Le déclin de l’Occident - Oswald Spengler
jeudi 17 janvier 2013 par Meleze

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Certains comme Georges Belmonû ont eu l’avantage d’ouvrir ce livre à sa publication tandis que d’autres ont dû attendre l’apparition des livres gratuits à lire en ligne sur internet pour y accéder.
Il y a dans cette inégalité d’accès quelque chose qui semble provenir du contenu même du livre de Spengler dont la lecture a été condamnée par la période nazie et dont l’oeuvre revient à la mode seulement un siècle plus tard.
C’est un livre que vous pouvez lire sur internet en anglais ou en allemand mais pas en français où les droits d’auteurs continuent d’être monopolisés. Évidemment c’est plus facile si vous avez une tablette. Cependant la tablette ne simplifiera pas le style de l’auteur qui est vraiment un style très compliqué. Les phrases sont longues. L’auteur est extrêmement constructif et prend le temps de présenter les arguments auxquels il s’oppose de telle sorte qu’il est très facile de se tromper sur la thèse finale. Oskar Spengler est un homme d’une culture vraiment étendue qui a touché à peu près à tout ce qui est arrivé avant la Première Guerre mondiale. En écrasant les lecteurs de sa culture il pratique aussi beaucoup l’argument d’autorité.

"Le déclin de l’Occident" est intéressant à lire car l’Allemagne n’a jamais été aussi puissante qu’au 21°SIECLE. Donc en matière de déclin SPENGLER repassera. Cependant ceux qui veulent bien nous suivre dans cette critique découvriront d’autres causes de faiblesse qui seraient bien capables de retourner encore une fois le destin.
C’est un auteur qu’il faut remettre à la mode car son idée de fin de la civilisation a été reprise au fur et à mesure que le réchauffement climatique se fait sentir par la disparition des glaces et des forêts. Le livre était sorti en 1922 en Allemagne. Spengler était un professeur qui avait passé la guerre à écrire son livre. Bien entendu le déclin de l’Occident lui est inspiré par le spectacle de la guerre des tranchées et par la défaite allemande. Cependant ce que nous voulons montrer ici en reprenant la plume pour parler de ce livre c’est que la 2° faillite allemande derrière Hitler n’est pas ce que prévoit Spengler. On a eu tort de le présenter comme un défenseur d’Hitler. Cet auteur est ce qu’on pourrait appeler un philosophe de la science. La façon dont il construit son thème principal correspond très bien à ce que veulent les écologistes aujourd’hui qui plaident pour l’arrêt du nucléaire.

Spengler est l’inventeur du concept de « World History » . Dans le tome 2 de son ouvrage il a cette formule célèbre « l’histoire mondiale est l’histoire du citoyen » (p 90) « la ville est un monde » (p 94) La mondialisation prévue depuis longtemps n’est donc pas une nouveauté. Quant au concept d’Europe (p18) bien qu’on la devine en déclin, il figure dès le début du livre dans l’introduction elle-même.

Il n’empêche que ce philosophe a été oublié pendant 100 ans parce qu’il a créé des tas d’autres concepts d’explication de l’histoire qui eux ne fonctionnent pas. Il emprunte la notion de la fin de la civilisation à Marx qui a construit l’idée d’une fin du capitalisme. L’idée d’une morphologie qui permettrait de prévoir l’histoire a été abandonnée par les historiens qui se réclamaient de Spengler tels que Toynbee et Huttington. D’autres concepts tels que Systematique la Physiognomique sont tombés en désuétude.

1. Il faut rentrer dans le détail des explications scientifiques pour comprendre l’idée de déclin
2. La France attachée à l’Allemagne peut connaître une nouvelle prospérité mais elle ne doit pas abandonner sa spécificité

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1

I Spengler philosophe de la science
On est en 1920, Spengler est ébranlé par la théorie de la relativité qui bouleverse les notions d’espace-temps. Pourtant il ne la nomme pas. Il ne cite ni Heisenberg ni Einstein. Il tente de faire le point par ses propres moyens. Au moment de la parution de son livre il a raison de parler de déclin à cause de la guerre qui a conduit l’Allemagne à la catastrophe et qui va se reproduire mais il a tort concernant les causes du déclin car en véritable scientifique il impute le déclin aux conséquences de la physique sur la civilisation humaine.

