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Dorothée Volut : Voix
mercredi 11 décembre 2013 par Jean-Paul Gavard-Perret

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Dorothée Volut : Voix

Dorothée Volut, A la surface, Eric Pesty Editeur, 91 pages, 13 €.

Dorothée Volut dans ce texte magnifique marche en comptant ses pas, marche les yeux au sol pour mieux être à l’écoute des voix qui l’habitent. Mais elle reste l’éveillée et avance regard ouvert. Elle perçoit jusqu’à la faible lumière que répand ses voix. Imaginées, murmurées elles disent l’existence à travers des phrases dépouillées à l’extrême. « A la surface » tire sa puissance de sa radicalité des profondeurs par effet de surface. La poétesse ne fait que « montrer », que « décrire », mais la force de cette écriture tient à sa portée d’abîme.

Sans doute perdue parmi ses voix Dorothée Volut s’estime la propre matière de sa perdition comme si elle était poursuivie par le fantôme d’une histoire et engoncée parmi ses ombres appesanties. Peu à peu elle glisse dans l’insupportable solitude programmée mais afin de croire que cette solitude n’est pas complète, qu’il peut rester un interstice par où passer.

L’attraction d’un tel texte où 12 voix à la fois se séparent et se confondent au « nom » de l’enfance en sa métaphysique hérétique et sa métrique au cordeau tient autant de la connaissance qu’on y acquiert qu’au plaisir éprouvé. Dotothée Valut s’y fait devancer par la chair sur les chemins de l’esprit (l’inverse est vrai aussi).

Elle reste dans ce canyon ses effets d’échos et de résonnances. On imagine sa silhouette fantomatique si bien qu’on pourrait la prendre pour repère afin de comprendre tout ce qu’elle scrute, relève, révèle. Au sein des calmes déserts du quotidien la poétesse se promène dans les siens de long en large jusqu’à ce que - peut-être – l’eau lustrale bienfaitrice vienne les étancher.

Jean-Paul Gavad-Perret.

J-P Gavard-Perret
CHASSÉ-CROISÉ

Chère Mylène,

L’un répond parce que l’autre vient d’écrire. C’est un rite. Chacun offre sa tournée (on dit mettre la sienne), chacun parle de désir jusqu’au moment noir d’une nuit violente. Je vous accompagne ainsi au fond de votre absence qui tombe chaque soir comme tombe le ciel. A la manière des revenants chaque nuit vous réapparaissez en un livre dont à chaque envoi une page se perd. Je ne vous écris donc pas en fonction d’un événement particulier mais en un état particulier : je vous demande votre main, votre main, mais le reste aussi. C’est à cela que le noir sur la page blanche du temps vous convoque. Je sais que l’écriture ne sauve pas mais qu’au contraire elle enfonce. J’espère toutefois qu’elle m’enfonce en vous et que sans moi vous ne pourrez pas vraiment finir : c’est la mort qui nous finira et c’est pourquoi j’entretiens un rapport de fond avec ces deux mots : pas vraiment, en n’écoutant que mon désir et cette nécessité que vous répondiez à ma demande. Sachez que nous sommes dans l’incapacité de vivre autrement que de franchir cette limite et de tenir à ces lettres mortes qui nous emportent et nous divisent. Chaque fois la déchirure revient telle une note ronde des étendues inconnues ; vous voyant j’imagine une ville inconnue, une montagne blanche, des murs de briques alambiqués attendant mon arrivée sommeil. Il ne faut pas que votre chambre reste vide avec l’angoisse qui se pend aux rideaux des fenêtres. Entendez ma voix, écoutez mon appel, ne préférez plus la terre aride aux grands fronts des nuages d’orages de l’été. Acceptez cet émoi particulier au fond de votre mémoire qu’il conviendrait de débarrasser - comme des placards - de restes dont ils ne peuvent faire le moindre usage. Ecrire n’est donc que cette injonction capitale, cette maladie mentale qui peu à peu a raison de mon corps usés de mots et qui ne possèdent que le relief trouble de certains paysages de désert dévorés par une sorte d’obscurité âpre. L’histoire n’existe pas encore mais acceptez-en le partage. Oubliez vos vieilles images. Faites confiance à mes mots pour les effacer. Il n’est pas question de vous en sortir autrement sous peine de rester à l’état de fantôme et d’énigme – absolue : ni vraie, ni fausse , écrite. Mes mots ne font peut-être preuve de rien : mais ils vous sont dédiés, sont, cela devrait suffire. Il n’y a pas d’évènements, de sujets ou d’histoires. Ils ne peuvent rendre compte que d’éclats de pensée. Pour chacun, l’autre prend toute la place : mais mes lettres autorisent presque tout même si elles établissent forcément un écart. Reste donc leur sens unique : l’envie de se lever et de partir, de ne jamais se lever, de ne jamais partir. Mes mots ne s’écrivent pas vraiment parce qu’ils ne savent pas sinon qu’il y a cette émotion qui me porte vers vous et qui leur font perdre leur adresse. Telle est l’étrangeté de l’écriture : comme si rien n’était plus normal. C’est cela écrire : vous mettre à l’aune d’un désir comparable à celui réservé aux Saintes qui savent que par lui on gagne rien. Certes souvent on ne peut rien. L’autre parle toujours à notre place et on n’a rien à lui dire qu’il ne sait déjà. Les corps se croisent, se divisent. Les corps font toujours ce que les mots ne font pas. Comment expliquer autrement pourquoi mes mots sont noirs ? Ainsi une voix parle dedans de moi du mystère de ma foi à votre égard. C’est pourquoi, pour un temps, après chaque aveu, le silence se fait et les mots se fanent. Les mots, mais pas votre image qui ne me suffit pas. C’est votre corps, sa découpe, que convoque cet acte élémentaire : vous écrire afin de vous glisser dans ce lit qui devient déjà la relique de ce qui nous fonde et nous fait avancer.

