lundi 16 avril 2012 par penvins
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Le Sonneur publie un nouveau roman de Lionel-Edouard Martin, c’est bien entendu un événement pour ceux qui sont habitués à lire ce poète. On trouvera ci-dessous un lien vers sa bibliographie.
Anaïs est un roman écrit autour d’une absence, alors que vous croyez vous engager dans un roman policier, Lionel-Edouard Martin vous entraîne dans une gravière, un creux dont il reste quelques traces sur la moquette où l’on a retrouvé le corps d’une lycéenne assassinée. De ce crime on ne saura quasiment rien, d’une certaine façon ce roman est celui de la disparition d’une morte, cette jeune fille qui va au lycée qui porte un prénom et un nom de duchesse issue de l’imagination d’un auteur qui admire Francis Jammes et se souvient du poème : Elle va à la pension.
Celle qui disparaît est une jeune fille conçue dans les décombres d’une barre HLM, élevée dans ce même quartier au milieu d’autres barres, engendrée par un ouvrier démolisseur dans le chaos du sous-sol d’un immeuble lui-même disparu. Comme si le poète avait voulu reconstruire un monde à partir sinon de rien, en tout cas d’un vide. Il décrit ce vide culturel du langage journalistique :
Gravières du langage ; et que bâtir avec, qu’une langue sans profondeur, nue d’imaginaire, cadencée selon les rythmes mous des idées du jour, [...]
Vide culturel mais peut être aussi affectif :
Vous vivez sur du vide. - dira le légionnaire au journaliste - Vous vivez dans des trous, comme moi. Sauf que moi, je vis pour de vrai dans un trou, et je n’ai pas peur. C’est ça qui fait la différence...
Vide dont s’est nourri le monde moderne, c’est de la sablière qu’est née la centrale nucléaire.
C’est quand ils ont construit la centrale qu’ils en ont fait des sous.[...] Ils ont creusé tant et plus.
Le père disparaît, la fille disparaît, ne restent que la mère ! la grotte, la gravière, les caves. Ne reste plus que la langue et sa musique, celle bien sûr de Francis Jammes mais aussi celle de l’auteur qui avance :
[...] c’est moi qui orchestre tout ça, qui rapporte, comme je peux, les événements fondateurs de ce récit, puisque de tout ça, j’ai la maîtrise, au sens musical du terme, que je règle les voix, les organise [...]
L’écrivain est donc bien le maître d’œuvre, celui qui organise le texte, le met en musique, se sert de sa création comme d’un masque derrière lequel il se cache :
Écrire, c’est peut-être, simplement, s’asseoir en face de soi-même, endosser tous les rôles, parler dans la « personne » - ce masque.
Ainsi le vide prend corps et peut se nommer Anaïs ou les Gravières, grotte où vit le légionnaire, caves que l’on vient explorer après la démolition de la barre... Le vide existe bien, que l’on ne peut atteindre que par le langage, c’est le lieu de la conception et le grand néant de la mort, mais c’est aussi ce lieu dont il reste une trace sous la surface du sol quand le passé a été détruit.
Il faut lire ce livre et se faire piéger par sa fausse intrigue policière. Le véritable narrateur ce n’est pas, bien évidemment, le journaliste qui tente d’élucider un fait divers, mais le poète qui réinvente un univers autour de sa propre histoire à partir de la simple réminiscence d’un poème qui entre en résonance avec elle.
Il faut sans doute entendre quelque chose lorsque le poète parle de dépression à propos des gravières, le rapprochement est dans le texte qui s’applique au journaliste qui a perdu sa femme dans un accident mais renvoie sans doute à tout autre chose. La dépression, Lionel-Edouard Martin le dit expressément c’est sa quête de Mao, le père d’Anaïs. Laissant la parole à Anaïs et soulignant : J’ai sa voix dans ma bouche. le poète fait référence au Roi des aulnes de Goethe et précise à l’intention du lecteur « C’est idiot mais ça parle, et ça en dit long sur soi cette vieille littérature... »
Demi-confidence sur ce qui pourrait bien être la clef de ce roman qu’on lit comme un polar et que l’on apprécie d’autant plus qu’il n’en est pas un, qu’il s’oppose en tout point à cette langue sans profondeur avec laquelle on ne bâtît rien, qu’il est enfin une sorte de récit en creux de ce que la littérature est seule à même d’exprimer.
Lisez bien les dernières pages du roman, ne parlent-elles pas, elles aussi, d’une disparition ? Tout est dit.
Relisez-le, ce n’est pas un polar, des textes de cette densité se méritent.
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