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Le marcheur mutique - Paul Couëdel.
lundi 6 mars 2017 par Yves Moulet

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ed. Petit Pavé - 2016 - 12 €

Dans son livre « Le marcheur mutique », Paul Couëdel met en évidence des opportunités entre l’ombre et la lumière.

Les lumières vivifiantes du désert éblouissent les zones sombres de notre civilisation. La marche silencieuse permet de guider le viatique de la vie.

Aucune avancée de la technologie ne peut égaler la vivacité des ruses de l’ombre. Cette silhouette laissée par un corps ou un objet terrestre, utilise des stratagèmes filtrants et inhabituels en zone tempérée. Dans le désert, elle est souvent absente sur les grandes étendues plates. Ailleurs dans les grandes zones urbanisées, elle s’infiltre dans les lumières artificielles de notre civilisation. Elle use d’us et coutumes spécifiques pour se glisser partout où se frayent les bruits du monde alors qu’elle lutterait contre les géants du désert. Dans un lieu dépouillé « la lumière elle-même est nomade ». A défaut d’être leurré par des mirages, le poète en villégiature dans ce lieu magique laisse derrière lui les chemins creux de l’enfance et se risque « à l’effroi de rencontrer l’ange » sur les pistes ancestrales du Ténéré. Il « apprend l’essentielle lenteur de la beauté menaçante de ces horizons où plus rien ne bruit » Car dans ce monde où la vie est si rare et si précieuse, nous ne sommes rien. Nous apprenons à « Être un rien/ Qui voyage à travers le Grand Tout ».

On reconnaît ici l’influence taoïste de cette écriture. Le désert apprend à surmonter les affres de l’être. Hors de nos contextes choyés de vie, il nous remet en question, nous apprend simplement la survie. « Etre un rien « .. . Pas moins. Rien ou grain de sable sur les collines sculptées des ergs, ou pollens errants dans les airs... Les vents de sable essaiment les silences. Nous oublions que nous sommes cela : grains de poussière ou grains de pollen errants dans la vacuité poussiéreuse et cosmique du monde. Nous devenons comme ce « Chemineau qui chemine/Au long de l’imprévu chemin « .

Nous avons investi des zones autrefois désertiques : rivages, forêts, montagnes, plaines littorales, encadrés par des pans du désert, pour construire des centres de vie trépidante. Nous laissons des cortèges de fantômes et toutes les panoplies nostalgiques d’un passé révolu se faufiler dans nos mémoires sclérosées. Pourtant les villes aimantent. Est-ce ce stade de vie métamorphosée qui laisse place à ce désir-désert, à cet esprit nomade temporaire estival ? Figure de sable à jamais pollinisée dans une mémoire statufiée.

Les mots souvenirs deviennent des « balises », des « cristaux », le « granit » hautain des dernières caravanes. Le poète guette la grâce dans ce silence et le poème écrit la concrétion de cette bénédiction.

Les hommes vivent comme ces pollens errants qui ne se fixent que sur l’empire des sables et des pierres. Dans l’enclos consacré aux prières votives et aux puits bénits de l’eau si rare, il faut chercher l’infini après l’avoir longtemps espéré.

Dans le désert, les yeux s’abandonnent à cette vie déambulatoire. Les femmes comme les hommes formant encore de longues caravanes, prennent les formes ondulatoires des collines et des dunes de sable. Sur les regs, la marche souple des femmes, comme tout d’ailleurs, devient la figure métaphorique du temps rythmé aux battements du tendé. Ce tambour touareg joué par les femmes lors des fêtes et des danses, doit comme souligner les lentes et nécessaires ondulations du corps qui écrivent l’essentiel d’une vie difficile mais apprise et maîtrisée.

Dans le désert l’homme vit pour l’essentiel, perçoit la nécessite primordiale de la vie. Il refuse le futile, se contente de peu, de ce « rien «  pollinisé ou minéralisé. L’homme du désert admet inconsciemment l’adage de Confucius : « II faut vivre de peu pour être riche de tout ».

Tendez bien l’oreille pour écouter la grandeur du poème. Admirez la lente et noble danse des derniers seigneurs du désert.

Le poète témoin réside dans une parole nécessaire et nomade. Sans être messager mais simple passant, grâce à son regard et à ses impressions, il annonce l’essentiel des bruits du monde. Et le texte gravé doit cheminer aussi dans l’esprit d’autrui. Il ne doit pas laisser à travers ses mots qu’une perception de silence. Que celui qui passe ait une bonne impression de ce qu’il observe. La poésie bouleverse le rythme alentour. Nous partageons tous sur terre le nomadisme d’une existence mystérieuse.

Cependant dans nos mondes urbanisés, nous oublions le Grand Silence où les taiseux côtoient les laborieux bruyants. Écoutons les litanies des tendés, apprécions les chants polysémiques et polyphoniques des rites de thé. Imaginons... Nous sommes tout près des grandes tentes tendues sur les sables et battues par les vents... Il faut : du thé, du feu, du temps et des amis.

J’ajouterai également qu’il est nécessaire de méditer ce silence qui pérégrine aussi dans l’esprit. Ce sont nos mémoires qui cheminent sur les assonances et les allitérations du texte. Et les rythmes du texte bercent ou ponctuent la marche des taiseux devenus pèlerins d’un monde épuré.

Pour le poète, il se passe toujours quelque chose dans le modeste enclos de la vie. Quand bien même l’homme de lettres doute, le poète connaît sa finitude : « Et de mon poème, qui se souviendra ? » En fait, Paul Couëdel, dans son cheminement à travers ce désert fréquenté par les Touaregs, pose la question de sa voix et par là-même, de sa propre vie. Il aura, grâce à ses mots, tracé comme une forme de sacerdoce. Si les pensées sont sauvages, les objectifs du créateur sont d’ « harmoniser violence et tendresse, unir fureur et douceur ». N’est-ce pas l’objectif de tout créateur que de retrouver et de recréer l’harmonie des silences du monde. Si la philosophie pense le monde, la poésie garantit la pérennité de l’existence humaine.

Paul Couëdel en son désert intérieur, cheminant silencieusement tel un « marcheur mutique » nous apprend que le métier de poète est un travail de veilleur, de tisseur de mots mais aussi de brodeur contemplatif et taiseux qui noue les festons de la vie et tisonne son silence tout au long de son poème.



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