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L’abondance et le rêve Journal 1963-1966 - Christian Dedet
jeudi 25 décembre 2014 par penvins

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L’apprivoiserais-je enfin, ce fameux « hippogriffe nuptial » auquel Montherlant a consacré 4 fois 400 pages ? se demande Christian Dedet à la fin de ce journal. La question n’a certainement pas le même sens pour ce jeune homme toujours en quête d’aventure féminine et pour Montherlant ! Mais on ne saurait nier la parenté littéraire revendiquée par cette interrogation dont on peut se demander si elle est réellement dans le journal d’origine ou si elle fait partie de la réécriture. Assurément ce qui caractérise ce journal, ce qui le rend intéressant, c’est justement qu’il est d’un écrivain à rebours de ce que furent les écrivains les plus en vue de cette époque. Christian Dedet dans cette génération d’immédiat après-guerre garde les valeurs qui furent celles des générations précédentes de sorte que ce témoignage est non seulement une plongée dans les années 63-66 mais ce qui redouble l’intérêt, il se fait du côté de ceux qui ont déjà pris parti contre le courant qui va emporter l’ancien monde auquel ils restent fidèles. Du côté de Dominique de Roux, de Michel Déon mais aussi de Roland Cailleux avec qui il évoque Roger Nimier, Antoine Blondin et Alexandre Vialatte.

Ces années-là seront celles du passage à l’âge adulte, errance érotique, refus de se fixer, de mêler sexe et sentiment, posture du mâle qui préfère les femmes pour lesquelles le plaisir sexuel se pratique sans arrières pensées, au fond un jeune homme pas tellement différent sur ce point des écrivains plus en vue. Ce qui le distingue très certainement, qui lui permettra de rester lui-même, c’est ce refus de faire de sa passion d’écrire un métier qui le nourrirait. Christian Dedet ne sera pas un carriériste littéraire, il ne sacrifiera pas tout au commerce du livre, n’aura pas besoin de prendre des postures radicales pour faire parler de lui, il est médecin et a décidé de travailler la moitié de l’année pour s’offrir la possibilité d’écrire librement l’autre moitié.

Ces années seront celles de la mise en place de sa vie, non seulement, comme on l’a vu, du côté matrimonial, mais aussi du côté matériel. Il parvient à reprendre un cabinet dans une station thermale où il travaillera comme un forcené, de sorte que l’hiver il sera libre d’écrire, mais l’adolescence est toujours là et quand les patientes s’y prêtent il s’accorde volontiers quelques pauses ludiques. Recherche-t-il simplement le plaisir que bien sûr, son corps réclame ou est-il en quête d’autre chose ? Le texte et l’auteur laissent à penser jusqu’au dernier moment qu’il restera un éternel adolescent et le basculement se fait pourtant avec le plus grand naturel, un attachement rompu en entraînant un autre qui sera sans doute définitif.

L’attachement nuptial, fruit d’un long travail de maturation, se fera bien évidemment avec une fille plus secrète que ne le furent les autres. Il y a chez l’adolescent Dedet un attachement très fort à la mère - qui n’est bien sûr pas le propre de cet écrivain – mais dont l’aveu naïf étonne. On remarquera la longue complicité qui les lie, le fils acceptant que la mère se mêle de sa vie sans rechigner le moins du monde. Comme il le dit lui-même Christian Dedet n’est pas un révolutionnaire. Et pas plus que de prendre ses distances avec sa mère il ne les prend avec la cellule familiale, père et mère le surveillent et le conseillent sans qu’il en prenne ombrage, tout au moins officiellement. Hasard ou conséquence la promise qui écrit à sa mère et dont celle-ci dit le plus grand bien ne parviendra pas à le faire plier. L’âge adulte cependant viendra, le gamin tout puissant ne manque cependant pas d’humour qui constate :
A force d’avoir voulu sauvegarder ton incomparable personne, legs de la plus admirable des mères, te voilà la trentaine approchant [...] pareil à deux ronds de frites.

Ce sera donc sans rupture qu’il abordera l’hippogriffe nuptial pour se lier (à partir de 1966) à la ravissante artiste catalane qu’il avait remarquée à la Toussaint 1964.

Hussard c’est sans doute cela : cet attachement aux valeurs familiales en même temps que cette liberté sexuelle affirmée qui fait préférer les femmes libres aux ravissantes artistes. D’autres – je pense bien sûr à Sollers - revendiqueront eux aussi leur libertinage mais tairont leur attachement à la mère et aux valeurs familiales. D’un côté sincérité presque naïve et humilité devant la complexité humaine, de l’autre impudence et caricature, mais l’un était avant tout médecin : car médecin - quel que soit, dans le futur, un succès éventuel – je ne me vois pas ne plus l’être tandis que l’autre faisait carrière dans les Lettres.

Il est sans doute trop tôt pour départager ces auteurs qui dans les années soixante occupaient le terrain littéraire, mais on peut se demander qui passera à la postérité de Jean-Edern Hallier ou de Christian Dedet, le Seuil n’avait pas encore choisi, Tel Quel non plus, Dedet sentait ou imaginait les réticences de la maison d’édition à le publier. Sa rencontre avec le directeur littéraire de la revue Esprit, Camille Bourniquel, lui fait dire au moment où il cherche à faire paraître La Fuite en Espagne et à fonder une revue : il me dit apprécier l’élégance et la légèreté qui seraient les miennes en ces temps où les thésards de gauche « pèsent des tonnes ».

A l’époque Christian Dedet doute, interviewé en décembre 1965 par Michèle Cotta pour l’Express il apprécie les chances que l’entrevue soit publiée dans le magazine : Pour : les bonnes relations du Seuil avec cet hebdo. Contre : je ne suis pas de ceux qui « éclatent le langage » ou qui « bouleversent les rapports de l’homme au réel. »

On voit que ce journal est une mine d’information pour tous ceux que la période littéraire intéressent et intéressera, période d’abondance et de rêve ainsi que l’auteur la caractérise, période dont il y a fort à parier qu’elle sera revisitée tant les luttes sous-jacentes de la littérature reflètent le basculement du monde en train de se produire. Pour un temps ou pour longtemps… ?



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