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Le printemps des pères, Henri Husetowski

Editions Buchet Chastel, 2011

samedi 27 août 2011 par Alice Granger

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Ce deuxième roman de Henri Husetowski met en jeu de manière poignante, intelligente, et tragique, la question du père, une question qui traverse la mère au point de la pulvériser par la haine d’un fils qui vit seul avec elle et a la sensation d’un mur infranchissable.

Ludovic et Gaétan, deux amis âgés de quinze ans, en 1942, dans un village en pleine occupation allemande et activité de résistance, ont en commun la disparition du père. Ludovic est un bâtard, le père de Gaétan a disparu, on ne sait pas s’il est mort. Dans chacun des cas, un père… de l’autre côté, ailleurs. Une absence qui rend invivable la vie de ce côté-ci. Gaétan est depuis son plus jeune âge un enfant qui fait bêtises sur bêtises, comme habité d’un désir irrépressible de tout saccager, et sa mère le bat avec un martinet pour essayer de donner une image normale à ce fils bâtard, son dos est strié de cicatrices. Un jour, alors que les deux pré-adolescents sont près d’une falaise, Gaétan se jette dans le vide à un moment où Ludovic ne le regarde pas, celui-ci ne fait que constater que son ami a disparu, et de ne pas avoir vu lui permettra d’ouvrir un intervalle pendant lequel il pourra dénier la mort du garçon et développer l’écriture. En tout cas, par ce précipice dans le vide du haut de la falaise, Gaétan aussi, comme son ami, dit son impossibilité de vivre de ce côté-ci, il réalise un saccage par sa mort, sa mère va se déliter de désespoir, sa sœur sera traversée par l’inquiétude. Bref, chacun des deux amis opère une destruction de leur lieu familial de vie, s’attaque au maternel, tandis que leur père est invisible. On pourrait dire alors que l’appel de la falaise est celui du père. En conclusion du roman, lorsque Ludovic retourne à la falaise, on ne sait plus s’il ne se confond pas avec Gaétan, en tout cas, il nous semble que lui aussi répond à l’appel du père en sautant symboliquement de la falaise, rejoignant un au-delà. C’est en effet très curieux de sentir à quel point ces fils prennent le parti du père. Et à quel point Henri Husetowski inscrit au cœur de son écriture le fait de saccager, et d’échapper à la belle image du fils à sa mère.

Un fils qui finit par crier que sa mère de naissance n’est plus sa mère, et qu’il désire se faire adopter par la mère de Gaétan, d’autant plus que son fils a disparu. Oscillation entre la mauvaise mère et la bonne mère. Entre le mauvais fils et le bon fils. Ludovic entre chez son ami Gaétan comme chez lui, va dans sa chambre, y dort même. Comme si ce garçon n’avait jamais cessé de rêver à une famille normale, une mère aimante, surtout. Tandis que la sienne, cette mère de naissance, il se prépare à la dénoncer pour collaboration, écrivant deux lettres anonymes et des affiches. On ne sait pas clairement s’il est passé à l’acte, en tout cas il a un grand désir de matricide…

Le thème du précipice du pré-adolescent Gaétan du haut de la falaise entre en résonance avec la question sexuelle au seuil de la puberté. Comme dans son premier roman, Henri Husetowski met la question de l’initiation sexuelle du garçon au cœur de cette œuvre. En fin de compte, il y a toujours une gentille et compréhensive femme d’âge mûr qui initie à merveille le garçon de quinze ans… Un autre aspect des femmes. D’une part l’aspect maternel, oscillation entre la mauvaise mère et la bonne mère, rimant avec le fils bâtard et le fils légitime mais toujours un fils seul avec sa mère, le père ayant disparu d’une manière ou d’une autre, et d’autre part la femme initiatrice qui est de la même génération que la mère. Sauter de la falaise prend ainsi un autre sens : sauter dans le temps de la sexualité. Se jeter dans ce temps nouveau. Rejet violent de la mère, il ne peut être le bon fils qu’elle aurait réussi à rectifier, il ne peut rester entre les mains maternelles, il s’arrache d’une manière destructrice de cette originaire initiation pour sauter dans une deuxième initiation pour laquelle le père invisible est un paradigme.