Spengler s’efforce de considérer toutes les philosophies qui l’ont précédé et de faire la synthèse entre le matérialisme et l’idéalisme qui s’affrontent si violemment en Allemagne à la fin du 19° siècle. Il ne tranche ni en faveur de l’un ni en faveur de l’autre. Il les enlace dans une danse perpétuelle qui les fait apparaître tour à tour dominant dans l’évolution scientifique universelle. C’est une façon très originale de présenter la science.

Le point de départ de l’enlacement entre matérialisme et idéalisme est parfois situé dans la Grèce ancienne entre Platon et Aristote. Cependant Spengler voit dans Goethe un prophète qui renouvelle entièrement cette contradiction majeure de la philosophie en répondant à Newton par sa théorie des couleurs. Spengler cite Goethe qu’il connaît par cœur et survole avec maestria « ce qu’on regarde n’est pas ce qui se voit » (théorie des couleurs) (p 95). En effet les couleurs peintes par les artistes ne représentent ni la composition chimique ni les longueurs d’onde de la lumière. « Le déclin de l’Occident » se révèle être une passerelle entre Goethe qui de son côté répond à Newton et à Werner Heisenberg qui utilise la même théorie des couleurs dans son introduction à la mécanique des quanta pour répondre à Einstein.

L’intérêt de cette présentation de l’affrontement entre idéalisme et matérialisme philosophique, c’est de montrer que la recherche scientifique tend à un retournement en faveur du matérialisme parce que l’humanité est confrontée au réchauffement climatique. La traduction anglaise donne une formule intéressante pour sortir du bon sens « becoming the become » qui est un peu l’équivalent du proverbe « tout ce qu’on regarde est en train de changer ». De même Goethe note aussi que « la métamorphose est la clé de tout l’alphabet de la nature » (p 100) Spengler arrive à l’idée de morphologie, ce que la vulgarisation scientifique nomme aujourd’hui le paradigme nature et culture. Est-ce que cela suffit à cerner la destinée humaine ?

the becoming the become
History Nature

L’impression que donne Spengler dans son premier Tome de remonter un peu plus loin dans la compréhension de la division entre nature et culture que les autres philosophes grâce à son extrême connaissance de Goethe s’efface assez vite. En fait s’il va plus loin dans la compréhension, il ébauche une construction conceptuelle puis perd son temps avec des catégories extrêmement complexes qui sont mal définies en philosophie. C’est ainsi que son chapitre sur la morphologie débouche sur rien. Il crée des mots tels que la Systématique (tensions law Nature and truths) et la Physiognomique (history rhythm form facts) qui ne seront plus utilisés par personne. Un paradigme comme celui de la nature et de la culture qui est utilisé pour des raisons de compréhension du développement des sciences n’a pas de conséquences en histoire. C’est très différent du socialisme dont on peut discuter les résultats mais qui a soulevé des foules.
On peut relire Spengler parce qu’un critique a écrit qu’il avait inspiré Jared Diamond (l’effondrement 2005) sur le déclin de la civilisation. Mais on peut constater au contraire que l’Allemagne est à son apogée déniant tout déclin. Il y a des considérations sur la construction culturelle du concept de temps qui ne sont pas inintéressantes. Il y a aussi la règle de lecture de lire Spengler sur le plan scientifique et non sur un plan historique étant donné qu’on est dans une période de puissance de l’Allemagne.

