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L’Amateur d’abîmes - Samivel
vendredi 29 novembre 2013 par Meleze

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Samivel, l'amateur d'abîmes – Stock, Paris 1963.



Ce titre, 80 ans plus tard, résonne moins par son contenu que par son avertissement sur la situation de guerre. C'est la 2° edition d'un livre publié pour la premier fois à l'été 1940. Il faut le lire avec les yeux des alpinistes et grimpeurs qui étaient sous les drapeaux. En 2013/14 il y a de nouveau d'autres amateurs d'abîmes.

N'hésitons pas à l'écrire : par certains côtés ce livre est le produit ennuyeux d'un écrivain plein de contradictions, mais qui, placé dans le contexte de la montagne, vont lui inspirer quelques-uns des paragraphes les plus émouvants jamais écrits sur le sujet.



Présentation de l'auteur

Tout d'abord la présentation de l'auteur telle qu'elle est faite dans l'édition du livre de poche :

« Écrivain, dessinateur, cinéaste et explorateur, Samivel s'est d'abord fait connaître par ses dessins souvent inspirés de la montagne : rien d'étonnant puisque ce Français de vieille souche, né à Paris, en 1907, est un ancien lycéen à Chambéry, admirateur aussi de l'humour anglais et de Charles Dickens à qui il a emprunté son pseudonyme tiré des aventures de M. Pickwick. Albums, aquarelles de neige, lui valent une certaine célébrité avant la guerre. Après, l'alpiniste devient voyageur et comme chef de mission en Égypte (1954), en Grèce (1958), comme membre des expéditions françaises en Islande et au Groenland (1962) il rapporte films et livres.

En 1967, c'est encore la défense et illustration de la montagne qu'il entreprend dans son roman Le Fou d'Edemberg, un des favoris pour le Goncourt de l'année. Des récompenses, le spirituel dessinateur de « l'Opéra des pics » ou de « Sous l'œil des choucas » en a obtenu par ailleurs : le grand prix littéraire de Nice en 1952 pour Comtes à pic, le Grand prix international du film de montagne et le premier Prix international du film d'exploration. »



Samivel personnalise la montagne



Les pierres ont une peau rugueuse.

La muraille repousse le grimpeur.

Le manteau lourd de l'ombre s'effondre.

Les ruisselets tracent des chemins fantastiques sur la peau des pierres qui font un festin

« Vivants, vous n'avez pas accepté en vain de paraître une fois au festin des pierres » (p112)

Le sommet nous fait signe.



« Ce monde de rêve n'admet point, hélas ! les rêveurs. Il exige un sens aigu des réalités, une attention scrupuleuse et mesquine, car nulle part, peut-être, on y dresse autant d'embûches à nos carcasses » (p 67)



Samivel fait l'éloge de la jeunesse



« Sept heures du matin, dix-neuf ans d'âge et du vide plein les poches... Allez ! Voilà qui vaut bien tous les systèmes fabriqués pour le bonheur des hommes par tous les philosophes barbus, macaroniques et poussiéreux. Nous ne savions pas exactement pourquoi nous étions heureux, mais nous l'étions bel et bien. Heureux comme des poulains échappés. Heureux de tout, du ciel bleu, du beau granit, de l'air grisant, de l'avenir doré, de nos membres dociles.Heureux de nous retrouver si forts, si définitivement invincibles » (p 76)



« Soudain les doutes s'évanouirent. Les horizons s’arrêtèrent de danser, les abîmes de tourne par bandes autour de nous, comme d'avides requins. de nouveau la solidité des granits s'infusa dans nos veines, et trois garçons pleinement heureux se penchèrent en souriant sur un monde sans poids et sans problème plein de bulles dorées de plumes de lumière, de harpes, d'étoiles. Le cercle des grands rocs s'inclina sur la faible caravane, et ils furent autant de génies amicaux. Alors le sommet nous fit signe, notre dernier sommet de l'été.

.............

« Vallées, jalouses vallées ! Vous tirerez sur le fil ce soir, et il faudra bien obéir. Mais vous ne tiendrez que nos corps. Sachez-le-nous avons fait un pacte avec le seigneur des dures cimes qu'il n'est plus en notre pouvoir de rompre, jusqu'au jour où peut-être une sagesse inconnue entrera dans nos cœurs... Ou les montagnes, les scintillantes montagnes deviendront inutiles ».



Samivel est théâtral



Il pose le décor « Midi. Quatre mille mètres d'altitude »

La personnalisation de la montagne conduit Samivel à un dialogue théâtral. La montagne est douée de voix qui sermonnent l'alpiniste. Il y a la voix de l'amour et celle des démons. Tour à tour ils tentent d’entraîner le montagnard dans la chute.

