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Le salut viendra de la mer - Christos Ikonomou

Traduction Michel Volkovitch - Quidam éditeur

jeudi 10 août 2017 par penvins

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Ces nouvelles ce sont des contes mais c’est surtout une époustouflante leçon de littérature. Il faut absolument lire ce livre, il a la simplicité et la densité de la poésie grecque. Rien d’intellectuel, d’alambiqué dans ces textes, mais un sens de la musique, un amour de la langue, une jouissance d’écriture que le français a perdu et que pourtant la traduction nous transmet en s’affranchissant de l’élégance et de la sobriété que nous aimons tant !

On pourrait parler de contes fantastiques s’il ne s’agissait pour nous d’un genre défini d’histoires romantiques sans attachement au réel. Ces contes-là tout au contraire – en dépit de la distance qu’ils prennent avec l’effroyable réalité quotidienne de la crise – ne parlent que d’elle, mieux, disent la nécessité d’inventer des mythes dans un monde qui n’a plus de sens. Il y a bien sûr la rivalité qui s’établit entre les habitants des îles et les citadins du continent venus y chercher un nouveau départ. Haine que vouent ceux que l’auteur appelle les rats pour ceux qu’ils considèrent comme ceux d’autr’part, des réfuchiés dira Christos Ikonomou reprenant une appellation désignant autrefois les réfugiés d’Asie Mineure. Mais toutes ces nouvelles parlent aussi du rapport au père, ce père qui a perdu la mémoire, et de l’amour filial ce père indispensable au fils. Magda abandonne Tassos l’idéaliste, elle part pour Athènes, elle laisse tomber celui qui essayait de rester un homme. Se battre contre ceux qui détruisent la Grèce par leur avidité semble impossible, le seul qui s’y soit attelé a perdu. Reste un dernier espoir fou comme un leitmotiv : « Le salut viendra de la mer ».

On lit dans ces textes la douleur de ces échecs qui apprennent à vivre : Échec du courage, échec amoureux. Comme en passant : Et si tu n’es pas trahi par une femme, tu ne peux pas devenir vraiment un homme. Mais ça c’est une autre histoire. Echec de la paternité. Alors le seul espoir qui reste dans cette Grèce meurtrie, c’est de repartir à Zéro, d’oublier la Grèce pour la redécouvrir : On doit d’abord perdre la Grèce pour sauver la Grèce. L’échec est là, la haine est là qui ne résoudra rien, il ne faut rien attendre des autres sinon peut-être qu’eux-mêmes entendent la douleur des mots, la répétition du leitmotiv : Le salut viendra de la mer. L’horreur est là, l’Allemand auquel la mère a offert sa fille, et pourtant personne ne bouge, personne pas même Chronis dans son fauteuil d’invalide qui tous les soirs voit que le vieux est enfermé avec la fille. Chronis privé de sexualité : l’autre moitié sous la ceinture cela fait longtemps qu’il a cessé de la sentir, Chronis que le père découvre infirme, Chronis qu’il est inquiet de voir le couteau entre les dents.

La nouvelle qui donne son titre à l’ensemble « Le salut viendra de la mer » est aussi celle – avec les intertextes – qui dit le plus directement les relations père-fils. Le thème traverse tout le livre, relation entre les générations précédentes et la jeunesse. Croyant bien faire, le père qui tient une taverne contraint le fils à accepter de travailler dans l’entreprise d’un armateur, bien payé mais humilié jusqu’à disparaître en s’enfonçant dans la Grotte du Dragon : De la mer vient l’armateur qui promet richesses et qui se conduit en pacha, de la mer vient aussi le tsunami qui remet tout en question. « Le salut viendra de la mer » !! Antiphrase. Les jeunes grecs savent bien qu’il n’y a rien à attendre ni de la part des armateurs, ni de la part des habitants des îles qui ont succombé au charme de l’argent facile et détestent ces citadins qui venus les déranger dans leur petit confort, les inviter à aimer leur pays plutôt que l’argent qui détruit tout.

Ironie féroce chez Christos Ikonomou : comme le héros de la première nouvelle celui de la troisième se perd dans la Grotte. Refuge ou Grotte du Monstre c’est la même chose, la Grotte c’est le lieu de l’échec, de la trahison du héros, de son refus d’affronter jusqu’au bout. La Grotte bien sûr c’est la Crise, et s’y perdre c’est accepter l’humiliation, la soumission au pouvoir de l’argent que Làzaros a imposé à son fils croyant bien faire. L’auteur à travers l’amour du père pour son fils, implore le père d’admettre une autre voie – Je me suis trompé peut-être. Il y a peut-être une autre voie  : celle qu’il a choisie, lui, contre la fatalité de l’argent, contre l’humiliation, le manque d’amour de soi du pauvre tavernier ivrogne. La dernière nouvelle ouvre l’horizon, invite à réinventer le monde.

Christos Ikonomou prend de la distance, ne se laisse pas enfermer dans la vieille littérature enivrons-nous de l’immortel cocktail du post-modernisme et du multiculturalisme, du post structuralisme et de l’intertextualité ironise-t-il, ni la vieille politique Comment pouvez-vous comprendre ? Allez défoncer une vitrine, puis prenez un petit joint, un petit raki chaud ou une bière à la santé de la révolution et à la mémoire des victimes des flics. Mais rentrez surtout bien à l’heure à la maison, parce que maman a préparé des côtelettes avec des frites et ça va refroidir. Il s’agit de prendre son destin en main en dépit des obstacles et des haines, de dire la peur pour la surmonter. La pauvreté n’est pas une fatalité, ce n’est pas tant ceux qui ont de l’argent que le pauvre hait que de ne pas en avoir, lui. Tout cela est écrit sans dogmatisme avec l’énergie de la langue. Une langue forte, violente, répétitive, avec laquelle l’auteur chasse la mélancolie et la culpabilité de l’échec. Exorcisme d’un peuple longtemps dominé qui a cru prendre sa revanche en imitant l’arrogance des puissances d’argent comme Làzaros le tavernier qui pousse son fils à ramper devant Drakakis l’armateur tellement pourri de fric qu’il se comporte comme un pacha tout-puissant. Il faut tout reprendre à zéro. Le début est toujours devant fait dire Artemi à Stàvros, elle l’oblige à répéter « Le début est toujours devant ». Un nouveau monde est possible, c’est la fin du père qui croyait en Dieu, la fin de l’ancien monde, celui de la trahison, de l’acceptation de la crise, de l’humiliation. Peut-être aussi - ce qui semble sous-jacent à ce texte – est-ce l’heure d’en finir avec l’humiliation d’avoir été quitté, l’humiliation d’avoir échoué à aller jusqu’au bout de son idéal et d’avoir en échouant trahi l’amante : Mais moi je t’ai trahi, il allait le lui dire et une fois de plus il n’a rien dit. Désormais il faut couper le fil : Stàvros a replié le fil un peu au-dessus de la pierre et l’a coupé d’un geste sec.

Des nouvelles à lire à plusieurs niveaux, dans une langue qui laisse entrevoir et maintient toujours l’attention. Des nouvelles sorties du désespoir d’un pays meurtri et qui appellent au sursaut. Regard venu de l’intérieur de la Grèce. Quand la littérature ne laisse aucune chance au réel de s’en sortir indemne, il faut la lire d’urgence.



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