jeudi 2 octobre 2014 par Jean-Paul Vialard
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Ma vie folle - Richard Morgiève.
Biographie de l'auteur ( Source : Wikipédia).
"Richard Morgiève, né à Paris le 9 juillet 1950, est un écrivain et scénariste français. Il est aussi acteur à ses heures. Ses œuvres sont principalement des romans mais il est aussi l'auteur de plusieurs pièces de théâtre. Il peint aussi (expositions récentes : La Roche sur Yon, Le Grand R, 2008)
Richard Morgiève devient très tôt orphelin : sa mère meurt d'un cancer du col de l'utérus alors qu'il n'a que sept ans, et son père se suicide quand il en a treize. Il vit ensuite une adolescence chaotique, au cours de laquelle il se débrouille en dealant du faux haschisch, entre autres activités, avant d'entamer toute une série de petits métiers. Il publie son premier livre, un recueil de poèmes, à compte d'auteur à l'âge de vingt ans mais, honteux et écœuré de devoir payer pour être lu, il s'interdit d'écrire pendant dix ans. Il exerce tour à tour des emplois de débrouille tel fort des halles, employé de bureau, ouvrier, mécanicien, peintre en bâtiment, plâtrier, représentant, colporteur, déménageur de caves, standardiste ou chauffeur poids lourds. Foncièrement autodidacte, Richard Morgiève publie, à l'âge de trente ans, en 1980, son premier livre à compte d'éditeur : un roman policier. Dès lors, il ne cessera plus d'écrire, entamant véritablement son œuvre personnelle avec la publication de son premier roman de littérature générale, Des femmes et des boulons, en 1987."
Présentation de l'éditeur.
"Un
homme raconte sa vie folle. Une vie décapitée par la
mort de ses parents. Sa mère vidée comme un poisson par
le cancer quand il était petit garçon. Son père,
qui a ouvert le gaz des années plus tard ... Etre, alors,
quand on est orphelin, c'est quoi ? Afin de briser ces " chaînes
en crêpe noir ", l'homme écrit. Sa grande aventure
de débarrasseur de cave avec les camions pourris et les
copains jamais perdus, sa sexualité, ses amours, jusqu'à
cette femme qu'il aime et qui lui dit qu'elle l'aime moins.
L'entendre et crever ? L'homme écrit comme l'exécution
de la peine capitale. Pour trancher le mal une fois pour toutes. Pour
retrouver, petit soldat perdu dans la chair de ses parents, leur
immense Amour manquant.
Mettre la tête dans le trou de la
mort, trouver les mots comme remparts, comme seul pouvoir : écrire
pour survivre. Foudroyante auto-fiction, Ma vie folle est une quête
éperdue de l'être. Richard Morgiève s'impose une
épreuve inhumaine où la vérité s'écrit
dans la peau. Magnifiquement.
Il
signe le premier volet d'un brûlant diptyque annonçant
Ton corps.
Ecrivain
et scénariste, Richard Morgiève est notamment l'auteur
de Un petit homme de dos (Ramsay, 1988, réédité
en 1995 chez Joëlle Losfeld), Fausto (Seghers, 1990, Robert
Laffont, 1993, prix Point de Mire et prix Joseph Delteil, adapté
au cinéma en 1993 par Remy Duchemin). Des derniers livres Sex
Vox Dominam (Calmann-Lévy, 1995), Mon beau Jacky
(Calmann-Lévy, 1996), et Le garçon (Calmann-Lévy,
1997) peuvent être lus comme une trilogie de l'enfer."
Commentaire.
