vendredi 2 janvier 2015 par penvins
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La Manufacture de livres 2015
Elle, elle reçoit des gifles quand elle ne se plie pas aux désirs du Boss et vous vous allez en prendre plein la gueule en lisant ce roman.
L’écriture d’Anne Bourrel est d’une redoutable efficacité pour dire la violence et la faire ressentir, le roman commence par une scène qui abolit d’emblée le regard, loin de celui d’un écrivain qui imaginerait ce qui se passe dans la tête d’une prostituée, on est dans le noir, sans description, sinon celles des visions d’une camée, et l’on entend le bruit qui cogne dans la tête d’une femme que l’on viole, on ressent profondément l’envie de vomir qui lui vient, et elle vous vient. Et, pourtant, le roman ne s’arrêtera pas là, Anne Bourrel va vous embarquer dans une sorte Road-Movie et vous déposer dans une Station Service au bord d’un village hostile, le Boss va imperceptiblement changer de visage et s’attendrir pour une très jeune fille et vous resterez dans ce no man’s land sans vraiment comprendre ce qui se passe, ne réalisant pas ce que le village lui-même fait semblant de ne pas voir jusqu’à ce que… l’horreur devienne évidente.
Roman de la violence faite aux femmes et qui vous est renvoyée comme un boomerang, sans doute aussi roman des rapports ambigus entre les femmes et certains hommes, le meurtre du Catalan dont les causes ne sont volontairement pas expliquées, mais qui apparaît comme un sacrifice offert aux Dieux, l’attitude presque paternelle du Boss (le mac), cette troublante hésitation de Bégonia à fuir, alors qu’elle en pressent la possibilité comme jamais auparavant, et cette façon de s’attarder auprès de son maître - même si le prétexte en est l’intérêt qu’elle porte à Marielle - laissent à penser toute la complexité des rapports entre un homme et la femme qu’il a soumise à sa volonté.
Ce roman met donc en scène les destins croisés d’une étudiante roumaine prise dans la prostitution et d’une enfant… mais la façon dont Anne Bourrel parle est tout à fait différente, de même que le comportement du Boss (le maquereau) vis-à-vis de l’une et de l’autre, violence d’un côté et une certaine tendresse protectrice de l’autre. Les hommes eux-mêmes sont ambigus ! Le regard porté sur une toile cirée dira ce qui est arrivé à l’enfant avec une grande pudeur sans en cacher la cruauté. Et comme Marielle est incapable de se faire justice, ce sont les adultes qui tueront pour elle.
Décillé, rendre la vue, tel est le rôle de la littérature, dire l’indicible, pire ici, dire ce que la société - le village dans le roman - ne veut pas voir et qui pourtant saute aux yeux : Pour assurer sa tranquillité, ils ne veulent rien entendre de la douleur des esclaves du sexe, que cela se passe dans les familles ou dans les bordels de la Jonquera, alors Anne Bourrel vous met le nez dedans, insidieusement elle fait le lien entre la tolérance de la police, tant qu’il n’y a pas meurtre, elle ne bouge pas, et le silence de la population qui déteste voir roder une pute autour de sa station-service et qui ne comprend rien aux fugues à répétition de Marielle.
Exercice difficile que de faire sentir la violence – cette violence-là - avec légèreté, mais le défi est relevé avec le sens du rythme et cette malice de Contrebandes d’un auteur qui sait en dire beaucoup sans trop se dévoiler. L’image du Catalan reste tout au long du roman dans la tête de Bégonia, les bras en croix, le ventre à l’air au sommet de la pyramide et les plus hautes marches lui font un escalier jusqu’au ciel. Il est ainsi le personnage central du roman, un personnage dont le lecteur ne sait rien sinon ce qu’il en imagine.
Un court roman qu’on lit d’une traite et qui vous reste sur l’estomac.
Penvins.
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