Gaétan a sauté de la falaise au seuil du printemps. Printemps sexuel, aussi. L’écriture de cet auteur est pleine de symboles. Son roman se lit à plusieurs niveaux.

Printemps sexuel admirablement raconté par cet étrange suicide, en fin de compte. Le geste suicidaire de Gaétan, laissant son ami Ludovic incrédule, nous semble symboliser la pulsion sexuelle surgissant à l’improviste pour la première fois avec cette violence : il n’y a plus qu’à s’y jeter, comme dans le vide, impossible de revenir en arrière. Les deux amis ont l’air d’être un dédoublement du même garçon. Ludovic, au moment où son ami va se jeter dans le vide, accroche une pierre, et tombe. Cette pierre d’achoppement est celle de l’obstacle qui se met sur son chemin pour qu’il ne puisse pas s’opposer à cette chute dans la vie sexuelle. En lui, ça s’oppose à ce qu’il empêche ce précipice, et c’est cette pierre qui le fait tomber. On imagine la poussée violente et irrésistible de la pulsion sexuelle, qui va détruire l’ancienne vie. Le roman va revenir sur les lieux de cette ancienne vie, montrant la destruction en train de se faire.

Ludovic saigne très souvent du nez. Il parle de son « aorte nasale »… Le docteur Lavergne (on entend mal, on est tenté de comprendre Laverge…) dit qu’il a les veines trop fines. Mais on se prend à imaginer la pression sanguine trop violente, sexuelle, elle gicle par le nez… En même temps, quelqu’un est saigné…

Invitons à découvrir ce beau roman par des citations qui donneront envie d’acheter le livre.

« Je la déteste pas, je l’aime pas, c’est tout. C’est elle qui croit qu’elle est ma mère, elle me gêne et elle m’énerve, je veux plus avoir affaire à elle. C’est pour ça qu’il vaudrait mieux qu’elle soit morte, comme ça je me ferais adopter, c’est compréhensible. » « Attends, ta bite, c’est pas un porte-plume, t’as ta braguette tachée en violet. » En italique, dans un rêve : Gaétan entre dans la chambre  : « Il me prend par la main et veut m’entraîner, il me dit, viens, la vie n’est pas belle :’tu n’as rien à faire ici, tu n’as pas d’avenir, laisse-toi aller, ce n’est rien de mourir, tout est moche de ce que tu vis’ ». « J’ai vu le sang gicler comme des jets d’eau pendant que l’autre arrosait mon sexe avec de l’encre violette, en faisant des commentaires vexants sur comment il était… disant que la prochaine fois ils me couperaient mes couilles à la noix et ils ont ajouté qu’ils étaient étonnés que j’en aie. Ils sont partis sans se presser. Mon aorte nasale s’est mise à saigner… » « Je ne suis pas bâtard pour rien, les bâtard, c’est con. » « Elle a une chemise de nuit rose comme le lit, les pantoufles aussi. Sa poitrine occupe la moitié de la chambre. Elle se glisse sous les couvertures, éteint la lumière, une ampoule rose éclaire faiblement. » « Il y a, dans ma tête, une sorte de mur infranchissable comme si j’étais prisonnier de je ne sais quoi, je veux détruire ce mur mais je ne sais pas comment faire. En même temps, je pense à Gaétan qui a disparu, comme son père Paul Prudhomme qui n’a pas donné de nouvelles depuis longtemps. » « Gaétan n’était pas seulement un frère pour moi, j’avais des tas de projets avec lui. Même qu’une fois on avait vu un film de cow-boys au cinéma et qu’on avait décidé de partir en Amérique dans le Far West et de monter à cheval. »

Une très belle écriture, vivante et drôle jusqu’au nœud de la tragédie et de la question si sensible de la bâtardise pour un garçon. « Le printemps des pères », deuxième roman d’Henri Husetowski, est aussi réussi et passionnant que le premier !

Alice Granger Guitard



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