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La sans pareille - Françoise Chandernagor
mardi 12 janvier 2016 par Meleze

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Il s’agit d’un roman en trois volumes qui raconte l’ascension sociale de son héroïne puis sa chute :

1. La sans pareille Paris 1988 687 PAGES
2. L’archange de Vienne 1989 676 pages
3. L’enfant au loup paris 1990 654 pages

Nul doute qu’il faut un fort entraînement à la lecture pour venir à bout de ces trois pavés. Nous cherchons à exhumer de l’oubli un roman qui correspond aux critères que nous avions formulés dans nos espoirs pour la littérature française. Un roman qui n’est pas nombriliste qui construit un vrai scénario. Ça nous contrarie qu’en dépit de tout ce qu’il contient il soit un peu ennuyeux. Nous ne voudrions pas que ce qui est intéressant soit comme on dit dans le proverbe « jeté avec l’eau du bain » Ce roman de Mme Chandernagor nous apparaît comme un bel exemple de l’exigence en littérature.

En premier lieu, ce qui distingue ce roman, ce sont les portraits qui y sont faits. L’auteur, historienne célèbre, a certainement suivi le modèle de Saint-Simon mais le modèle saint simonien est discutable parce que la société de la deuxième moitié du 20°siècle n’a pas l’intérêt que Mme. Chandernagor lui prête de telle sorte que la technique de la philosophie à travers les portraits trouve ses limites par la pauvreté même de la culture qui la nourrit. Par exemple, on peut citer dans le premier livre la page 455 où deux personnages tous les deux ingénieurs discutent passionnément de leurs préférences en mathématiques.
« Également éloignés des théories euclidiennes, ils ne s’accordaient pas sur le mode de courbure de l’univers : pour Renaud que sa nature portait au repliement, les parallèles convergeaient, le monde se refermait sur lui-même ; pour Frédéric optimiste, les parallèles divergeaient et l’univers lobatchevskien, s’ouvrait comme une grande corolle. En tout cas, ils tombaient d’accord sur un espace courbe ou le mouvement, que ce fut par un côté ou par un autre, revenait toujours à son point de départ, comme un boomerang.
Je n’osais contredire mes deux savants, mais toute mon expérience démentait leurs propos. J’avais beau ne pas connaître grand-chose à la géométrie, je savais sûrement que des vies parallèles bien menées ne se rencontrent jamais… »

Les portraits sont ici remarquables. Ils mettent en valeur la présence d’esprit de l’héroïne qui se complète souvent par une morale de façon à consacrer la supériorité du récit sur l’action vécue, parce qu’au moment de la vivre, on n’a pas eu le temps de la réfléchir. La technique saint simonienne empêche le roman de trouver son public.
Pour ceux qui ont vécu cette période Pompidou/Giscard la culture et les connaissances historiques furent un embarras « La vie politique est sordide » écrit l’auteur elle-même sans se rendre compte que c’est ainsi qu’elle va couper son livre du public en niant elle-même sa propre culture.

En deuxième lieu il nous faut parler de l’historiographie des événements de 1968 qui fournit en effet à la critique une bonne raison de détourner les lecteurs de cette œuvre pour laisser tomber un livre qui n’hésite pas à contredire la version officielle des faits.
Il y a un intérêt actuel à relire, et non pas à oublier ce roman parce qu’on a intérêt à approfondir les raisons de s’opposer aux projets droitiers du Président Hollande. Outre la restitution de l’ambiance politique des années Giscard, Mme Chandernagor décrit un processus entre réaction et révolution qui se passe très bien des socialistes. Tandis que les socialistes sont embarrassants et condamnés par leurs fautes et leurs indécisions les présidents Giscard et Sarkozy ont offert une bien meilleure expression à la révolte de la jeunesse.
Oui il y a un récit officiel des événements de 68. Ce récit de nos jours est sous la dictature de Michel Field qui en a été l’acteur, le photographe et l’historiographe dans ce sens qu’il leur doit toute sa carrière audiovisuelle. Nous en avions déjà eu un indice en commentant le livre de Daniel Picouly (68 mon amour) qui lui aussi fut mis de côté par la critique. C’est normal que la critique n’ait pas eu intérêt à comprendre qu’on pouvait procéder autrement dans l’histoire de cette insurrection de la jeunesse. La « Sans pareille » qui est professeur au moment où débutent les événements et non élève décrit ce qu’elle vit d’un point de vue original. La plupart des acteurs du moment n’avaient aucun rapport avec Sarte ni avec son existentialisme. Par ailleurs la relation directement politique des étudiants avec le pouvoir a existé puisque c’est cette relation va avoir la puissance de projeter « la sans pareille » au sommet de la vie politique nationale. Quelles raisons y auraient-ils alors d’accepter que toute cette histoire, soit effacée des mémoires par les structuralistes, les foucaldiens (avec leurs mouvements autonomistes) de façon à ne pouvoir servir que la gauche. Le président Sarkozy offrait aux soixante-huitards une alliance d’aussi bonne qualité que le président Hollande et ça rend une partie de l’électorat fongible entre les deux choix.
Il faudrait aussi parler de la capitale de l’Autriche Vienne la ville monde où se déroule une bonne partie du roman. Vienne très différente de Rome. Il est écrit à un moment que l’héroïne qui passera 7 années de suite ses vacances y aura séjourné comme un « passereau » La « sans pareille » se plaît dans l’une et non pas dans l’autre. Mme Chandernagor se rapproche ainsi de Jelinek (la pianiste) et de Canetti (la langue forcée vol 1 de sa biographie) tandis que Mathias Enard (la boussole Goncourt 2015) nous parait au contraire manquer le portrait de la ville qui dans son dernier livre la Boussole n’a plus d’avenir à cause de l’impuissance de l’Europe au Moyen-Orient dont elle est le symbole. Ainsi La ville de Beethoven et de Freud, de Zweig et de Kafka, fait un retour en force dans la littérature du début du 21°siècle. Les attaques contre Sigmund Freud ont-elles nui à la ville qui a vu naître la psychanalyse ?
Car dans les années qui font la gloire puis la chute de « la sans pareille » la psychanalyse est au contraire l’arrière-fond du roman qui met en scène pour le lecteur une sorte d’imitation des séances d’analyse représentées par le dédoublement entre l’amie qui raconte l’histoire et les souvenirs de l’héroïne elle même. C’est un monde à la fois obsédant et insaisissable. On lit à toute vitesse, on passe des pages et des pages puisque la description des relations politiques ou l’exposé culturel n’ajoutent rien au déroulement des faits et en même temps on est pénétré de ce tourbillon qui vous enlace et vous reprend jusqu’à ce qu’à son tour on s’efforce de le dominer en réfléchissant.