POESIE MON DESERT

Entre terroir et errance la poésie ne peut être traitée comme une passante ou comme un chemin qui traverse la vie comme un paysage. La poésie coupe, rebrousse, taille. Quand elle s’inscrit elle emporte tout sur son passage et en premier lieu celui qui s’y engage. Nul sauvetage à attendre : Baudelaire, Rimbaud, Kafka, Beckett l’ont prouvé. Il ne peut y être question de salut.

D’où la fascination du poète pour le désert, immense métaphore de sa table rase et de sa conduite forcée. Oui, la poésie est un désert sans repères ni habitudes, elle est le lieu de quelques traces primitives et sourdes. Sa “ clôture ” est donc une ouverture, son horizon une perte. Ne reste que la danse des dunes, les sables où nous nous enfonçons. Nul bédouin pour nous sauver. Il faut s’y confronter : habiter ou passer.

La poésie n’assume aucune fonction rédemptrice face à l’expérience de la douleur. Elle n’est que son cri muet et blanc. C’est pourquoi et pour revenir à lui, Baudelaire avait raison : “ tous les élégiaques sont des canailles ”, des canailles qui se font dessus. Même si, et paradoxalement, la poésie ne peut se situer qu’à proximité de l’élégie. Néanmoins la grandeur du poète réside dans son pouvoir à ne pas y plonger. La jouxter certes mais en retenant ses exclamations, ses adjectifs circonvulatoires, ses manières d’exorcisme. La poésie ne dit que froidement le désastre sans se complaire pour autant dans la pensée de la mort - ce qui ne serait qu’une astuce afin de guérir le mal par le mal…

On ne peut clôturer la douleur. Elle est le lieu central de la poésie mais le lieu où elle s’effondre tentant toujours une poussée sinon de souveraineté mais de percée dans ce vide qui nous dévore sans cesse. Sous un ciel sombre de cyanose il faut donc juste espérer qu’elle propose une goutte d’oxygène où s’invente une dernière danse. A ce titre Beckett reste sans doute le plus grand des poètes dans sa “ folie de croire, d’entrevoir, de croire entrevoir ”, dans ce constat apparemment minimal mais qui brille de tous les éclats que le langage humain peut donner.

Ouverture / Fin

Parce que de ça de Samuel en rêve, pas le même Sam de la bouche morte, celui des dégoûts, Sam l’autre Sam le mutique, Sam ou nous dans la langue c’est la même chose mais non ce n’est pas mais nous pourtant ça qui se lève, se fend la même mort devant ah ---- pas de visage ça ce trou que merde à la sortie c’est dégueulasse de ce trou là où putain de nos mères il n’y a rien à voir tu as vu notre gueule Sam tu vois, tu vois Sam ce que tu as fait de nous de tes mots non ---- rien à chier puisque tes mots à toi se taisent tais-toi toi-même dit la mater dolorasa (silence) Au fond il n’y a rien de dangereux dans toute cette histoire. Nous nous sommes glissés entre les gravats et les planches notre cadavre nous a décoré d’un sourire indulgent ---- nous nous sommes glissés dans la boue de ton silence sans fond de ta peau nous nous sommes fait une parure nous nous sommes fait avoir (entends : mettre) et nous nous sommes pris à sourire mais il y a plus personne pour nous voir pour nous voir sourire à personne nous goûtons la boue, la léchons la nuit était si belle et nous nous sommes endormis en chiant dans notre frac (silence) Peut-être c’était le matin notre merde nous a tenu chaud tout comme les mots somnambules les mots toujours les mêmes c’est à ta voix Sam qu’on le doit mais nous n’en sommes pas sûr une lumière bleue sur le mur d’en face la lumière, le mur, cette putain de trace et même plus enfin putain de douleur là le troudit tendre la main (silence) la main. “ dites leur que nous sommes mort ”.

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