Lire Morgiève c'est renoncer à une part de soi afin de laisser émerger l'autre, celui qui écrit, celui qui peint afin d'exorciser cela qui le cloue sur place et le contraint à vivre dans l'exil. Comment trouver sa place parmi les hommes alors même qu'on a été décapité, touché dans le profond de sa chair, privé de ses repères existentiels : mère terrassée par la maladie, père mettant fin à ses jours ? Orphelin avant même d'avoir pu éprouver les liens qui vous attachent à vos racines fondatrices. Parcours hémiplégique, titubant, et pourtant il faut continuer d'avancer. Hémiplégie, certes, plus imposée que consentie. Jamais on n'accepte de faire du surplace, de progresser comme le mime qui feint d'aller vers son destin alors que ses jambes tricotent les mailles étroites d'un lieu timbre-poste. Hémiplégie, certes, mais aphasie jamais. Le langage, il faut le faire se dresser aux quatre vents, le hisser dans une manière d'oriflamme disant la stupeur de vivre en même temps que le constant émerveillement qu'elle est, la vie, alors qu'on essaie d'en extraire la pulpe vive. Convoquer le poème, mais aussi la prose urticante, verticale, le lexique taillé à la hache afin de faire rendre raison à cela même qui vous fuit et vous dépose sur les rives de l'inconnaissance de vous. Comment se connaître et tracer son chemin, dès l'instant où les mains qui étaient censées vous guider dans l'existence ne sont plus que de lointaines hallucinations, de nébuleuses fictions clôturées avant même d'avoir pu proférer quelque signification ? Comment ? La drogue est une impasse, le sexe trouve vite ses limites. Il ne reste plus que l'écriture pour dire ce que la vie a omis d'expliquer, plus que la peinture pour tracer sur l'aire vierge de la toile ses cris de chair et de sang. Mais, si ces deux voies sont, chacune à leur façon, un médium pour faire jaillir hors de soi ce qui y demeure occulté, elles ne le sont qu'à titre de différence. L'écriture est de l'ordre du père; la peinture s'origine bien davantage dans l'aire maternelle. C'est ce que nous dit Richard Morgiève dans l'extrait ci-dessous, à partir duquel nous tâcherons d'établir une brève thèse sur ce qui semble se jouer au travers de ces deux véhicules aussi complémentaires qu'opposés dans leur essence même.
L'extrait.
"Pour écrire il faudrait que je sois démoli et vaincu je veux dire pour finir ce que j'écris là il faudrait que je sois foutu pour écrire beau et vrai ? comme si rien ne pouvait coexister avec l'écriture ? rien qu'une certaine vérité qui serait la mort ?
Je prie mes mains de m'aider à sortir vivant de ce piège si je n'arrive pas à écrire je suis condamné.
(…)
La musique est dans mon sang mes mots doivent tonner et la peinture crie toute saignante comme de la peinture rouge dans les veines et j'ai peint un homme noir rouge et blanc qui a l'air fou ou de souffrir c'est juste un buste je n'arrive pas à imaginer combien la peinture a pris de place et du prix dans ma vie lorsque je regarde ce que je peins j'ai le sentiment d'être riche.
C'est ma troisième femme qui m'a dit que je devrais peindre la peinture me rend plus altruiste plus heureux et plus humain que l'écriture.
Il faut que j'arrête d'écrire ?
Et pourquoi la peinture me donne-t-elle cette impression de richesse ? et pourquoi la peinture me rend-elle plus juste que l'écrit pourquoi je peux accepter d'être un petit peintre et non pas un petit écrivain ? parce que je ne peins pas pour être peintre mais pour peindre ? pour revenir vers ma vie que j'ai quittée parce que j'étais touché à mort ?
Enfant je peignais je n'écrivais pas c'est plus tard que j'ai voulu être poète à l'époque où papa s'est suicidé.
J'aurais écrit pour raisonner la mort de mon père ?
Je me serais mis à peindre pour me rapprocher de ma mère ? "
Essai de libre interprétation.
"J'aurais écrit pour raisonner la mort de mon père ?
Je me serais mis à peindre pour me rapprocher de ma mère ? "
Dans ces deux dernières phrases tout est dit de ce qui semble opposer dans une manière de radicalité irréductible, écriture et peinture, verbalisation et expression picturale. Mais énoncer ceci ne suffit pas et, afin de ne pas demeurer dans un genre de pétition de principe, il est nécessaire de s'interroger sur la validité d'une telle assertion. Si peinture et écriture semblent procéder de deux démarches opposées, l'une en relation avec l'image du père, l'autre relevant de l'aire maternelle, tout ceci doit bien avoir quelque fondement. Et, à défaut de pouvoir en donner une explication logique, contentons-nous de convoquer une manière de "fable fluviale" par laquelle une visualisation du problème sera possible. Souvent, l'existence humaine a été métaphorisée sous l'image d'un fleuve s'écoulant depuis une origine jusqu'à une fin. Suivons, par la pensée, l'événement dont il est ontologiquement investi. Devenons ce fleuve lui-même et ouvrons nous à notre propre destin.
