dimanche 19 février 2023 par Meleze
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Nikos Kazantzakis
Le Christ recrucifié
Paris Plon 1950
Quelques jours à peine après le tremblement de terre qui vient d’affecter la région où se situe l’action de ce roman de Nikos Kazantzakis, le fait de faire une publication pour sortir ce livre de l’oubli relatif dans lequel il était tombé, semble comme une action qui peut contribuer à élargir l’aide dont les victimes du tremblement de terre ont tellement besoin.
Sortir un livre de l’oubli est-ce possible grâce au portail d’Exigence ? Quoi de mieux que ce portail spécialisé dans la littérature grecque. Kazantzakis, est célèbre dans le monde entier pour le personnage de Zorba le grec, incarné au cinéma par Anthony Quinn.
Moins célèbre, pourtant "le christ recrucifié" est tombé dans un oubli relatif. Pourquoi ? On peut supposer qu’il touche le cœur de la chrétienté qui reste dominante en Europe occidentale, qu’il s’agisse de la papauté à Rome ou de l’Église orthodoxe qui est la religion des personnages de cette histoire.
Kazantzakis avec son récit pose la même question à ces deux branches de l’église : si le Christ revenait sur terre, est-ce qu’il serait de nouveau crucifié ? Or qu’on tourne la question dans un sens ou dans un autre la réponse est OUI.
Il se trouve que dans la même région où est situé le village, et sa tradition de refaire chaque année, incarnée par des habitants une procession sur le drame de la passion, que vient de se produire le plus gros tremblement de terre depuis 100 ans. On constate qu’un Christ authentique représentant les pauvres est impossible.
On constate que les réfugiés syriens en Turquie ont été frappés deux fois. Le Christ orthodoxe depuis toujours prisonnier des conflits entre la Grèce et la Turquie, on constate enfin qu’il serait aussi prisonnier entre Russes et Ukrainiens qui sont en guerre en ce moment au sujet de l’authenticité de leurs rites.
Nul doute que le Christ réapparu, serait rapidement identifié, puis persécuté, comme dans cette histoire où l’idée même de la reconstitution de la montée sur la croix conduit l’acteur qui joue Jésus, à la mort.
Les communautés chrétiennes de France, d’Espagne et d’Italie sont très riches tout en étant affaiblies par des affaires d’abus sexuels et de pédophilie. Un « revival » comme dans le film de Jean Jacques Annaud sur Notre Dame leur est interdit.
Avons-nous débordé du roman de Nikos Kazantzakis par cette introduction ? Pas du tout ! L’auteur est encore plus radical que cela. Il a l’habileté de reconstituer le drame de la passion dans le contexte d’une minorité chrétienne opprimée par une majorité musulmane. C’est-à-dire qu’il s’agit d’un contexte où le désir de faire revivre le Christ est en outre porté par une minorité opprimée. Or c’est la minorité opprimée qui, dans le déroulement du livre, va faire s’affronter un pope contre un autre, afin de se débarrasser du trublion comme si les riches en Grèce à cette époque continuaient de donner raison au pouvoir turc qui l’opprimait.
« p 427 : » Ils avaient faim et froid. Ils couraient pour se réchauffer… Ils ne haïssaient personne ; ils voulaient seulement se réchauffer et manger pour ne pas mourir »
Avez-vous remarqué que le conflit entre la Grèce et la Turquie est aussi ancien que les guerres dites médiques et que tout le baratin du lobby de l’édition sur la mythologie de la Grèce n’est qu’un cache-sexe pour ce conflit fait de racisme et de haine alors que la France et l’Allemagne placées dans les mêmes conditions ont réussi un travail de mémoire qui les a réunifiées.
Le roman de Kazantzakis est un modèle. C’est pourquoi nous espérons le faire réfléchir. C’est un modèle qu’on peut faire fonctionner par simulation dans toute nation qui comprend plusieurs communautés avec une dominante et une dominée comme la France divisée entre catholiques et musulman ou l’Inde divisée entre Hindouistes et Musulmans.
La communauté dominée dans laquelle apparaît un prophète préfère-t-elle le suivre au nom de son indépendance ou le sacrifier au nom de sa collaboration et de ses intérêts ? Dans cette histoire racontée par l’auteur, le sacrifice est loin de fonctionner comme dansla thèse de René Girard. Il ne protège pas les hommes de la violence et au contraire il entraîne la violence.
C’est le travail de la littérature de poser ce genre de question et seule une grande question peut faire un grand roman. Si vous cherchez le mot "démocratie" dans ce livre, vous ne le trouverez pas. C’est un livre qui fait de l’histoire de la Grèce un équilibre entre résistance et collaboration.
Publié en 1950, écrit directement en français, le "christ recrucifié" est un livre qui a été pensé pendant toute la guerre par son auteur qui s’est approché du sujet au moyen des œuvres précédentes telle que Zorba le grec. Il fonctionne donc comme un acte final dans la vie déchirée et difficile de l’auteur.
Mélèze 17 février 2023
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