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Tu me demandes si j’ai connu la guerre - A Altaroche
jeudi 5 avril 2012 par Giovanni Dotoli

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Conférence-présentation de Giovanni Dotoli

Conférence-présentation de Giovanni Dotoli

Professeur de langue et littérature françaises

Université de Bari

 

à propos du roman d'Aurore Altaroche

 

"tu me demandes si j'ai connu la guerre"

 

Cité Universitaire internationale . Paris

 

11 mars 2012

 

 

Merci Nicole, merci aux amis qui sont là, merci aux collègues, à  l'université française,  à l'université italienne, le théâtre, les poètes et vous tous.

Quand Nicole m'a parlé de ce roman, j'ai pensé immédiatement qu'en effet nous avons un destin : il y a quelque chose entre moi et le roman dont je vais parler.

Nicole m'avait parlé de ce roman, il y a plus d'un an, je me souviens que je t'ai appelée, au mois d'août, il y a deux ans, et tu m'as dit : "je suis à la campagne, je suis entrain d'écrire mon roman". et je t'ai dit "quand tu l'auras fini, envoie-le moi, et tu me l'as envoyé par mail. Là j'ai seulement regardé un coup d'œil rapide mais quand j'ai eu le roman, j'ai été intrigué par l'auteur qui est une autre, "Je est une autre " Aurore Altaroche, nous savons qu'elle est une autre et une Aurore et le titre "tu me demandes si j'ai connu la guerre", et le sous-titre est important : Mémoires imaginées d'une femme au XXème siècle et début du XXIème siècle" . Je me suis précipité dans le roman, j'ai lu et souligné parce que j'ai lu et réfléchi sur le roman et j'ai pris quelques notes.

Je dirais immédiatement que ce roman m'a frappé positivement, pour différentes raisons que je m'efforcerais de souligner. C'est un roman-vérité, qui parle la vérité mais un roman de la vérité qui trace, conte,  narre présente un rêve qui est aussi une vie, une vie et un rêve romancés et qui est aussi un espoir.

Le personnage central, Nicole Barrière qui se cache sous une autre nom et prénom Aurore Altaroche qui arrive dans un autre endroit du monde, l'Afghanistan,  pas tout à fait par hasard car nous connaissons l'engagement plein de Nicole à l'égard de ce monde difficile dans cette région du monde qui est massacrée, qui est toujours en guerre, entre deux mondes, et dont espère qu'il va en sortir.

Là, le personnage est blessé, hospitalisé, et sur le lit de l'hôpital, comme cela arrive souvent quand on est en difficulté, en danger, on rêve, on pense à la vie, la mort, on pense à son propre passé et c'est tout un monde qui apparait, et je pense à un titre célèbre de Maupassant 'une vie", une toute autre  sorte de roman, mais le principe est toujours le même, le romancier invente une vie qui est sa propre vie mais aussi la vie de nous tous, la vie que nous vivons et espérons vivre et le fil rouge du roman c'est la guerre.

 

- La guerre, de toutes sortes, quand on parle de guerre, pas uniquement  la guerre de deux armées qui s'affrontent, de peuples qui s'affrontent, de mondes qui s'affrontent  et ne se confondent jamais, des soldats dans des tranchées qui se regardent, s'offrent des cigarettes, car l'humanité est toujours là.

Une guerre de tous types, de toutes sortes qui voit au centre de l'action le pouvoir, nous sommes toujours en lutte avec le pouvoir, le citoyen est en lutte avec lui, c'est pour cela que le sous-titre nous dit : Mémoires imaginés d'une femme au XXème siècle et début du XXIème siècle", donc un siècle et plus :  110 ans de guerre sont là, grâce à une série d'images présentées par l'écrivain, des guerres vraies qu'on présente dans la presse et à la télévision, qu'on ne voyait pas à la télé, dans les magazines qu'on trouve dans les brocantes, comme le Crapouillot, un magazine satirique des années 1910  1920? Dans un numéro de 1915 que je feuilletais, il y a ces images de la guerre.