Dans l'amateur d’abîme naît ainsi « le chœur des démons-invisibles-qui-peuplent-le-vide-béant ».

C'est ce qu'on peut appeler un exercice de rhétorique. C'est une aventure étonnante que la culture grecque et latine, mais aussi le Faust de Goethe, donne naissance à un des plus beaux livres sur la montagne.



Samivel définit son style d'aquarelliste



Pendant qu'il est à Chamonix un jour de mauvais temps Samivel visite une exposition de peinture d'un peintre de la montagne appelé Gabriel Loppé :

« ...Qui au siècle précédent dépensa des kilogrammes de céruse sur des kilomètres de toiles sans soupçonner apparemment que l'évocation de la grandeur et des espaces n'a rien à voir avec la dimension du tableau. » (p 138)



Puis il continue sur son style dans deux autres passages :

(p 236) « C'était la courbe à la fois soumise et passionnée de l'arc ogival, un élan amoureux des neiges vers l'azur ».

« L'illusion de la possession. Car cette cime avait été « nôtre » comme nous disons dans le naïf langage de montagnards ».

« tandis que nous la regardions la cime se dématérialisa lentement. Il y eut d'abord une gaze légère qui se remplit entre elle et nous »... "En dehors de nous autres et de l'arête, il n'y avait plus que les images fuyantes d'un rêve, un grand délire de l'espace, une fantasmagorie souriante ou les neiges, les brumes et les ombres liaient et déliaient sans une seconde d'interruption les figures innombrables de leur danse » (p 240)



Samivel fait la nécrologie des alpinistes morts en montagne



La nécrologie est un éloge mortuaire qu'on récite ou qu'on publie à la suite d'un décès. L’éloge des morts est la partie la plus inspirée de l'amateur d’abîme tout à la fin du livre :



« Et puis voilà. Vous vous êtes envolés des parois, mais vos corps disloqués sont retombés en bas des pentes. Et nous avons longtemps tâté avec des doigts tremblants avant de comprendre que ces simulacres étaient vides. Et ils étreignaient le sol avec tant de force, et ils étaient tellement pressés de retourner à la terre, tellement avides de l'étreinte molle de la terre que nous n'étions pas trop de huit vivants pour venir à bout d'un seul mort, d'un mort scandaleux. Pas mort pour la Foi, ni pour la Science, ni pour l'Art ; pas mort non plus pour la Patrie. Ni pour aucune majuscule. Mais mort, simplement mort, et puis voilà...nos motifs apparents ; pour le plaisir, bêtement, comme ils disent ; car ils ne peuvent pas comprendre. Mais nous vos camarades -parce que nous avons été malades du même mal- nous savons que vous êtes morts de jeunesse tout simplement.

Trop dur le roc et la neige trop brillante, et vos cœurs trop croyants ; les aurores trop vibrantes, vos muscles trop fidèles et le ciel bien trop proche... Et le suc du vide tellement enivrant... Et les choses tellement hors de toute mesure, tellement au paroxysme d'elle-même... que les raisons de vivre se décolorèrent et s'évanouirent en vous, comme les nuées au lever du jour. Ainsi, vous fîtes le Pas sans même y prendre garde, et l'abîme s'empara de vos corps et les suça jusqu'à l'âme. »



Ce thème est un tabou. Il est interdit de faire l'éloge des morts en montagne. Par exemple, le grand grimpeur Lachenal est mort dans une course gracieuse qui est la traversée des grands charmozes. Il fit un pas de côté et disparut pour toujours. Ce fut une belle mort qui donne à la montagne une valeur sacrée difficile à égaler. C'est pourquoi l'œuvre de Samivel a pris une valeur ethnologique.



Mélèze



Note de Samivel sur le don de son œuvre au musée ethnographique de Genève (MEG)

« Pour éviter toute dispersion de mes oeuvres après ma mort, j’ai décidé d’en faire don à un organisme à vocation culturelle capable d’assurer la protection morale et matérielle de l’œuvre et de veiller à ce qu’elle demeure accessible au public.

D'autre part, j'ai dû constater à l'occasion de diverses circonstances que dans mon propre pays, certaines considérations qui n'ont rien à voir avec la culture, les arts et les lettres, dépendant des opinions ou des capacités de tel ou tel responsable ou décideur, de la mode ou de choix politiques, pouvaient compromettre ou même annuler l'effet des intentions du donateur.

En conséquence, une telle donation doit être faite au profit d'un organisme situé - si j'ose dire - en territoire neutre, à l'abri d'intention négative, donc à l'étranger, mais dans un pays de culture française. La Suisse romande me paraît toute désignée, région à laquelle m'attachent d'anciens liens de sympathie… »



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