mardi 28 août 2012 par penvins
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En lisant Truandailles, tel qu’il est présenté par les éditions du Vampire Actif, plus qu’à Victor Hugo ou à Eugène Sue dont des extraits d’œuvres illustrent les emplois littéraires de l’argot au XIXe siècle, c’est à Maupassant que j’ai pensé.
Mais si Maupassant affiche un certain mépris pour les paysans, et les Normands épris d’argent :
Javel cessa de naviguer. Il obtint un petit emploi dans le port, et, quand il parlait plus tard de son accident, il confiait tout bas à son auditeur : « Si le frère avait voulu couper le chalut, j’aurais encore mon bras pour sûr. Mais il était regardant à son bien. » [1]
Richepin quant à lui avoue son amour et sa compassion pour les gueux.
Il y a chez eux un même respect des codes de la nouvelle, une même mise en place de l’intrigue et un même souci de la chute. La nouvelle doit provoquer l’étonnement, chez Maupassant, il s’agit de prendre en défaut et de ridiculiser l’avidité des Normands, chez Richepin de justifier « l’amoralité » des gueux. Chez l’un comme l’autre ne s’agit-il pas d’asseoir la bourgeoisie, de la définir en opposition à ce qu’elle rejette, la paysannerie et les voyous ? La bourgeoisie se veut avant tout respectable et ne saurait être critiquée ni en raison de son appât du gain ni bien sûr en raison de pratiques illégales. Jean Richepin ne semble pas échapper à ce souci de respectabilité qui fera de lui un académicien ! Et s’il a vécu la vie de saltimbanque, et prétend faire partie de leur monde, c’est en justifiant leur façon de vivre vis-à-vis de ses lecteurs qui eux sont tout sauf des saltimbanques.
Si la nouvelle est un genre si particulier au XIXe siècle, ne serait-ce pas parce qu’elle permet de sortir d’une normalité qui emprisonne, d’échapper un temps à cette censure morale de plus en plus hypocrite à laquelle Jean Richepin avait répondu d’avance par la voix d’un enfant de prostituée, de père évidemment inconnu, et qui revendique le droit de voler pour vivre puisque après tout il ne vole jamais que son père ! :
Car qui je vole à la ronde,
C’est ce monsieur Tout-le-monde,
L’ ancien mari de maman [2]
On voit facilement que dans ces vers censurés et édités en Belgique, ce qui a choqué ce ne sont pas tant les faits évoqués que leur hypocrisie !
L’audace de Jean Richepin est à mesurer à l’aune de la morale de son temps qui avec l’appui de la Justice le privera de ses droits civiques pour le reste de ses jours ! Mais cette audace, si elle bouscule les jugements moraux d’une société cadenassée, se plie malgré tout aux usages littéraires, c’est dire s’il importe, pour obtenir la considération du lecteur, de faire allégeance à la langue …
Maupassant comme Richepin épate le bourgeois, l’un par les mœurs des paysans, l’autre par ces voyous qu’ils craignent et dont ils envient la liberté, mais ils le font l’un comme l’autre dans une langue riche et claire telle que les maîtres d’école l’enseignent. Une langue admirable mais tellement codifiée qu’elle contredit dans son style la liberté qu’elle prétend prendre avec les mœurs de son temps.
Ainsi les écarts de Richepin sont des écarts lexicaux, il y a malgré tout quelque chose de factice dans cette langue qui comme le disent si bien les éditeurs n’est pas une langue populaire, mais l’introduction d’un vocabulaire crypté dans une langue littéraire. L’argot tel qu’il sera utilisé par Hugo et par Eugène Sue a pour fonction d’accroître la véracité des récits. De même chez Richepin il n’a pas de fonction proprement littéraire, il ne s’agit pas tant d’enrichir la langue que de faire savoir que l’on connaît – et que l’on admire – les saltimbanques, les voyous et les prostituées.
Avec les éditeurs, on peut s’étonner que les ouvrages de Jean Richepin soient si peu passés à la postérité alors qu’ils eurent tellement de succès lors de leurs premières publications. Pourtant, les Roms, par exemple, n’ont pas disparu et leur misère s’est amplifiée, mais sans doute y avait-il autrefois, en même temps que de la méfiance, une certaine fascination, pas seulement celle que l’auteur éprouve, jusqu’à un certain point, lui qui avoue que son amour des Romanichels n’allait pas jusqu’à se marier avec l’une d’elles, mais, le succès le prouve, aussi celle que ressent le lecteur avide de cette littérature. Ce qui a disparu c’est bien cela, cette fascination d’une bourgeoisie pour ceux qu’elle se refuse à fréquenter ailleurs que dans les livres, aujourd’hui à l’hypocrisie s’est surajouté le rejet ou l’action militante. Les Roms ne font plus rêver.
Il faut lire Jean Richepin pour se rendre compte à quel point notre regard est devenu matérialiste, certes ses premiers lecteurs avaient besoin d’être moqués et ils le sont d’admirable manière, l’humour est toujours présent dans ces nouvelles, un second degré naturel et déjà surréaliste, on lira avec le sourire la cruauté des gueux les uns envers les autres, qui n’est sans doute pas imaginaire, mais qui ici prend une dimension tellement ‘énorme’ qu’on ne peut s’empêcher de penser que Richepin prend plaisir à effrayer le bourgeois. Lisez Haine par exemple dont la chute cauchemardesque échappe totalement au réel, lisez aussi Le Patarin, lisez-le au second degré, si Richepin se moque d’un pasteur et fait rire à ses dépends les bons catholiques de la troisième République, il a sans doute aussi fait beaucoup rire les anticléricaux et choqué plus d’un, d’un bord comme de l’autre. Étonnant auteur qui n’hésite pas à appuyer là où ça fait mal, tout en apportant à ses lecteurs la saveur délicieuse des fruits défendus.
Un livre qui donne envie de lire tout Richepin, merci au Vampire Actif de s’être égaré hors des sentiers battus pour nous faire redécouvrir un auteur, certes moderne, mais surtout, dont les provocations signent l’appartenance à un monde boursouflé d’hypocrisie sans doute différent du nôtre, qui ne l’est pas moins, même si autrement, et qui aurait tellement besoin de cet humour ravageur.
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