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Les obus jouaient à pigeon vole - Raphaël Jerusalmy
mercredi 10 février 2016 par penvins

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S’inspirant des mots du poète, Raphaël Jerusalmy réinvente des dernières vingt-quatre heures d’Apollinaire, son engagement, militaire et poétique, sérieux et léger, surréaliste et total dans cette guerre qui marque la fin d’un monde. C’est peut-être ce que l’on ressent le mieux à la lecture de ce roman biographique : cet amour fou de la vie au moment où le monde se désenchante dans une guerre stupide. La découverte près de Munich d’un numéro de la revue Mercure de France annotée de la main de Guillaume Apollinaire sert de prétexte à cette relecture. Le poète se bat, les armes à la main, il participe à l’improbable accouchement d’un monde résolument différent, invente ces calligrammes qui déstructurent le vers ancien, témoigne de la poésie là où sont les hommes et en retour témoigne auprès des artistes de son temps - avec lesquels il collabore - de cette guerre à laquelle certains ont échappé. En 1917 le mot sur-réalisme apparaît pour la première fois et c’est sous la plume d’Apollinaire dans une préface au livret du ballet Parade, de Jean Cocteau, décors de Pablo Picasso.

Apollinaire n’est pas un poète de la mélancolie.

On pense beaucoup au passé, du côté du Bois des Buttes. Sauf lui, le poète . Qui pense à l’avenir. À la prochaine strophe. À tout ce qui lui reste à écrire.
À tout ce qu’il n’écrira pas.
L’avenir il le voit. Clairement. Là-bas derrière le monde qui s’écroule. Il est facile à prédire. Peut-être à changer.

Parce que le monde est en train de changer. Il l’était dès avant la guerre, Delaunay, le père Ubu, Chagall ouvraient de nouveaux horizons :

Pour ce qui est du grand chambardement, les artistes ont une longueur d’avance sur les généraux.

Raphaël Jerusalmy le dit de façon très claire :

Apollinaire est reconnaissant à ces petites bêtes [les puces qui ont envahi les tranchées] de l’avoir remis à sa place. Et la poésie avec. Qui s’était mise dans un étrange malaise. Et dans la jouissance, plus étrange encore, d’en jouir. De délaisser le bonheur.

Paradoxe de cet engagement du poète dans l’infanterie, il ne va pas tant au-devant de la mort qu’au-devant de l’avenir, il refuse de rester planqué à Saint Germain des prés pour participer à l’éclosion – fût-elle douloureuse – du monde qui vient. Il ne se complaît pas dans le spleen, mais bien au contraire profite pleinement du spectacle de la guerre et de la beauté des fusées éclairantes. L’engagement du poète n’est pas seulement militaire, il est total et l’auteur de ce petit roman rapproche la démarche d’Apollinaire de celle de Villon, ce renouveau de la poésie se fait dans un retour à la réalité commune :

Villon qui comme lui, n’avait pas l’air d’un poète. Villon qu’il fallait d’urgence sommer à la rescousse. Car cela faisait trop longtemps que la poésie ne s’était pas sali les mains.
Ni gratté le derrière.

Aucune des réalités sordides de cette Grande Guerre n’est épargnée au lecteur et cependant, à l’image de son modèle, le biographe-romancier ne fait preuve d’aucune complaisance, il ne s’agit pas de s’apitoyer sur le sort des soldats, mais tout au contraire de réinventer le rêve au cœur même des combats, de magnifier le langage là où il se voudrait le plus parfaitement opérationnel. Apollinaire ne se révolte pas contre les ordres de ses supérieurs, il se comporte comme le plus petit des soldats, mais il signifie à ceux qui l’observent que le plus important ce n’est ni la guerre ni la mort, mais la poésie qui est en train de naître en se débarrassant des oripeaux placentaires. De ce spleen qui a entraîné la beauté du monde dans une impasse chaotique.

Pour ce qui n’ont pas lu, ou lu un peu trop vite, Apollinaire, voilà une merveilleuse occasion de prendre la mesure d’un poète qui a ouvert une voie que l’on a un peu oubliée, celle du révolutionnaire bonheur de vivre. Raphaël Jerusalmy en soit vivement remercié et avec lui Bruno Doucey fervent défenseur de cette poésie ô combien vivifiante.



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