par Meleze
Je viens de lire coup sur coup deux livres traduits du Chinois Ce sont des romans policiers présentés dans des éditions plus luxueuses dignes du salon du livre à Paris, mais sont-ils bien supérieurs à ce quon nomme chez nous « la littérature de gare »?
Shangaï Triad de Lin Xiao
La mort dune héroïne rouge de Qiu Xiao Long aux éditions du Seuil.
Mon propos est de montrer à quel point ce genre douvrages est considérablement surévalué par la presse qui en fait ne les lit pas, nen fait pas de pitch *. De ce fait ils circulent sans jamais faire lobjet daucun diagnostic.
Or deux opinions se forment immédiatement après lecture dans la tête de celui qui les a achetés:
Les pitchs proposés pas les éditeurs en page de couverture lui paraissent lamentables. Ce sont des livres dont on fait tout un fromage alors quils ne dépassent même pas les vieux OSS 117 de lépoque de la guerre froide.
Les pitchs s'ils avaient été faits nauraient pas pu être défavorables au parti communiste chinois. En effet, sous prétexte dun genre nouveau soi disant preuve de lentrée de la Chine dans le capitalisme, la ligne éditoriale chinoise garde le contrôle dune pensée idéaliste.
Cest surtout à propos du premier de ces romans que le pitch est indispensable pour faire apparaître le côté lamentable de lintrigue. Il sagit du fils dun cadre dirigeant de la ville de Shanghai qui se livre au commerce de la pornographie. Vous parlez dun scoop! A quoi donc ce brave homme pourrait-il soccuper? Et pourquoi la libéralisation des moeurs produirait-elle autre chose à Shanghai que dans les autres grandes villes du monde ? Selon le pitch et contrairement à ce quannonce léditeur, il ny a rien de nouveau sous le soleil. Pourquoi sous prétexte que cela arrive en Chine devraiton y attacher un intérêt particulier?
Parce que malgré ce sujet secondaire et banal le livre reste un descripteur acceptable de ladministration de la police dans une ville où elle a été encore rarement abordée sous langle de sa gestion et des trucs par lesquels un officier de police doit passer pour avoir des réponses positives de structures administratives qui comme partout ailleurs au monde ont dabord pour but de le dissuader de mener à bien son enquête. Ce qui nous intéresse à Los Angeles dans les romans de Ellroy dont les héros doivent être plus forts que les tendances fascistes de son organisation, nous intéresse à nouveau avec ce commissaire de police chinois qui va chercher dans la poésie ancienne la force de résister à la corruption.
On voit déjà comment le caractère de ce commissaire de police est extrêmement favorable au parti communiste. En intégrant lintrigue du 2° roman cette conclusion est encore plus exigeante.
Car dans le 2°roman il sagit de la guerre des gangs dans la même ville dans les années 30. De nouveau rien quon n'ait pas déjà lu de lépoque dAl Capone. Et de nouveau un jeune héros doit choisir le chef auquel il voue sa fidélité. Or il choisit malencontreusement celui qui est lamant de la femme quil aime. Le pitch serait alors ceci: « le naïf surprenant dans un contexte de guerre des gangs, celui qui lui vole la femme quil aime les tue tous les deux! ! » Jugez par vous-même si vous ne me faites pas confiance: il a nettoyé de la surface du globe quelques affreux. Il est resté pur.
Quel communiste rejetterait un tel dénouement? Pas un, bien sûr et cest parce que les éditeurs occidentaux quon ne peut pas soupçonner de vouloir réarmer le communisme, ne les lisent pas quils publient ce genre dhistoires. Elles nont aucun sens de ce côté-ci du monde. Elles sont dailleurs ennuyeuses, assez fastidieuses à lire et si remplies de personnages avec des noms qui se ressemblent quil faut surmonter de nombreux assoupissements avant de reconnaître lessentiel. Ces histoires nont pour but que de redessiner le profil bien esquinté des membres du parti communiste chinois au 21°siècle. Dans ce pays où ladministration est gérée par un parti communiste unique il nexiste pas de contre pouvoir contre la corruption en dehors de lidéal que peuvent avoir certain de ses membres.Partout dans le monde lesprit de service public est devenu une exception imbécile alors que dans ces romans les héros sont DES GARDES ROUGES restés vierges.
Si lun ou lautre de ces livres vous tombe entre les mains, cest parce que, au-delà du bénéfice attendu de toute publication pour léditeur et pour les droits dauteur, ils servent les intérêts du parti communiste chinois. Ils sinterrogent sur la période de Deng Siao Ping et la façon dont il a transformé la Chine sans mettre fin au pouvoir du parti unique. Ils nous montrent des fonctionnaires qui ont la sûreté nationale qui enquête au-dessus deux de la même façon quun petit shérif américain doit rendre des comptes au FBI.
Pour conclure nous nous servirons dun 3° livre qui est la parution en français en 1998 au Seuil pour la première fois depuis sa publication en Chine en 1989 du témoignage dun eunuque de la cour impériale recueilli par lhistorien Dan Shi. On vient de donner grâce à la littérature policière et au cas des commissaires de police, un aperçu de lextrême difficulté pour un Etat tel que la Chine de faire travailler et de former les agents de lEtat qui ne soient ni des pornographes, ni des prévaricateurs. La Chine songerait-elle alors à recréer la catégorie des eunuques?
Il nexiste pas de preuves que le Comité Central en soit revenu à ce degré inconnu de loccident de latteinte aux droits de lhomme pour obtenir la discipline que les empereurs avaient recherchée. Rien ne nous empêche cependant de remarquer à quel point le héros de lhistoire dans ce livre reste, lui aussi pur et vierge, très proche des paysans pauvres dont il est issu et des gardes rouges dont il a vécu la Révolution Culturelle. Rien ne nous empêche de remarquer que cest une catégorie sociale dont la place dans lhistoire et la morale individuelle avait jusqu'à présent échappé à la critique sociale.
Loccident capitaliste essaye sans doute de subvertir la Chine avec les droits des femmes et des homosexuels. Elle nous renvoie pour sa part son expérience de la cruauté.
Mélèze
05/2004
* Note qui dit l'essentiel d'une oeuvre (notamment de cinema) sans en reveler le contenu"