Les allusion à la critique littéraire sont très nombreux. On voit passer Apostrophes et de nombreux journalistes de télévision. Dans le 3° volume il y a plus de 40 pages de conseils d’écriture. Ou bien c’est le milieu des écrivains qui est décrit ou bien celui des éditeurs. Souvent Mme Chandernagor se lance dans des critiques très précises sur le style des uns et des autres. Elle pressent dans la critique littéraire l’effondrement d’une certaine droite qui s’illustre par l’assassinat de Robert Boulin puis par l’affaire des bijoux de Bokassa. Curieusement elle ne prévoit pas que cette classe dirigeante qu’elle fréquente va se nourrir de son œuvre l’absorber pour se transformer. Pourquoi se sentir obligée de disparaître pour laisser sa place à la gauche ?

Il y a une relation curieuse dans ce roman, c’est celle d’un professeur avec son élève Elles se rencontrent quand elles ont 25 et 16 ans. C’est le père de l’élève dont le professeur tombera amoureux et 15 ans plus tard elles vivent toujours ensemble dans la même maison. L’élève est devenue une pitoyable droguée tandis que l’ancien professeur est ministre de la défense.

Enfin en 3° lieu il nous faut parler de la trahison. C’est la trahison qui conduit la secrétaire d’État aux Affaires étrangères à vendre ses secrets aux Russes. On vit dans un modèle social qui offre une pénétration complète de ses structures par l’espionnage.

Ça pourrait être intéressant de jouer aux devinettes : qui c’est ? Par exemple RSK et le vrai DSK, ou bien les affaires de la famille Dassault. Qui sont les députés ? Qui sont les ministres ? Il est très amusant pour l’écrivain de décrire des compagnons de route de Mitterrand en les faisant vivre et agir dans la période précédente celle de la droite triomphante avant qu’elle n’ait connu la défaite.
La situation politique qu’elle décrit est l’anticipation de ce qui s’est produit en 2012 puisque les candidats pressentis Strauss Kahn en 2012, Fervacques dans l’enfant aux loups 3° volume de la trilogie, sont éliminés par des scandales pour laisser la place à des outsiders.

L’auteur cherche à se débarrasser de l’influence proustienne. Nous serions prêts à parier que le choix de Senlis pour situer l’ascension sociale de l’héroïne tient au fait que c’était la ville de Nerval, la ville de « Sylvie » et que le sens de la mémoire que Nerval place dans son histoire est comme nous l’avons déjà montré à l’opposé de celui de Proust et sa madeleine. L’auteur de « la sans pareille » admire Proust les salons, la culture, mais elle n’est pas « à la recherche du temps perdu » à laquelle elle préfère une mémoire utilisable, concrète, constructive. C‘est ce conflit qui conduit à la redécouverte de la belle langue du 18° siècle. Or tout en l’appréciant on s’y ennuie. La aussi, on a un roman qui par sa structure annonce les analyses de Umberto Eco qui a remis Nerval à la mode comme antithèse de Marcel Proust

Meleze



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