Première guerre mondiale, guerre d'Espagne, deuxième guerre mondiale, la guerre d'Indochine, que vous appelez d'Indochine et que nous appelons du Viet-Nam, la guerre d'Algérie, la guerre d'Afghanistan, la Palestine, les colonies etc...il parait que le siècle dernier a été uniquement un siècle de guerre, de terreur, d'orgueil, de lutte, un siècle de guerre que tout le monde connait mais il y a d'autres guerres encore plus compliquées, plus sophistiquées, plus terribles encore.

 

- La guerre contre la langue : je suis italien, je viens du Sud de l'Italie, nous avons connu, nous connaissons encore cette guerre de la société contre la langue, la langue principale, maternelle qu'on apprend à 2 ou 3 ans qui n'est pas forcément la langue de la vie après.  Je parle italien encore aujourd'hui comme une langue étrangère, c'est toujours ma deuxième langue comme pour Nicole le français est sa deuxième langue, aimée bien sûr, poétisée, parfaitement connue, plus que n'importe qui, mais c'est toujours la langue de l'autre. Nous vivons un peu tous cette tragi-comédie, de la lutte contre la première langue, la langue maternelle.

 

- La guerre contre la terre, contre notre planète, le jardin du monde, le paradis terrestre, et ce jardin souvent est massacré, changé, perd son image et sa vie pour toutes sortes de raisons

 

- La guerre contre la femme,  depuis toujours on lutte pour que  la femme ait un statut, un rôle, plus égalitaire, il y a des lois qui le disent mais les lois ne suffisent pas  parce que les lois sont là mais encore maintenant, la question de la femme est encore dramatique, sa présence au monde et c'est la raison pour laquelle j'ai fait cette "anthologie de la poésie érotique féminine", encore une fois, présenter la question Femme à tous point de vue.

L'intégrisme est partout, même c'est une sorte de brouillard, on me regarde mal et je ne sais même pas pourquoi : parce que je suis différente, il y a toutes  sortes d'absence de dialogue qui se transforme en guerre contre l'autre.

 

- La guerre contre la beauté : je viens d'écrire un livre sur la beauté "la beauté et  le salut du monde". et d'une façon différente, ce livre dit la même chose. Évidemment dans la destinée que j'évoquais au début il y a la rencontre de Nicole avec Giovanni., parce qu'on ne se connaissait pas, on s'est connu autour de la poésie, dans une des lectures qui, heureusement existent à Paris et qui servent à nous connaitre et à créer de l'amitié.

 

- La guerre contre l'art et l'art n'est pas vraiment aimé, au cours de l' histoire, il y a l'histoire de l'art, l'art à tous points de vue, mais c'est toujours vu comme quelque chose de noble,  ou de fou, la folie qui fait l'artiste ou le poète, mais la société fait très peu pour l'art.

Une guerre contre l'art et la guerre contre la société elle-même qui ne respecte pas les règles et le pouvoir attaque la société elle-même qu'il devait protéger.

 

Vous voyez comme ce livre marche, se déroule sur le fil rouge de la guerre, quelles guerres se demande l'auteur?

 

 

Un autre élément qui m'a frappé est de quel type de roman sommes-nous entrain de parler ? c'est quoi ce roman? le roman écrit en prose bien sûr, la narration d'une aventure, de plusieurs aventures, un film de la vie, comme le théâtre il représente la mémoire et le mémoire de la vie.

Mais généralement on n'écrit pas un roman comme celui d'Aurore Altaroche, c'est une biographie, une autobiographie, c'est une fiction de la biographie, mais c'est une sorte de biographie-autobiographie différente des  biographies-autobiographies normales.