Au début, au tout début de la nidification, alors que nous ne sommes qu'un germe replié sur sa propre origine, nous occupons l'aire maternelle avec toute la densité nécessaire à notre futur accomplissement. C'est le lieu fondateur, le lieu de la source. Chair contre chair. La conque amniotique est cette douce présence, ce battement d'eaux océaniques, ce flux et reflux habités de plénitude. Il n'y a pas de séparation, pas de frontière qui, déjà, pourraient être amorces de division, de fragmentation. Nous sommes immergés dans la dyade unitive, nous vivons en écho, nous sommes langage corporel auquel répond un autre langage corporel. Rien n'agresse, rien n'est pourvu d'angles ou d'abîmes dont notre intégrité aurait à souffrir. Tout est si intimement réalisé, harmonie des souffles, coalescence des métabolismes, homologie des rythmes sanguins, symbiose parfaite des tissus; tout est tellement alloué à une sorte de flottement immémorial que le monde fait phénomène avec l'amplitude d'une cosmologie heureuse, avec la grâce infinie des harmonies naturelles. Le sablier retient encore pour quelque temps l'écoulement de ses grains de silice, l'espace fait son bruissement de gemme, la distance est sans distance. Notre propre mesure est si peu métrique, si peu déterminée par quelque principe de raison que tout s'informe de soi, que tout se dispose à s'écouler vers l'aval de l'existence dans une irrésolution qui semble n'avoir pas de terme. Sentiment d'éternité, suspens pré-nycthéméral - il n'y a encore ni nuit, ni jour mais une seule ligne continue -, long poème comme ivre de lui-même.
Il n'y a pas encore de langage, sauf ces mots non proférés, sauf ces pulsations intimes s'offrant sous les auspices d'un séjour parmi les eaux baudelairiennes de vers apaisés :
"Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté."
Et, dès lors que tout s'installe dans une évidence sereine, nul besoin d'une rhétorique pour se dire et révéler son être. Tout est directement perceptible à l'aune de quelques mouvements, de quelques translations, de quelques touches sur la toile de fond dont nous faisons l'expérience à l'orée de notre singulier destin. Le sens qui, plus tard, jaillira par le truchement des mots, voici qu'il est immédiatement donné par la fusion des chairs. Langue tactile, vibratoire, tissulaire tellement semblable à celle du peintre projetant sur le subjectile les touches silencieuses qui donneront lieu au tableau. Donation sans médiation de la chair de l'artiste en direction de la matrice réceptrice, celle qui ouvrira un monde et révèlera le pur miracle de l'art. Symboliquement, il n'y a pas de différence visible entre le geste pictural qui relie le créateur à son œuvre et notre propre geste intra-utérin lorsque nous nous signalons à l'aire abritante, à savoir la mère, laquelle, encore, n'est pourvue d'aucun nom. On ne peut nommer que la chose avec laquelle on se différencie. Le peintre, lui aussi, s'adresse à l'inaudible, à l'invisible dont son geste est l'ébauche en même temps que le terme. Nul besoin d'une élaboration mentale, d'une verbalisation qui viendrait troubler le creuset des affinités. Il n'y a pas plus de distance entre Cézanne et la Sainte-Victoire qu'il n'y en a entre l'être-en-devenir que nous sommes et celle qui, par nous, devient recueil et déploiement d'existence. Là, dans la zone sans interférence du site amniotique, se déplie le langage silencieux des chairs œuvrant à leur propre efflorescence. Lieu pré-langagier par excellence, lequel s'adonne, identiquement à l'atelier du peintre, au silence des corps en attente de leur propre métamorphose. La portée au jour de la toile qui dira l'être-du-peintre est comme une longue parturition en attente d'une libération des eaux primitives.
