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45-12, retour à Aravaca - Alexandre Friederich
samedi 2 mars 2013 par Jean-Paul Gavard-Perret

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ALEXANDRE FRIEDERICH : FENETRES SUR COURS ET LE DROIT AU SECRET :
Alexandre Friederich, « 45-12, retour à Aravaca », coll « Re :Pacific », Editions Art&fiction, Lausanne, 2013, 106 pages.

Alexandre Friederich est un parfait irrégulier de la littérature. On se souvient par exemple de son « Histoire de ma montre Casio » et de « Susie la simple » livres écrits à quatre mains pour le premier et six pour le second. Ici l’auteur s’est lancé en solo dans une immense aventure de recouvrement ou plutôt de reprise. Le projet - qui n’en était pas encore un - vit le jour le 27 janvier 1977 lorsque l’auteur accepta le « deal » proposé par « M. Hatchuell directeur du Cours Molière ». L’auteur le rappelle en deux phrases préambules à « 45-12 » : « ceux qui le veulent peuvent prendre chaque soir chez eux quelques notes sur les évènements de la journée. Vous verrez c’est passionnant ».

A partir du 30 du même mois le futur auteur âgé de 12 ans rédigea sa première note. Il n’a jamais cessé. Divers supports se sont relayés pour ce projet. Du papier l’auteur est passé au blog. La masse de 10 000 feuillets a pris le titre de « Journal d’Inconsistance ». Pour son livre il n’a retenu que quelques pages sans les modifier et en les ponctuant des 17 maisons ou appartements où il a vécu depuis la première jusqu’à la dernière dans le petit village d’espagnol d’Aravaca.

Comme l’auteur de ces lignes, ceux qui restent réfractaires aux journaux intimes craignaient le pire. L’histoire de l’intimité, les mots qui la retracent quelle que soit les modalités d’apparition demeurent le plus souvent sans grand intérêt. Or Friederich a réussi l’exploit de tout filtrer par la pure narration de surface. Seules, ça et là, quelques pensées jetées à la débandade. Le tout reste primesautier et allègre, drôle mais profond. Citons deux exemples. Coté anecdote : « Le maçon coule la chape : « oh ça le mélange est dosé, il est bien gras ». Le soir quand je rentre il a posé le carrelage : rien n’est plat ». Coté aphorisme (mais qui sont bien plus que cela) : « On désire autre chose que ce qu’on a, mais aussi ce qu’on a faute de savoir le posséder ».

Le créateur met en communauté faits et points de vue de manière à provoquer des échos parfois insoupçonnés. Nos propres souvenirs qui feignent de nous porter comme la mer, Friederich .les remplace par le vertige de ceux qu’il propose. Son livre rappelle le périssable, sort l’être de sa réserve. Cela engage notre propre intime à sortir de lui-même. Les fragments de celui de l’auteur deviennent une fenêtre laissée ouverte sur notre liberté et notre statut de sujet. Preuve que le journal intime et l’autofiction peuvent parfois avoir quelque chose à dire ou à montrer dans la mesure où ils se refusent à la doxa et ne prétendent pas à la transparence. Ils offrent alors une traçabilité dans la lignée d’Amiel. Et un tel corpus s’éloigne bien des peaux de chagrin à la Ernaux ou Angot.
Ecrire l’intime ne se revendique pas comme symptômes de malaise. Au contraire. La jovialité y est privilégiée à la fausse introspection. Amiel déjà cité et « La vie de Henri Brulard » de Stendhal ne sont pas loin. Comme eux Friederich ne chercha pas de pseudo exhibitions qui chez Angot ou Léautaud s’affichent en termes de subversion, provocation. L’auteur suisse n’appelle ni au sacrilège ni au blasphème à l’aune de paniques morales il a mieux à faire et ne prétend pas à l’instauration d’un homme sans ombre, d’un sujet totalement transparent dont la science rêve encore aujourd’hui (plusieurs travaux de sciences cognitives par exemple au M.I.T de Boston caressent toujours ce but). Tout ce qui menace le droit au secret ne menace pas seulement l’intimité et la liberté, mais met en péril le sujet dans son existence même. Sans droit au secret, pas de sujet qui pense. Donc pas de sujet qui est. Sa défense reste chevillée à un tel projet. « 45-12 » prend à ce titre une valeur quasiment politique. L’impossibilité de l’intime totalement ouvert est l’impossibilité même de l’écriture. Entre le fantasme d’une imagerie littéraire médicale et l’innovation perpétuelle en matière de techniques de surveillance policières Friederich tord le cou au rêve de « transpassabilité ». Il offre espace de respiration comme il y en existe trop peu dans la littérature.

jp gavard-perret



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