« le temps est un concept magique nous permettant d’échapper au chaos » (p 123)

C’est le domaine de l’expression « become the becoming » que nous n’avons pas essayé de traduire en français. "Become" concerne l’individu et ce qui peut lui appartenir et « becoming » le phénomène général de l’évolution. Ça intervient dans l’évolution du temps et ça revient dans le chapitre "symbolisme et espèce" p 173 :

« Here again we see how becoming and the become, direction and extension, include one another and are subordinated each to the other, according as we are in the historical or in the natural focus”

Le déclin de l’Occident dans son premier Tome offre une analyse de Kant qui n’est pas mal du tout. Il démolit le kantisme avec une facilité qui n’a d’égale que le sentiment de domination universelle que dégage Kant dans ce qu’il écrit. D’un seul coup d’un seul le kantisme est à terre parce que d’un coup dans la première moitié du 19° il se forme une idée de l’espace totalement différente de la civilisation classique issue des Grecs, l’espace à trois dimensions ce que la traduction anglaise rend par l’expression "the becoming is the basis of the become". Curieusement le contradicteur et le vainqueur de Kant n’est pas un philosophe mais le mathématicien Carl Gauss.

Spengler est très marqué par le conflit qui en Allemagne empêcha d’enseigner les mathématiques de Gauss à cause de l’influence du kantisme. L’intérêt d’un document PDF sur ordinateur c’est qu’on peut faire une recherche globale sur les quelques 1000 pages d’un ouvrage. Carl Gauss est le savant le plus cité par Spengler dans le moteur de recherche de « l’open library » et nous avons sélectionné une citation de la page 443 qui suffit peut-être à elle seule à exprimer comment le bouleversement de la science vient au centre de sa réflexion :

« the individual renounces by laying aside books. The Culture renounces by ceasing to manifest itself in high scientific intellects. But science exists only in the living thougt of great savant-generation and books”

Donc dans sa trajectoire Spengler est très clair. Il ne voit pas le déclin comme un destin, c’est-à-dire comme un reflux de la volonté, mais comme le résultat de la naissance de la physique atomique manipulation du noyau qui va créer les bombes atomiques et condamner les hommes à détruire ce qu’ils ont construit. La philosophie de Spengler a eu une influence durable sur l’hitlérisme qui malgré la guerre qu’il a conduite pour ravager l’Europe et la Russie a refusé de construire l’arme atomique tandis qu’aujourd’hui Russes, Américains, Indiens, Français israéliens, etc. qui ne sont pas des spengleriens et ne l’ont même jamais lu se défient au moyen de l’arme atomique et ne craignent pas de lui devoir la source de leur énergie électrique.

Selon Spengler le monde est devenu potentiellement fou à cause des maths ce qui sera lu comme une provocation par l’école française de mathématiques si fière de ses médailles en ce début du 21° siècle. La thèse est à juger sur l’affrontement général qui domine son livre, et qui est présenté comme l’affrontement « faustien » contre « apollinien ». Aussi longtemps qu’il fut « apollinien » le monde était simple carré, enraciné, visible, réel. Puis il est devenu « Faustien » en s’étendant dans l’infiniment grand et dans l’infiniment petit. A un moment donné que Spengler essaye de situer lorsque son prédécesseur le grand mathématicien Carl Gauss fait de la cartographie, on doit être vers 1830, dans cette partie des maths qu’on nomme géométrie, les axiomes euclidiens sont devenus insuffisants. Les surfaces décrites en n dimensions ont décollé de la réalité visible et ont ouvert la possibilité pour l’homme de détruire la planète ce que Spengler nomme « faustien » et que nous appréhendons comme fou ou diabolique !

« the classical mathematician knows only what he sees and grasps » (p82)

La séparation entre les 2 formes des maths commence avec la remarque que le mot « espace » n’existe pas en grec. Le classicisme ne connaît que l’individu et ses limites visibles.

Spengler à l’intuition de ce qu’on appelle aujourd’hui la morphogenèse. Ce qui me renvoie à la biographie de Laurent Lemire sur Alan Turing. On peut aussi ajouter que les marxistes dirigés par Lénine font une révolution dominée par le classicisme à une époque où la théorie de la relativité vient d’être écrite. Le marxisme n’a pas d’interprétation matérialiste de la théorie de la relativité. Le savant critiqué par Lénine dans matérialisme et empiriocriticisme est Ernst Mach et non pas Albert Einstein. Le marxisme a répondu à ce bond en avant de la science par la dictature. La Russie était poussée en avant par quelque chose qu’elle ne connaissait pas qui est une force obscure et indéfinissable qui allait la conduire vers l’atome jusqu’à contribution au déclin de l’humanité.

