mardi 4 août 2015 par penvins
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L’homme s’en va qui était venu chercher le paradis là où déjà il n’était plus. Prix Renaudot 1954, Le passage, réflexion sur l’agonie d’un homme peut aussi être lu comme l’histoire de la fin d’une civilisation que l’auteur appelle le paléo-Tahiti. Ce Tahiti d’autrefois c’est le Tahiti d’avant l’arrivée des Européens, c’est aussi le Tahiti que Palabaud vient de quitter rejoignant sa ville d’enfance - Lyon - pour y mourir.
Palabaud savait bien que la mer est le paradis et il y avait accédé. Il y a dans l’aboutissement de cette quête, l’évocation de la petite mort. Si imparfaite fût-elle cette satisfaction a eu lieu, sans doute Palabaud a-t-il trouvé auprès de Vaite ce qu’il était parti chercher au-delà des mers. Un lieu sans interdit. Cet interdit si fort que les prêtres du collège lui avaient signifié avec d’autant plus de cruauté qu’ils se doutaient bien eux-mêmes des raisons inavouées de son existence.
Il sut plus tard qu’il n’est pas possible qu’un prêtre conserve intacte la foi de sa jeunesse. Chassignole, celui qui avait tout fait pour son renvoi, sans doute pas plus que les autres, ne croyait à la justesse de cet interdit, lui qui, par ailleurs, tentait d’échapper à la condition ecclésiastique : La raquette, la machine à écrire, armes symboliques pour combattre un destin rétif, avaient signifié un refus, une affirmation d’amour de la vie. La vraie signification de ce refus de la chair ne serait-elle pas alors à chercher dans cette voix qu’Orrsini, surveillé par sa femme et sa belle-mère entendait lui dire ? : Je t’en supplie, ne regarde pas les femmes comme ça... Antoine, vous allez perdre votre autorité sur les indigènes... Un interdit, instrument du pouvoir. Tahiti serait le lieu où le pouvoir mortifère ne peut s’exercer, le lieu où l’odeur ecclésiastique ne se fait pas sentir, cette odeur puante que décrit Reverzy et qu’il tient pour spécifique de l’Église depuis l’odeur des corps jamais baignés des séminaires jusqu’à celle des prélats, identique mais tellement plus raffinée.
Palabaud savait bien que la mer est le paradis et il y avait accédé. Reverzy semble nous dire que la mort n’est si terrible que pour ceux qui, exclus de la vie par le dicktat des prêtres, n’ont pu atteindre le paradis de leur vivant. Pour Palabaud qui sait et ne craint pas de dire qu’il va crever, la mort est naturelle au point qu’il doute qu’aucun médecin ne puisse l’en préserver. Il mourra sous l’œil attentionné d’une vieille religieuse que la vie aura débarrassé des préjugés ecclésiastiques.
Ce roman obtint le Prix Renaudot, en 1954, et s’il raconte l’agonie de la civilisation tahitienne, il dit aussi en filigrane la fin de l’influence de l’Église et la disparition de l’odeur morbide de ses prêtres puisque même eux, finissent par ne plus croire aux dogmes qu’ils professent. Le supérieur discrètement - après avoir totalement perdu le contrôle de ses nerfs - met dans sa poche le soutien-gorge que l’élève gardait comme une relique. Dans sa ville d’autrefois les – gens vivaient comme si la mer n’eût pas existé - mais, lui, Palabaud, savait que quelque part avait existé un paradis que l’Europe non seulement refusait de voir, mais qu’elle avait corrompu livrant son innocence à quelques vieillards libidineux.
Cette littérature, dont le style n’a pas encore été emporté par la vague du nouveau roman, nous parle d’un monde profondément humain, j’ai pensé en lisant ce roman à deux auteurs eux aussi à l’écart des modes de leur temps, qui étaient encore enracinés dans le monde d’avant-guerre et loin de l’agitation littéraire de la capitale, Roland Cailleux et Pierre Molaine, l’un était médecin comme Jean Reverzy et l’autre mourut à Lyon comme Palabaud, sans doute pas un hasard.
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