J'ai eu l'impression qu'à partir du rêve initial sur le lit d'hôpital, le personnage commence à voir sous l'effet des médicaments et du rêve, le personnage qui est une femme,  essaie de revoir toute sa vie, c'est un film en plusieurs épisodes, chaque chapitre  est un épisode, là les chapitres sont courts, les plus longs 4 à 5 pages, c'est toujours des chapitres courts, j'ai l'impression d'une écriture cinématographique, c'est un film, qui a des flèches,  l'influence de la communication de nos jours, d'images l'une après l'autre, qui se croisent et s'enchainent de ce qui s'est passé ou va se passer, donc une organisation, une structure, une écriture d'ordre cinématographique, ce qui pour moi est très important du point de vue de l'analyse du roman, le lecteur voit ce que l'auteur n'a pas vu et cela signifie que le texte est bon car cela permet l'enchainement d'interprétations à l'infini de cette vie présentée dans le roman.

 

Fiction, biographie, autobiographie de quoi? de la vie mais cela ne suffit pas, je dirai une fiction d'ordre poétique, c'est encore une fois une des raisons pour lesquelles j'ai beaucoup aimé ce livre, parce que je me suis retrouvé moi-même dans le livre, c'est cela qui est étonnant, dans ma propre biographie, il y a beaucoup d"épisodes qui sont les mêmes, j'aurai pu conter la même chose : je viens de la campagne moi aussi, j'ai vécu dans un village, l'auteur a vécu dans une ferme, dans toute la Méditerranée, autour de la Méditerranée, les historiens de la Méditerranée le disent très bien, il y a l'habitude de faire les travaux dans les champs et de rentrer le soir à la maison, pas à la ferme, mais au village, c'est une des grandes traditions qui constituent la caractéristique de la vie en Méditerranée. Je me retrouve moi-même dans le roman dans cette fiction d'ordre poétique, poésie de la vie, image de l'enfant, d'une fille de dix ans, sept ans, six ans qui regarde ce qui se passe, qui regarde tout d'une façon très poétique, presque en annonçant ce que serait ce personnage poète, directeur de collection Accent tonique, auteur de ce premier roman qui n'oublie jamais la poésie, qui  s'écrit par vision de poésie, par enchantement de poésie et vous verrez à la fin dans ces pages annoncées ce mouvement poétique que l'on trouve jusqu'au dernier mot.

 

Fiction de l'écriture, parce que nous sommes face à un personnage qui rêve d'écrire, tout le monde rêve d'écrire et de réussir dans la vie et là on voit dès les premiers moments que le monde est un monde à écrire, à narrer, à percevoir à travers l'acte de la parole écrite, et il y a une fiction de l'écriture, souvent on parle d'écriture dans le livre, parfois il y a un passage d’épisodes avec ces flèches d'ordre de l'écriture à l'unisson avec le rêve et si on regarde les deux exergues qui ouvrent le livre, un d'Ossip Mandelstam : " il ne peut y avoir que la poésie ou la guerre"

La guerre est vue aussi malgré ses aspects tragiques sur un plan poétique comme dans le théâtre on disait : il faut repousser le mal en le colorant d'amour, de poésie malgré tout car dans les choses les plus terribles il y a du poétique et nous, êtres humains avons la responsabilité de retrouver cet aspect poétique qu'on est entrain de perdre, l'Autre de Geneviève Clancy qui souligne  la barbarie d’époque et ses encombrements".

 

Tout le roman voyage entre la vie et la mort, vie/ mort/vie, toujours il y a des suggestions, des considérations des informations sur le temps, il y a même des pages philosophiques très profondes sur le temps, on sait que la vie c'est le temps, mais la mort aussi c'est le temps.

A partir du lit de cet hôpital, dans un monde perdu, loin de notre monde, le personnage a une sorte d'hallucination, d'illumination, je pense à  Rimbaud, la situation de l'hallucinée, qui permet, d'une situation bloquée, dans un lit blessée, d'ouvrir le monde par tranches de vie, qui viennent l'une après l'autre, par bribes de souvenirs. Quand nous rêvons, quand nous avons des souvenirs, nous n'avons pas d'enchainements précis, des images passent devant le regard comme des cauchemars, des moments de douleur, parfois aussi des moments de joie .

