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Le crime du comte Neville, Amélie Nothomb

Editions Albin Michel, 2015

vendredi 4 septembre 2015 par Alice Granger

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Nous retrouvons avec ce nouveau roman d’Amélie Nothomb le scénario familier et cette fois encore très bien ficelé d’une mort annoncée depuis le début, qui s’avère une sorte de petite mort en ce sens que, ratant sa cible, qui est ici la fille suppliant son père aristocrate belge de lui donner la mort au cour d’une garden-party en son château, la répétition de la demande de mise à mort est implicitement possible et sera nous l’imaginons l’objet d’un autre scénario. La symbolique de la demande de mise à mort adressée par la fille à son père est évidente et sexuelle… Surtout que le père est pourvu d’une carabine 22 long rifle… Avec ça, il va pouvoir tirer sa fille sur sa demande… On dit aussi tirer un coup… A la fin, coup de théâtre, ce n’est pas la 22 long rifle paternelle qui tue, mais un plateau sur lequel il y a, évidemment, du champagne, bien sûr de la cuvée prestigieuse laurent-perrier Grand Siècle, que le père en trébuchant fait voler jusque sur la nuque d’une vieille mais très riche dame qui meurt de ce coup du lapin… ah la la, le coup du lapin, répétition assurée, se reproduire comme un lapin… Evidemment, comme dans une sorte de conte de fée qui se termine idéalement, la riche vieille dame avait fait un testament léguant toute sa fortune au comte Neville « à qui elle vouait depuis toujours une passion ridicule et heureusement insoupçonnable. » Derrière cette vieille dame et sa passion ridicule pour le comte ne pourrait-on pas repérer la passion secrète d’une fille pour son père aristocrate, avec pour décor éternisé celui d’un château familial, le Pluvier, et surtout cette annuelle garden-party où l’art de recevoir transforme « une simple mondanité en une extravagante féerie » et l’espace de quelques heures, aux yeux de sa fille sans doute le père « devenait le superbe personnage que pour d’absurdes raisons on n’était pas au quotidien. » La propriété familiale aristocratique belge, que contrairement à beaucoup d’autres, cette noble famille a pu garder encore, va être vendue faute de moyens. Ce détail qui fait sentir la déchirante perte, l’imminent effondrement d’un lieu extravagant et féerique, la destruction d’un temps exceptionnel avec ce personnage paternel superbe, ne soulignerait-il pas la peur, chez la fille, de perdre la féerie non seulement de l’enfance mais plus exactement l’accès au féerique que l’art de recevoir de ses parents, dans les ambassades par exemple, rendaient possible à la petite fille, et que le très bon champagne à la manière de la madeleine de Proust ramène le temps d’une inimaginable ivresse ? Le coup du lapin par le plateau de flûtes de champagne, dans le cadre d’une réception venue tout droit d’un autre temps, pourrait faire allusion à la prolixité de l’auteure concevant pour chaque rentrée littéraire un nouveau roman, ce qui, comme l’héritage de la vieille dame permet de sauver le château le Pluvier, assure d’avoir toujours comme du champagne coulant à flots les moyens d’une vie féerique comme autrefois. La fille, alias Amélie Nothomb, pourrait ainsi mourir à chaque fois à la vie présente ennuyeuse et froide, en imaginant un scénario renouvelé qui la transporte, sérieusement, dans le temps et le décor d’avant, noble propriété que l’activité d’écrire donne les moyens de garder. Il y a quelque chose, bien sûr, de très onanique dans ce type de scénario très maîtrisé. La fille veut mourir, c’est-à-dire jouir, par la 22 long rifle du père, comme autrefois jouir de la féerie des réceptions et des bulles de champagne, mais en même temps, cela ne l’achève jamais, c’est quelqu’un d’autre qui tombe, c’est raté, la fille est toujours ce qui reste, et ça peut recommencer avec l’imagination d’une autre histoire, qui est un autre roman, qui est comme un testament léguant une fortune, qui assure le champagne laurent-perrier cuvée Grand Siècle, ses bulles. Lors de la fameuse garden-party, qui devrait être la dernière avant la vente de la propriété de cette famille noble, la musique qui est jouée, avec une soprano qui chante, est bien sûr Le Chant du cygne, de Schubert… Symbole phallique… Puis coup du lapin…

Il y a cette idée du père qui fait plaisir à mourir à sa fille, au point que, sérieusement, comme l’indique son prénom Sérieuse, elle ne peut désirer rien d’autre que cette répétition éternelle, que ce retour à l’extravagante féerie des réceptions d’autrefois ! Une répétition, que le testament qui se cache derrière les moyens procurés par une œuvre qui chaque année désormais se vend incroyablement bien rend possible, car la destinataire peut continuer à vivre dans la féerie d’autrefois retenue comme des instants-champagne, l’art de recevoir que peu de familles, écrit Amélie Nothomb, savent pratiquer encore. Bien sûr, dans l’intervalle, après la chute que marque la « petite mort », la mort qui rate sa cible, la fille, pour laquelle la passion pour ce père qui est un si superbe personnage lorsqu’il reçoit est à entendre sérieusement c’est-à-dire quelque chose qui retient pour toujours parce que rien ni personne d’autre ne vaudra ça, traverse la solitude et le froid. Une sorte de passage à vide. Ce que raconte cette fille, Sérieuse, lorsque, au début du roman, elle va au milieu de la nuit en pleine forêt en bravant le noir et le froid. C’est là qu’une voyante, partie dans les bois dans la nuit pour cueillir quelque chose, la trouve, et alerte le père : qui doit, bien sûr, s’occuper de sa fille. Et la voyante, logiquement, prédit à ce père qu’il tuera quelqu’un lors d’une garden-party dans sa propriété, mais que tout s’arrangera… Et oui… C’est une petite mort… Jamais ça ne passe à autre chose… Sérieuse énonce très sérieusement une sorte de fixation indépassable… Il y a toujours, surplombant le père qui doit sacrifier sa fille en lui offrant un plaisir à mort comme autrefois il le faisait en lui ouvrant l’espace d’une féerique fête avec champagne, ce frère qu’il était regardant sa sœur Louise dans le cercueil. Sérieuse ressemble tant à Louise dans son cercueil. Cercueil pour souligner que rien d’autre ne peut l’intéresser, qu’il y a une sérieuse et définitive fixation dans la féerie d’autrefois, et que l’activité d’aujourd’hui (littéraire ?) n’est qu’un moyen pour que s’écrive ce roman qui est aussi testament léguant une fortune permettant de perpétuer le temps et l’espace matériel de cette féerie.

Père qui sacrifie sa fille : suscitant dans l’enfance chez sa fille une passion si forte, en étant si superbe et si puissant dans son art de recevoir incomparable, que cela « sacrifie » la vie d’adulte de cette fille puisqu’elle ne peut désirer la séparation, la perte d’un si beau et noble domaine ! C’est donc si logique que les prénoms du frère et de la sœur de Sérieuse soit Oreste et Electre, les enfants d’Agamemnon ! Ainsi, le roman peut se renommer « Le sacrifice d’Iphigénie »… afin que les vagues se calment…

La rentrée littéraire est donc une nouvelle fois réussie pour Amélie Nothomb ! Une cuvée Grand Siècle !

Alice Granger Guitard



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