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Le plaisir du texte - Roland Barthes
vendredi 9 avril 2010 par Fatima El Bouanani

Roland Barthes: plaisir du texte, plaisir de la vie

Roland Barthes: plaisir du texte, plaisir de la vie

Tout être humain éprouve du plaisir pour certaines choses dans la vie, à titre d’exemple : le sport, le voyage, le jeu, le cinéma, la lecture, la peinture… pour ceux qui prennent du plaisir de la lecture, leur degré de jouissance diffère d’un texte à un autre. C’est également ce que Roland Barthes a essayé de traiter, dans Le plaisir du texte, donnant accès à une nouvelle théorie du texte, celle du plaisir. En effet un texte qui produit le plaisir est un texte écrit en plaisir : « Le texte que vous écrivez doit me donner la preuve qu’il me désire. Cette preuve existe : c’est l’écriture. L’écriture est ceci : la science des jouissances du langage »[1]. Cette jouissance aura lieu quand on accèdera à la déconstruction des lois de « la langue, son lexique, sa métrique, sa prosodie »[2], mais aussi des édifices idéologiques, des solidarités intellectuelles. Bref, c’est de la destruction de touts les canons, les règles, les lois et les valeurs sociales et politiques qu’il s’agit ici, car la jouissance, selon Barthes, est asociale.

Barthes dans une métaphore extraordinaire compare le texte à un corps féminin séduisant. De même que celui-ci enchante  les yeux, en se déshabillant  graduellement, le texte suscite le plaisir des lecteurs, en se dévoilant petit à petit. Le plaisir de voir se déshabiller, peu à peu, une danseuse,  dans un bar,  s’échelonne jusqu’à atteindre son apogée : la vue de son sexe nu, c’est le même de dévoiler peu à peu un texte jusqu’à atteindre sa fin ou sa morale. Et un lecteur précipité, qui peut enjamber les passages pour arriver rapidement sur la fin, est exactement celui qui se lève vers la danseuse, essayant de la déshabiller, vite, précipitant le top ou le laps : la voir entièrement nue.

Un texte de plaisir est «  celui qui contente, emplit, donne de l’euphorie ; celui qui vient de la culture, ne rompt pas avec elle, est lié à une pratique confortable de la lecture. »[3] Le texte de jouissance est « celui qui met en état de perte, celui qui déconforte (…), fait vaciller les assises historiques, culturelles, psychologiques, du lecteur, la consistance de ses goûts, de ses valeurs et de ses souvenirs, met en crise son rapport au langage. »[4]

Le plaisir du texte exige l’exclusion de l’idéologique. Cela répond aux principes du Structuralisme qui considère le texte comme une structure renfermée sur elle-même. Mais l’intention de Barthes semble être autre qu’une exigence structurale. Annonçant que le plaisir du texte est une destruction des valeurs auxquelles on doit renoncer, il invite à combattre la répression idéologique et la répression libidinale. Bref, on doit rejeter l’idéologie qui englobe la politique, la société, ses valeurs et ses institutions, et le langage.

En effet, le plaisir du texte nécessite la défection du langage, et non pas de la langue, car le langage reflète l’idéologie d’une classe. Le texte doit, donc, se tirer des sociolectes, des fictions : « j’irai jusqu’à jouir d’une défiguration de la langue, et l’opinion passera les hauts cris, car il ne veut pas qu’on « défigure la nature. »[5] C’est donc de la défiguration de la nature qu’il s’agit ici. Mais enfin qu’est ce qui est non- naturel chez Barthes ?

Le plaisir nécessite qu’on renonce au social car la jouissance est asociale. « Elle est la perte abrupte de la société »[6]. Pour Barthes, ce qui est débordé c’est l’unité morale que la société exige de tout produit humain. Qu’y a-t-il d’immoral chez l’auteur du plaisir du texte ? Et pourquoi cette volonté sérieuse de stigmatiser le rôle de la société ? La société qui compromet l’art et la jouissance  n’a de chance qu’avec le Nouveau absolu d’échapper à l’aliénation de la société. Il refuse par cette fuite en avant la répétition qui est le langage des institutions officielles. Le plaisir est toujours déçu, réprimé, « son rival victorieux, c’est le Désir : on nous parle sans cesse du Désir, jamais du Plaisir ; le Désir aurait une dignité épistémique, le plaisir non. »[7] Et voici la réponse à toutes nos questions rapportées. Cette guerre acharnée sur l’idéologie, la société et ses valeurs n’est qu’une tentative désespérée de la part de Barthes pour légitimer son homosexualité jusque-là rejetée socialement pour son immoralité. Et ce qui oppose le désir au plaisir c’est la naturalité du premier et la sur-naturalité du deuxième. Car le désir se produit entre des humains de sexes différents,  le plaisir peut s’élargir pour contenir un désir contre nature, celui des personnes du même sexe, d’où la dignité de l’un et l’indignité de l’autre. C’est également pourquoi Barthes refuse les analyses socio-idéologiques qui voient dans les écrivains des déçus et des impuissants. Ce qu’il cherche en fin de compte c’est une reconnaissance de son droit au plaisir et à la jouissance.