Je dirais qu'il s'agit d'un roman de théâtre dans le théâtre,  ainsi que cela arrive, dans le théâtre au XVIIe siècle, au cours de mes recherches du début du XVIIème siècle, la période du théâtre dans le théâtre, l'idée fondamentale de transformer l'acteur en acteur de sa propre vie, du monde et de soi-même et montrer qu'il y a un théâtre sur la scène comme  le théâtre est le théâtre de lui-même, il suffit de voir n'importe quelle pièce de Corneille pour voir que ça marche, l'illusion comique, mais même chez Racine, dramaturge de la tragédie de la douleur et de l'âme qui réfléchit sur elle-même.

Théâtre dans le théâtre mais aussi, et ça c'est une autre nouveauté importante de ce roman : une écriture dans l'écriture, pourquoi écriture dans l'écriture? parce que Nicole Barrière ou Aurore Altaroche, a besoin pour conter ses images, perçues dans un rêve, de citations, de faire parler les autres, toute une série d'écrivains, les plus importants ou les moins importants, c'est sans importance, il n'y a pas de petits ou de grands dans la forêt de la littérature, il y a de grands arbres qui réussissent à monter et à voir la lumière, et des petits tout autour, de l'herbe, verte ou jaune, de petits chênes qui n'arrivent pas à sortir, qui restent là mais tous ces arbres et cette herbe ont le même rôle ensemble dans la chaine de l'écriture.

Et là arrive la même chose dans le théâtre de l'écriture, qui se montre et se parle et dont l'écrivain a besoin pour continuer sa narration. Vous avez en France un exemple merveilleux de cette typologie d'écriture qui est Montaigne. Montaigne pour présenter ses chapitres qui sont un peu comme tes chapitres, les essais c'est quoi? des chapitres qui étaient très courts, dans la première rédaction, la première édition des essais qui n'avaient que deux livres, c'était des chapitres courts, Montaigne a allongé, allongé... ce qui est important est de considérer comment l'écriture se présente chez Montaigne, mais nous sommes en train d'analyser le roman "tu me demandes si j'ai connu la guerre", à la façon ici des essais, des chapitres, qui parfois n'ont pas de lien l'un avec l'autre, le seul lien c'est la vie et le rêve et le fait que comme dans notre vie elle-même ça se passe comme ça. Dans la journée nous assistons à plusieurs essais qui apparemment n'ont pas de lien mais qui ont des liens fondamentaux car c'est toujours nous-même.

Donc il y a ces citations des écrivains, bien  sur Montaigne utilise les grecs, les romains, les italiens, les grands écrivains de l'image à imiter de l'époque, Nicole Barrière cite seize écrivains, les écrivains qui l'ont formée, même si à un moment elle parle de sa formation et des auteurs qu'elle lisait à l'école, des auteurs classiques et à un moment, une autre littérature que d'habitude on ne lit pas. Par exemple, page huit la deuxième page, une citation de Jean Genet, très grand écrivain, mais qui le lit? très peu de monde, elle cite en italique exactement comme Montaigne, qui différencie  la typologie d'écriture italique et romaine, et la phrase citée c'est :  « tout homme naissant et grandissant avec ses débats, ses troubles intérieurs et cachés »

les citations ne tombent pas du ciel, ce sont des citations réfléchies, qui viennent de loin, de grandes lectures, d'amour pour l'écriture et d'amour pour la littérature, on a besoin d'avoir la confirmation que nous sommes là, écrivains, parce qu'il y en a eu d'autres avant nous, qui ont dit presque les mêmes choses à d'autres époques mais c'est toujours notre voix qui traverse le temps, c'est la voix humaine, titre du film magnifique de Cocteau.

Immédiatement après une deuxième citation :

Mon bien-aimé, mon soleil, lève-toi sur l’horizon, efface mes nuits d’exil
Les ténèbres de la solitude me couvrent de toutes parts.

et c'est exactement l'axe de tout le roman, ce sens de la solitude, ce sens de la naissance et du grandissement, des troubles intérieurs et cachés, de l'horizon, du sens d'exil, et du désir d'aller, de marcher, de réussir.