Jusqu'ici, notre propos s'est entièrement situé dans l'orbe maternelle et ceci pour la simple raison que le langage articulé n'a pas encore fait son apparition. Langage souterrain, fluide, retenu par des barrages de moraines et des verrous de pierre. Une tension avant la libération. Mais bientôt le barrage cède, la perte des eaux a lieu, en même temps que notre être longuement contenu en son enceinte se libère et s'ouvre à l'existence par ce cri dont il est urgent de dire qu'il constitue le premier acte de langage par lequel l'homme signale son entrée en présence sur les rives du monde. Le cri est langage premier. Et c'est ici que le père entre en scène. Et c'est ici que le glaive - l'allusion phallique est évidente -, tranche dans le vif, séparant mère et enfant afin que puisse s'instaurer la Loi par laquelle l'inceste toujours possible aurait pu avoir lieu, barrant l'accès au langage. C'est à partir d'ici que la réalité se clive, que s'opère la césure différenciant les chairs, chair de la mère demeurant en-deçà du langage, chair du nouvel existant s'affirmant sous l'autorité du père. Du père langagier instituant l'ordre des prédicats du monde. Nul retour en arrière qui permettrait une perte dans une chair fantasmatique oublieuse d'un ordre social. Nommer et être-nommé, c'est renoncer à demeurer dans "l'in-signifiance" de l'abri primitif, c'est prendre cet essor nous installant dans le fleuve étincelant après que les eaux matricielles auront été abandonnées, simple lieu d'une nostalgie dont le deuil est à faire, en permanence. Le cours des vives eaux est atteint qui conduira vers l'estuaire et, en dernier au seuil des abysses marines.
L'irruption du cri en tant que langage, la survenue du père comme porteur du glaive séparateur correspond à un changement de régime ontologique. La métamorphose a eu lieu qui crée des territoires distincts : celui de la mère définitivement situé sur le versant de la chair anticipatrice du sens, alors que celui du père institue l'ordre qui permet à ce sens d'investir le règne de la raison. Si la source primitive était le lieu du pinceau et de la simple picturalité, ce qu'a effectué symboliquement l'irruption du père c'est d'opérer la résurgence au plein de la lumière de l'instrument par excellence du langage, à savoir de doter le parlant du calame grâce auquel l'écriture incise le palimpseste du monde, y déposant la parole multiple et fécondante de l'homme. Ce qui était poème dans le giron maternel - donc encore rattachement à la simple rêverie charnelle, à la picturalité chatoyante - devient, par l'intercession du père, prose effective à laquelle se référer et s'inscrire dans le dévalement nécessaire du cours de la vie.
Maintenant, reprenant à nouveaux frais les deux phrases liminaires de Richard Morgiève, nous saisissons mieux la raison qui le pousse à affirmer :
"J'aurais écrit pour raisonner la mort de mon père ?
Je me serais mis à peindre pour me rapprocher de ma mère ? "
"Raisonner la mort du père" emprunte prioritairement la voie de l'écriture, laquelle se réfère à la Loi dont celui-ci, le père, est le garant le plus sûr. Écrire le père, c'est le replacer là où, de toute éternité, la figure de l'autorité l'installe comme celui par qui l'ordre du monde trouve sa nécessaire configuration.
Le "rapprochement" avec la mère empruntant le médium de la peinture, à savoir cette pâte dont la texture n'est pas sans évoquer ce dialogue des chairs initial dont le souvenir nous hante mais que la loi maintient à distance.
Enfin, souvenons-nous, pour clore ce rapide débat que le cri - en tant qu'archétype du langage - a été le convertisseur indispensable pour opérer notre passage du sens pictural primitif au sens langagier accompli, celui qui nous dispose à cette écriture dont Morgiève fait un si bel usage, tantôt scalpel qui dépouille, tantôt rudesse à peine appuyée qui dissimule une véritable sensibilité.
Alors, comment mieux dire l'ambivalence, le partage en deux de la personnalité, le désir occulté de l'inceste, la violente symbolique du père qui sépare par le geste castrateur du langage de la source accueillante; comment mieux exprimer qu'à l'aune de cette écriture qui est, elle aussi, long et infini déchirement ?
"C'était un acte sexuel un acte de magicien en peignant des jeunes femmes en bonne santé et blondes avec des robes violettes je voulais une mère en bonne santé pour prendre TOUTE la place de mon père lui faire TOUT ce qu'il lui faisait ? en peignant pour maman des sortes de symboles de féminité et de vie je faisais une prière et tout en même temps un acte sacrilège ?"
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