Le plaisir du texte exige, aussi, le rejet du politique car « le texte est (devrait être) cette personne qui montre son derrière au père politique. »[8] Etant un fait politique, le stéréotype est renoncé parce qu’il est la figure de l’idéologie. Il est le mot répété hors de toute jouissance. « L’opposition (le couteau des valeurs) (…) est toujours et partout entre l’exception et la règle. La règle c’est l’abus, l’exception ; c’est la jouissance »[9]. Cet amour et cet enthousiasme pour l’exception émanent de la prise de conscience de Barthes de sa différence, de sa déviation de la règle, d’où sa crainte d’être rejeté par une société qui renonce aux déviants. Et c’est également pourquoi il signale que « la méfiance à l’égard du stéréotype (…) est un principe d’une instabilité absolue, qui ne respecte rien »[10], rêve  cher à Barthes dont il chante la réalisation à tout prix. Pour lui rien de plus jouissant que de mener une vie de liberté où tout est accessible sans tutelle de la société, ses mœurs et ses valeurs, de la politique et sa domination et des considérations morales.

 Refusant les idéologies qui font obstacle à la jouissance, non seulement textuelle mais aussi sexuelle, Barthes rejette aussi les systèmes que le texte défait et ne reconnaît que la jouissance comme seule loi. La recherche pour contrarier la morale sexuelle est une perversion qui essaye de fonder une autre morale où l’homosexualité ne soit inhabituelle. « Cependant la perversion ne suffit pas à définir la jouissance, c’est l’extrême de la perversion qui la définit »[11]. C’est l’abolition de toutes les limites, de toutes les contraintes : « le plaisir du texte est le moment où mon corps va suivre ses propres idées »[12]. Ce plaisir peut prendre la forme d’une dérive. Celle-ci «  advient chaque fois qu’on ne respecte pas le tout »[13]. C’est la Bêtise à vrai dire.

Le plaisir ou la jouissance nécessite donc l’abolition de tous les pouvoirs y compris celui de l’écrivain  qui n’a plus aucune parenté sur son œuvre. C’est « la mort de l’écrivain ». Le plaisir « peut gêner le retour du texte à la morale (…) c’est  un indirect »[14]. C’est également le cas du texte qui ne nomme pas les choses mais les dit. Et c’est aussi le cas de Barthes qui ne nomme pas sa jouissance ou son plaisir mais les dit aussi. En effet il n’ose pas les nommer. C’est trop tôt pour le faire. La jouissance du texte « est précoce, elle ne vient pas en son temps, elle ne dépend d’aucun mûrissement. Tout s’emporte en une fois. »[15] Voilà ce qui explique sa réserve à annoncer son vrai plaisir, à faire sortir à la lumière sa vraie jouissance, son homosexualité. Et comme il est trop tôt pour le faire, il doit patienter et attendre, mûrir les faits et les événements. Mais cela lui vaut actuellement une vie de souffrance silencieuse : « et je m’écris comme un sujet actuellement mal placé, venu trop tard ou trop tôt »[16]. C’était tôt et pas tard. De nos jours et avec les droits et les avantages dont jouissent les homosexuels, ce pauvre Barthes n’aurait pas grande peine à accéder à sa jouissance.

Pour conclure, qu’il s’agisse du plaisir textuel ou du plaisir sexuel, de la jouissance du texte ou de la jouissance homosexuelle, Barthes, et qu’importe le penchant qui le travaillait, a réussi à fonder une théorie qui explique pourquoi on salive pour un texte autant que pour un repas délicieux ou un corps excitant.

 

                                                                          Par Fatima EL BOUANANI

 

 


[1]Roland Barthes, Le plaisir du texte, éd.du Seuil, 1973, Paris, p.13-14

[2] Ibid, p.17

[3]Ibid, p.25

[4]Ibid, p.25-26

[5]Ibid, p.61

[6]Ibid, p.63

[7]Ibid,p.91

[8]Ibid, p.84

[9]Ibid, p.67

[10]Ibid, p.69-70

[11]Ibid, p.83

[12]Ibid, p.30

[13]Ibid, p.32

[14]Ibid, p.102

[15]Ibid, p.84

[16]Ibid, p.99

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