Des citations de Mauriac, de Céline, de grands écrivains, là en citant Céline page 14, "L’espoir c’est d’être compris mais on l’est rarement." L'écrivain écrit pour lui et pour le monde mais combien de fois il n'est pas compris. Je citais au début Léon Bloy, c'est l'un des plus grands, mais qui lit Léon Bloy? Je vous invite à lire Léon Bloy, vous serez foudroyé par l’écriture de cet écrivain, Roland Barthes dira que c'est l'un des plus grands écrivains de la littérature française.

Tout le livre s'organise aussi sur le rythme des traditions, traditions populaires, millénaires, traditions de la France, traditions du Sud, traditions des familles, des rites comme s'il voulait dire que nous avons besoin de traditions, nous avons besoin d'histoire,  nous avons besoin de rites dans une société une époque, la notre où les rites, qui n'existent presque plus, les rites c'est le stade...les matchs... mais les rites de la vie car la vie est toujours fondée sur les rites  et sur les mythes, les mythes sont des rites millénaires dont on ne connaît plus les origines mais ils sont là et sont la force de notre destin.

Il faut dire que cette condition de personnage est représentatif de millions de personnages parce que ça s'est passé en Italie, en France, en Espagne, ce mouvement de peuple, c'est  un roman historique écrit d' une façon différente des romans historiques, il y a l'influence surement du cinéma, d'une culture de la comédie humaine, une façon autre de l'écriture de l'histoire,  en chapitres courts, il y a des précédents importants dans l'histoire, des romans pour le peuple, de la bibliothèque bleue qui est né à la fin du XVIème siècle, tous les livres narratifs étaient écrits comme cela, même lorsqu'il s'agissait de livres qui avaient des chapitres longs, transformés et adaptés pour le peuple, qu'on lisait à la campagne devant le feu,  dans  la cuisine, c'est un procédé de livres par petits chapitres, que tu as hérité probablement de tes origines, qui a besoin de haltes, on raconte une histoire, le lendemain on raconte une autre histoire. Même l'Evangile et le Coran sont écrits  comme ça, cette nécessité  populaire de partager l'écriture, de la diviser en morceaux qui ne sont pas déliés, tous enchainés.

J'ai eu l'impression parfois, que le roman se développe comme un roman de Zola, comme un roman de Balzac, comme ces romans qui présentent des séries de la comédie humaine, cette comédie peut-être présentée de façon différente, notamment par l'acte du récit, de la narration à travers la guerre, la peur, la joie, il y a peu de joie, surtout la peur, la folie, heureusement nous vivons des moments de folie, la saloperie, la guerre est un acte de saloperie, c'est vrai car si on réfléchit de façon froide, mais quelle est la raison pour que des gens d'un côté et de l'autre aient des bombes, des fusils et soient là pour se tuer et après la tuerie,  on se demande  pardon, les chefs se rencontrent  pour la paix, si on regarde les manuels de l'histoire du monde, c'est quoi des batailles et des paix qui ne sont pas vraiment des paix car immédiatement après il y a des guerres, un enchainement de folie qu'Aurore Altaroche  essaie de conter pour souligner la folie des hommes.

Ce roman, la guerre a au moins ce mérite, d'avoir créé ce roman qui naît à partir de la douleur et des folies de la guerre. A partir de la page 14, Aurore dit qu'elle est une femme de la durée, une femme du temps, de la durée à plusieurs perspectives, le temps mais j'interpréterais aussi la durée et la dureté car les deux mots étymologiquement viennent du même mot latin, une femme dans le temps,  mais qui combat et difficilement est battue car il y a toujours ce sens de la révolte, une sensation que c'est la révolte qui donne du bonheur, que pour avoir du bonheur, il faut combattre, il faut combattre avec les moyens de l'écriture en donnant une logique à a vie .

