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Les brasseurs de la ville - Evains Wêche

Une famille de Port-au-Prince essaie de s’en sortir. Mais comment faire sans travail, sans perspectives ? On plonge alors d’un carnaval bariolé vers le côté obscur.

samedi 7 mai 2016 par Henri-Charles Dahlem

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« Tout ici est question de couleur. Dis-moi quelle couleur tu portes et je te dirai qui tu es. Comme moi les SDF tout couleur vont et viennent ici et là, brassant l’air de la ville. » Dans ce roman bariolé, SDF signifie « Sans destination fixe » et les brasseurs n’ont rien à voir avec la bière, mais désignent ces milliers de gens qui s’agitent dans la capitale haïtienne. « On n’explique pas Port-au-Prince. On vit Port-au-Prince (…) Pour moi Port-au-Prince est un cri de douleur. L’accouchement de la vie y est un film d’horreur où les acteurs croient que tout est normal. »

La ville vit à l’heure du brassage et la plupart des gens sont arcs-en-ciel. Comme les narrateurs qui d’emblée donnent le ton d’un livre d’une énergie folle. Parce qu’« à Port-au-Prince, c’est chaque jour le carnaval ». Du coup, on ne sait jamais vraiment si on a affaire à une homme ou a une femme. Comme quand Evains Wêche fait tour à tour parler le mari et la femme, sans prévenir le lecteur. Ce qui donne au récit de nouvelles couleurs. Sauf que, comme au cinéma, le tout va finir par un fondu au noir.

Mais n’anticipons pas. Si la population de Port-au-Prince, tous ces brasseurs, se démène autant, c’est d’abord pour survivre. La narratrice rêve de se mettre à son compte et d’ouvrir son atelier de couture. « En attendant de quoi m’acheter une machine à coudre, je me débrouille dans la rue. » On ne va pas tarder à comprendre ce que la rue lui offre comme revenu. Le narrateur, quant à lui, malaxe le béton, en rêvant lui aussi, par exemple à un beau mariage. « Je t’aime, mon amour. Je sens mon cœur grand comme ça et mes moyens tandis que mes moyens ne sont qu’un poing contre la vie dure. Elle est coriace, la vie, et elle fait mal. »

Surtout quand on soutient d’une famille nombreuse : Lizzie, Yvon, Jonathan, Babette et Acélhomme, en les comptant du plus petit au plus grand.
Comme son épouse, il ne cesse de se poser des questions : « Que vont-ils devenir ? Qu’ai-je à leur offrir ? Je suis une pauvre malheureuse. Je n’ai rien. Même pas une patrie. Mes enfants pousseront ici comme la mauvaise herbe dans les champs. Leur avenir est tout tracé. Rien à l’horizon que ce qu’on est, ce qu’on aura réussi à faire de nous. » Babette est une belle adolescente qui ne va pas tarder à attirer les convoitises. Ses parents aimeraient bien lui voir trouver un bon parti. Mais ce « diaspora » qu’elle croise, ce riche M. Eriksson – Américain de passage pour quelques temps dans le pays – a beau lui promettre monts et merveilles, la sortir de son bidonville, la couvrir de cadeaux, elle finira comme sa pute.

Lizzie est malade. Sa mère doit alors culpabiliser à chaque visite chez le médecin : « Votre enfant fait à peine le poids d’un bébé pour ses six ans ! Vous ne lui donnez pas à manger ? »

L’éducation des garçons peut quant à elle se résumer à : « apprenez à vous débrouiller par vous-mêmes, car à Port-au-Prince on ne réussit à survivre que de cette manière. Il est par exemple, illusoire de vouloir trouver du travail. Dans ce pauvre pays, on ne peut que connaître quelqu’un qui connaît quelqu’un qui peut vous donner un travail.

Du coup, le carnaval et les images bariolées se transforment en cortège funèbre. Sans dévoiler la dernière partie du roman, disons que le drame pressenti finira bien par arriver et que le noir viendra recouvrir le bel arc-en-ciel.

Evains Wêche sait fort bien dire les choses, les décrire. Et si besoin est, à inventer les mots qui manquent pour se rapprocher de la réalité d’Haïti. C’est ainsi qu’il crée le verbe putaniser. Car si « le sexe est la voie la plus sûre pour quitter ce foutu pays », alors il faut se putaniser. Mais ce qu’il en coûte va éclater comme un fruit trop mûr entraînant le lecteur dans une salsa du démon.

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