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Road Movie, USA - B. Benoliel et J-B. Thoret
lundi 23 janvier 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret

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DES GODOT CELESTES ET (E)MOUVANTS

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“Road Movie, USA” par Bernard Benoliel, Jean-Baptiste Thoret. Editions Hoëbeke, Paris.

Le Road Movie est un genre spécifiquement américain lié à sa mythologie à son histoire et à son espace. Jusque-là peu d’ouvrages lui ont été consacrés. Le livre de Benoliel et Toret vient remplir ce vide et réparer cette lacune. Comme le rappellent les auteurs ce genre se définit par son « atteindre un là-bas » plutôt qu’un ici. Il signale donc toujours un mouvement - souvent crépusculaire. « Easy Rider » en est le modèle. L’objectif est de prendre la route dans l’espoir d’un Eden. La route est un espoir, une promesse parfois folle.

C’est pourquoi les auteurs font remonter (entre autres) la genèse du genre au « Magicien d’Oz » puisque ce film représente la synthèse absolue de ce désir et de son ambiguïté. « Alice n’est plus ici » ou les Road Movies de Lynch reposent tous sur la quête présente dans le magicien d’Oz, son désir de route rectiligne (ligne droite du Kansas) et de la spirale (mouvement métaphorique) qui amène à la cité d’émeraude où le mythe s’effondre. Si bien que l’héroïne garde en elle une contradiction : atteindre l’endroit idéal revient à comprendre qu’il fallait aller d’où elle était partie. Néanmoins le voyage est nécessaire à cette prise de conscience.

Il arrive d’ailleurs qu’entre-temps le chez soi s’est évaporé. Principalement dans les Road Movies des années 70. Ces dernières synthétisent sa période majeure. L’espace dans cette époque devient la mesure physique du temps. Le Road Movie est donc un espace-temps où le trajet se fait de l’Ouest à l’Est à l’inverse du western. Il dit parfois aussi que l’avancée est aussi une forme de recul : l’aller plus loin est un retour sur soi comme « Macadam Cow-boy » le prouve par exemple.

Pour les auteurs – et c’est là un de leurs apports originaux - l’origine du genre prend sa source dans un genre demeuré fantôme : le Boat-Movies qui aurait montré l’arrivée des émigrants d’Europe. 17 millions de futurs américains sont passés par Ellis Island. Il y eut là d’ailleurs sur l’île proche de Manhattan 3000 suicides, en particulier de refoulés qui préférèrent la mort à un retour. Ce genre restera donc masqué et virtuel à l’exception de deux films : « America, America » de Kazan et « L’Émigrant » de Chaplin. Les deux étaient d’ailleurs appelés par le roman inachevé (car impossible) de Kafka « L’Amérique ».

Dans les années 30 « Les Raisins de la Colère » et « Les Mendiants de la vie » annoncent aussi le Road Movie. Le premier surtout. Il en reste le film matrice par excellence. Il en fixe déjà tous les codes. Ce film demeure une sorte de Road Movie « contraint », forcé et se concentre les grands thèmes du genre : prendre la route de l’espoir, rencontrer un monde social différent fait de communautés parfois marginales ou marginalisées (Indiens, hippies, femmes).

Prendre la route comme le propose le Road Movie représente un moyen de prendre la température de l’état des lieux américains. Ainsi d’un Fonda (Henry dans « Les raisins de la colère ») à l’autre (Peter dans « Easy Rider ») il y a donc un marqueur métaphorique. Toutefois dans les deux films la route est bien différente. Le premier « sent » encore la conquête de l’Ouest et l’espoir. Dans le second l’horizon se bouche - à l’image de l’Amérique elle-même quelque temps plus tôt dans les années 50.

Comme le prouve le sublime « Stranger than Paradise » premier film de Jarmusch le voyage devient errance sans grande illusion. On « glande » plus qu’on avance. On devient prisonnier du désert comme dans les films américains de Wim Wenders. Et si un temps le trop d’espace tuait l’espace désormais la porte se referme. Le western et son espace à conquérir devient impossible. Et même « Les Misfits » en est un exemple en devenant la mort du Western.

