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Un singe en hiver - Antoine Blondin
mercredi 15 janvier 2014 par penvins

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Roman de l’alcoolisme, de l’amitié, de la solitude, roman humaniste, Un singe en hiver qui fait la part belle à l’amitié virile de deux alcooliques, est bien sûr le roman de la déchéance humaine, un roman à hauteur d’homme comme les aime cette littérature. Tout part d’une promesse : Si je rentre dans mon hôtel, si Suzanne à la tombée du jour rallume l’enseigne, qui est notre signe de vie, si un voyageur attiré par cette veilleuse me demande sa clef, jamais plus je ne toucherai à un verre, jamais plus !… dit Albert Quentin. On est le 13 juillet 1944, l’hôtel survivra aux bombardements, dix ans plus tard un client se présentera qui contribuera à mettre à mal cette promesse. On peut lire ce roman comme autobiographique, comme simple mise en scène de cuites mémorables, mais on peut aussi rappeler que ce roman parut quelque dix ans après la fin de la guerre et se dire que la promesse de M. Quentin signifie très clairement : Si je réchappe aux bombardements j’arrête d’être lâche. Promesse que toute une génération pouvait faire sienne !
Mais Fouquet, appelé le jeune homme par Blondin, démontrera que promesse d’ivrogne ne saurait être tenue, il y va d’une sorte de fatalité de la condition humaine contre laquelle bien sûr on ne peut rien. Manière d’excuse ! Un singe en hiver deviendra un film culte, l’image d’une France aimant tout autant la littérature que le bon ou mauvais vin, bravache quand elle est soule, et qui ne tient pas ses promesses. Les ivrognes sont toujours sympathiques, surtout s’ils vont à la rencontre de leur progéniture. Fouquet pour se consoler d’avoir été quitté par Claire qui ne supportait plus ses beuveries est parti en Normandie chercher sa fille. Et la serviette chaude du coiffeur « comme on la pratique en province » et qui « est un objet d’art » le décidera à ne pas faire demi-tour ! Comme on l’aime cette France profonde attachée à ses petits grigris !

Il ne s’agit pas d’inventer un sens caché à ce roman, mais juste de le remettre en situation et de regarder en quoi il entre en résonnance avec son époque. Première parution 1959, la même année parait Dans le labyrinthe de Robbe-Grillet, en 1957 avait paru Tropismes de Nathalie Sarraute, par exemple. Blondin lui est dans un autre monde, un monde où le chagrin d’amour de Fouquet est en Espagne, on se souvient qu’alors l’Espagne est encore franquiste et où la directrice de la pension où réside sa fille, se pique de parler anglais, nous sommes dans l’Europe de la guerre, cette littérature-là n’a pas encore tourné la page. Elle vit dans un monde où l‘amitié virile excuse tout, on y croit dur comme fer à ses vertus et l’on est prêt à prendre des risques pour s’y adonner :
Pourquoi, sous un certain climat, en viens-je à me persuader qu’une légère ivresse améliore la qualité des rapports humains ? Je ne devrais plus ignorer qu’il n’existe pas d’ivresse légère[…]
La France est encore essentiellement provinciale et regarde de loin les événements internationaux y compris ceux qui la concernent directement :
Ce Hitler, je ne couche pas avec lui ; son nom n’est pas du pays ; je vois pas qui c’est… L’est-il seulement venu à Tigreville ? répond Joséphine à la Kommandantur qui l’informe qu’Hitler ne veut pas, qu’ignorant superbement les ordres de l’occupant, elle rentre si tard le soir. En dépit de la réalité, les vieilles dames se sentent ici chez elles et font comme si le pays n’avait pas été vaincu ! La seule honte qui pourrait frapper Albert Quentin serait de ne pas tenir sa promesse de ne plus boire, ce qui arrivera ! Albert s’ennuie . Suzanne lui a offert un monde immuable :
Mme Quentin n’aspire à rien d’autre qu’à assurer au lendemain les couleurs de la veille.
Un monde où il ne se passe rien, où il ne s’est rien passé. Qui sait s’il ne regrette pas le temps des bombardements :
Si quelque chose devait me manquer, ce ne serait pas le vin mais l’ivresse. Dit-il et l’ivresse ce sera non seulement le vin mais ces simulacres de guerre que seront la corrida de Fouquet et surtout le feu d’artifice au pied de la pension Dillon, c’est bien l’ivresse qui est revenue, cette ivresse qui depuis dix ans manquait, comment dire mieux où ce sont arrêtés les fantasmes de cette génération, fantasmes que seule la petite Marie ne partage pas.
— Trois générations qui ont besoin de s’habituer les unes aux autres, dit Quentin l’œil mouillé. Parfois on s’y prend trop tard. Ce soir, quand je serai redevenu un fils à mon tour, je n’y comprendrai plus rien.

Et puis :
Sait-on jamais ce que c’est ? Ce va-et-vient aux abîmes est un trajet solitaire. Ceux qui remontent de ces gouffres se sont cherchés sans se rejoindre. Seule la cruauté du jour rassemble leur troupeau errant. Ils renaissent douloureusement et se retournent : la nuit a effacé la trace de leurs pas. Les ivresses, si contagieuses, sont incommunicables.

Les petits singes égarés reviendront dans leur forêt natale et commencera un long hiver.



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