Et il y a un autre élément important dans ce livre, la confirmation que tout roman naît d'un voyage, que la vie est un voyage, le monde de l'épique, le roman épique d'autrefois, ce ne sont que des voyages, Homère, l'Illiade c'est la guerre, l'Odyssée c'est le voyage après la guerre, ça a toujours marché de la même façon, ces poèmes épiques sont des romans, des romans en poésie, des romans de la guerre de la vie.

Et tu écris que chaque départ est motivé par la solitude, probablement la guerre de Troie est née de la solitude, la solitude de la Grèce, la solitude d'Hélène, des héros et cette solitude du personnage qui est capté sur le lit d'hôpital, pour être vaincue a besoin du départ, du voyage, double voyage, réel dans l'espace, aller quelque part en Afghanistan, en Algérie, en Indochine, toutes les guerres constituent des lieux de voyage, mais aussi d'autres types de voyage écrits, le voyage de la parole en donnant une valeur à la poésie parce que la poésie est le centre de notre vie.

Page 24, une citation de Michel Leiris : "une aventure poétique, une méthode de connaissance concrète, une épreuve, un moyen d’arrêter la vieillesse. "

La poésie sert à bloquer le temps et la vieillesse . Voyage et roman, c'est très important car tout roman naît d'un voyage, tout roman est un voyage, il suffit de regarder la modification de Butor, ce voyage de France à Rome, rencontrer un amour, tous les voyages naissent de l'amour, Madame Bovary, ça ne fait rien si ça finit mal... mais on a besoin de voyager. Le voyage est le moteur du roman et en fait la structure cinématographique et c'est la structure liée à un voyage parce que le salut vient du danger qui est perçu au cours de ce voyage. Et là nous apprenons comment naît le roman. Le roman naît de sa propre vie, du voyage de sa vie, du voyage imaginaire qui permet à Aurore de s'occuper de la grande question des femmes, cette question irrésolue, vous savez que Rimbaud a dit "tant que le monde ne reconnaitra pas le rôle de la femme, le monde ne sera pas monde" et c'est vrai le monde n'est pas encore le monde car la femme n'a pas encore eu la reconnaissance de ce qu'elle est dans cette lutte humaine qui est aussi une lutte contre la guerre.

Un roman de révolte et je reviens à la question de la langue, il y a plusieurs pages importantes au début du roman mais surtout vers la moitié et la fin, cette guerre contre la langue, notre langue, donc notre identité car la langue c'est nous-mêmes, on apprend d'autres langues bien sûr, mais la langue du personnage, la langue du coeur est celle que nous mère nous a donnée, l'endroit d'où nous venons, dans cette "putain de vie" dans laquelle chaque mot est une entorse au temps.

Dans cette question de la langue, il y aussi une question du sud, ce sud, parce que le même problème existe en Italie, ce sud qui est toujours mal vu, ce n'est pas le sud géographique seulement, le sud c'est ce qui est en bas, les autres sont en haut, vers le nord, là-haut c'est le paradis là-bas c'est l'enfer, là-haut on parle bien, là-bas on parle mal, là-haut on est beau, là-bas on n'est pas beau, même si c'est le contraire, mais nous venons du sud, on n'est pas mal quand même! Ce sud qui constitue un lieu de métissage, de langues, un lieu de religion, un lieu de fête, un lieu où la poésie n'est pas seulement la poésie des nobles, c'est aussi la poésie des pauvres, des pages magnifiques où Aurore conte cette perception de la fête comme une  poésie et de la parole orale des pauvres, des paysans, des travailleurs, des ouvriers, des artisans qui est une parole de la réalité et qui est plus poétique de la grande parole des grands écrivains. Donc dit Aurore dit : Chaque être recèle un mystère.

Et ce roman va à la recherche de ce mystère, de cette unité de l'être, humain, j'aurais pu parler d'Horace, le grand poète latin qui dit un peu la même chose dans ses écrits, un homme du sud né à Vénusia, maintenant c'est Venose, poète du sud, du carpe diem, poète de la terre, du voyage aussi qui a écrit un voyage de Rome à Brindisi, en poésie, très beau.