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Que peut-on dire des relations entre la France et l’Allemagne ?

Dès le début on trouve une contradiction dans cette œuvre car la civilisation dont on annonce le déclin est considérée comme étant à la fois européenne et américaine. C’est-à-dire que l’Allemagne selon Spengler veut englober les puissances victorieuses de la Première Guerre Mondiale dans sa démonstration du déclin. On peut dire que pour juger du déclin Spengler considère donc un bloc historique beaucoup trop étendu. Il n’est pas étonnant qu’il n’ait pas pu imaginer le retour de son pays au premier rang de la scène mondiale du 21° siècle.

On aura compris que déclin de l’occident ne signifie pas déclin de l’Allemagne, même si ce pays a perdu deux guerres mondiales, il n’est pas condamné au déclin parce qu’il a une indépendance vis-à-vis du nucléaire et de la science qui a conduit au militaire nucléaire à travers tout le 20° siècle. C’est cela la modernité de Spengler.

Il y a des moments très forts dans les intuitions de Spengler : par exemple ceci :" Les hommes ont lu Homère mais n’ont jamais pensé à fouiller la colline de Troie comme le fit Schliemann". Nous proposons aussi l’observation selon laquelle « aujourd’hui nous pensons en terme de continents » N’est-ce pas très clairvoyant au début du 20° siècle ? Car a priori les zones géographiques n’étaient pas destinées à avoir une signification historique. Jusqu’au jour où est arrivée la mesure du réchauffement climatique.

Une autre caractéristique de Spengler est sa facilité à commenter Nietzsche de façon éblouissante. C’est un auteur dont on peut recopier à la main les passages sur Nietzsche ce qui ridiculise des auteurs français comme Michel Onfray et Alain Finkielkraut qui se font une spécialité de leur connaissance de Nietzsche et de Heidegger. Ni l’un ni l’autre ne font cours ni sur Spengler ni sur cet autre aspect de la philosophie allemande qu’on appelle phénoménologie qui a été fondée par Edmund Husserl et qui est dominante en Allemagne au moment où paraissent les œuvres de Spengler. Onfray qui nous fait pourtant des cours tous les jours et est interviewé à la radio sur chaque question morale n’aurait strictement rien à dire sur le fait que Spengler n’a pas étudié Husserl, que l’énorme index qui suit le « déclin de l’occident » ne contient pas une seule référence à Husserl qui est pourtant son alter ego en tant que philosophe des sciences.

On ne saurait mieux exprimer une façon qu’a la France de se coucher devant l’Allemagne en la considérant comme supérieure en tout point comme si l’éloge fait de Nietzsche devait conduire à attendre indéfiniment une nouvelle évolution philosophique à venir d’Allemagne et prévenait de toute clairvoyance vis-à-vis de ce voisin dont Spengler prévoyait le déclin alors qu’il confine à son apogée.

Il serait dommage aussi de refermer Spengler sans mentionner l’éloge qu’il fait de la Grèce. On ne peut qu’être frappé par la constante référence à la culture de la Grèce ancienne et l’énumération qui suit : « Il n’y a pas de parti moderne qui ne soupèse Cleon, Marius, Catilina, Themistocle et les Gracques pour s’accorder à leur principe » Spengler donne donc une définition de l’Europe fortement attachée à la Grèce. Je me suis rappelé que c’est à cause de Spengler qu’Henry Miller doit absolument visiter la Grèce avant de rentrer aux USA.

Le plus pillé dans Spengler c’est la notion de civilisation. Il considère qu’il est le premier historien à s’appuyer sur cette notion « chaque culture a sa propre civilisation » Or la notion a été utilisée dans tous les sens de telle sorte qu’on ne sait pas si le succès de la civilisation européenne donne raison ou tort au premier historien qui s’est engagé dans cette voie. On ne sait pas non plus si la fragilité, ou le terme historique d’une civilisation va l’aider à se défendre pour repousser sa fin ou bien si elle est inéluctable.

Meleze
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