilà ce que nous propose Y Haenel pour dépasser cette mort française, troisième partie, l'Evasion. Echappé de la villa Blanche l'auteur revient vers Paris, les images qui retiennent son attention sont celles d'un calendrier relatant l'Histoire Magique de la France, son point d'arrivée les vitraux merveilleux de la Sainte Chapelle - à laquelle il  se promet de dédier son livre - il s'agirait de renouer avec une histoire de France imaginaire, un Paris féerique et moyenâgeux, on n'est pas trop surpris de lire dans ces pages des allusions à Céline : « Elles m'ont guidé d'une forêt l'autre, » ; « Je ne savais où j'étais : le château que certains jours on apercevait depuis la Villa Blanche[...] ».

Bien entendu la critique est  plus facile et de fait plus juste. Le  musée de la Culpabilité inauguré par le président est de ce point de vue exemplaire. Une culpabilité assumée jusqu'à l'indécence qui fait dire au président ! ! ! : De la Francisque aux poches de sang contaminé qui éclaboussèrent l'honneur de notre pays, les emblèmes du pire ne manqueront pas. Sur des écrans vidéos disposés dans la crypte seront diffusés les grands moments de la culpabilité en France : des plus touchants discours du maréchal Pétain aux plus belles séances de torture. Un petit film censuré, datant des années soixante, montrera même des Algériens poussés dans la Seine avec un peu de brusquerie.  [...] Je ne vous demande pas de ne plus vous sentir coupables. Au contraire.  J'aime votre culpabilité [...]. Et de se réjouir qu'une nouvelle ère s'ouvre pour la France, celle où nous serons tous transparents.

Ce livre est un paradoxe, il m'a à la fois donné faim et laissé sur ma faim, l'analyse de l'esprit français est juste mais tout de l'histoire jusqu'au style reste enfermé dans cet esprit. Je lirai très certainement avec beaucoup d'intérêt le prochain livre de Y Haenel, j'aimerais être sûr qu'il s'est réellement échappé, ce serait une bonne nouvelle.

Penvins
e-litterature.net©

, le 24/12/2001.

la réaction d'Irma Krauss

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