Pour terminer, il y a des pages magnifiques sur la beauté, sur la modernité, sur le progrès, car on nous a fait une tête de progrès car le progrès devait résoudre tous nos problèmes, aujourd'hui"hui sur le boulevard Jourdan il y a un tram, qu'il n'y avait pas il y a trente ans, on pouvait marcher dans la rue, il y avait peu de  voitures, on a fait le tram, progrès immense mais est-on plus heureux? est ce qu'on a vraiment gagné ? on est plus désespéré et il y a moins de travail, plus de crise qu'avant et tous ces problèmes là notre amie, les traite d'une façon poétique en traversant sa propre vie de la ferme au collège, à Paris, ici à la Cité Universitaire, en traversant ce qui s'est passé à l'époque de mai 68, qui est une révolution de ville et pas de la campagne, où on ne savait pas de quoi il s'agissait, où on disait qu'est ce qu'ils disent ces fous de  parisiens et il y a toute une partie concernant les illusions de la vie, les amours, Paris, l'université, la transgression, pour en arriver où ? à la paupérisation absolue du monde. Parfois je trouve des liens entre ce roman et Serge Latouche  qui parle de la décroissance, contre le progrès, décroitre pour être plus heureux  car la guerre rend les êtres comme des choses, sans vie.

J'aurai beaucoup à dire sur le nom d'Aurore Altaroche, parce qu'elle parle de la naissance de ce prénom et de ce nom, pourquoi, Aurore et pourquoi Altaroche, pourquoi doubler son nom et enfin dans la dernière partie du roman, il y a quelque chose d'étonnant, de très important, qui a pu être possible grâce au fait qu'Aurore a choisi ce système d'écriture cinématographique car autrement, elle n'aurait pu parler des liens entre science et poésie, entre science et vie, science et univers, science et ciel, science et philosophie et légèreté /gravité tout est grave mais les anges sont légers. Nous aspirons tous à être des anges pour être au moins angélique et c'est là qu'elle présente des pages étonnantes sur le lien entre science et étonnement, quand j'ai lu étonnement j'ai pensé à Ronsard, l'enthousiaste Ronsard, l'enthousiasme du poète, dans la poésie il y a de la science et dans la science, il y a beaucoup de poésie, et sans poésie, il n'y a pas de science parce que seuls les écrivains, le poète est capable de donner sens à la vie .

Des pages sur le temps, que le monde regarde comme quelque chose qui est la montre, la minute qui passe, minute après minute, jour après jour, naissance jeunesse age adulte vieillesse etc.; le temps est autre chose, il y a toute une  réflexion sur le temps, le temps organisé tel quel, c'est l'heure qui comptait pas les minutes, l'heure, les saisons, lorsqu'on demande : tu es né quand ? un égyptien, grand prof de l'université du Caire qui me répond en disant : je suis né pendant la saison de l'époque X, non tel jour. A la campagne, mon père m'avait demandé d'aller à la mairie demander un certificat de naissance, et devant moi il y avait une vieille paysanne, au guichet l'employé lui demande : vous êtes née quand ? elle répond : je suis née le jour de Santa Lucia, mais quand ? c'est quand Santa Lucia,  le monde du temps est la perception de la vie.

Pour conclure, j'attire l'attention sur le dernier mot du livre, ça finît par café Liberté, au café c'est la vie, être ensemble, Liberté mais il est fondamental car c'est un hymne à la liberté, la sortie de l'isolement, la rupture, l'affirmation de son propre nom, de son nouveau nom et le combat contre les maux, pour nous inviter à vivre dans le rêve, dans l'écriture, le sourire, l'amitié sans regarder ce monde impossible qui nous conduit au désespoir .

Merci à Nicole de m'avoir permis de passer des heures sur un texte que je considère important, de ce roman de cette aube du XXI ème siècle.

 



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