Désormais la route se prend sur une modalité critique plus qu’onirique. Il y a soudain une « paranoïaisation » de la route. Le Road Movie devient le genre du désenchantement. Il est à noter d’ailleurs que beaucoup de ces films font référence aux années 30 (« Bonnie and Clyde » par exemple) comme s’il fallait aller chercher la sincérité plus avant que dans les trop proches années 50. Exit Rock Hudson et Doris Day, exit Ike (Eisenhower) pour les cinéastes de la contreculture. Et les années repoussoirs des années 30 semblent paradoxalement pour ces réalisateurs une sorte d’eldorado ou une époque de vérité et de radicalisation que les années 70 cherchent pour elles-mêmes.

Il y a là sans doute une idéalisation comme dans « En route pour la gloire » au parfum de nostalgie douteuse. Mais entre les années 30 et 50, les deux auteurs mettent en évidence l’importance d’une série de films d’animation inattendue. Pour eux Bip-Bip et son « double » le Coyote décharné de Chuck Jones sont les ancêtres acrobatiques du Road Movie. Cette série représenterait donc le lien entre le western et Beckett ainsi qu’une nouvelle version d’un mythe de Sisyphe " horizontal ". Le have coyote poursuit à l’infini la quête d’un rêve qui lui échappe systématiquement.

Mais c’est un cinéaste moyen - Dennis Hopper - qui va donner ses lettres de noblesse au genre même si des films comme « L’Épouvantail » ou « Macadam à deux voies » sont sans doute bien plus forts et coruscants. La place leader d’ « Easy Reader » est donc plus historique qu’esthétique. Même s’il ne faut jamais oublier que ce film reste profondément dépressif et négatif. Il va de l’avant dans le rétroviseur : Hopper imagine son film comme un western moderne.

Le Road Movie fera par ailleurs la part assez belle au féminin : « Telma et Louise », « Alice n’est plus ici », « Les gens de la pluie », « Vanda » restent tout sauf des films anecdotiques. D’autant qu’une de ses ambitions est de relire l’histoire américaine sans violence pour remettre en vue les oubliés. Et si les femmes dans le western n’eurent pas droit au chapitre avec le Road Movie elles proposent leurs propres dérives et recherches. Il en est de même avec d’autres minorités : l’Indien comme le déclassé dont les premiers furent incarnés par Keaton (« Tramp, tramp, Tramp ») et bien sûr Chaplin et son Charlot clown et clochard nomade malgré lui et errant.

Seul reproche à cette approche : la sous-évaluation du cinéaste qui justement fait la synthèse de tous les déclassés - pauvres blancs, noirs, femmes, étrangers et indiens - et représente l’acmé du genre : Jim Jarmusch. Sans lui le Road Movie ne serait ce qu’il est puisque tous ses films ne sont que des secondes et des tierces (plus que majeures) sur la ligne mélodique du genre. On peut même dire que son « Dead Man » en reste l’exemple absolu et indépassable de même que « Stranger than Paradise », « Coffee and Cigarettes » ou « Mystery Train » restent à leur manière des références essentielles.

Le genre reste donc capital à qui veut comprendre le cinéma et la culture américains. Il montre comment les fantasmes se défont. Certes dans la lignée des Ford ou Penckinpah des réalisateurs tels que Cimino et Eastwood vont reprendre le genre dans une sorte de reconstruction et de réenchantement de la route. Mais ce temps du Road Movie n’est sans doute pas le plus réussi. Pour ces réalisateurs et selon un politiquement et cinématographiquement corrects il faut panser les blessures d’un pays et faire ressortir la puissance d’un peuple. Ces auteurs ont oublié que ce n’est pas avec les bons sentiments que se créent les films les plus probants.

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