dimanche 7 septembre 2008 par penvins
Curieuse idée à première vue que d’écrire un roman sur ce sujet. Comme s’il n’avait pas fallu que quelqu’un en parle, comme si ce n’était qu’un détail insignifiant, en quelque sorte un dommage collatéral. Ainsi pensent sans doute les militaires et les politiques au point d’abandonner ceux qui les ont soutenus dans l’erreur. Mais Anne Bourrel le dit, citant Flaubert : On ne choisit pas son sujet d’écriture, il nous tombe dessus.
En femme de théâtre, Anne Bourrel amène lentement son sujet, fait semblant de ne pas savoir où elle va, évoque des événements qui n’ont apparemment qu’un rapport lointain avec son sujet et petit à petit pose le décor, dessine l’arrière-plan, sans insister montre que cela remonte à plus loin qu’aux accords d’Evian, que c’est le colonialisme qui est en cause, la volonté de déculturer l’autre qui a conduit à ce drame apparemmenr anodin.
Manière de dire que le drame des Harkis s’enracine dans l’aveuglement du colonisateur. La vie du premier Laïd né le jour où les Algériens descendaient dans la rue pour dire non, sera de très courte durée. Son père était le fils d’un colon tyrannique et sa mère une servante arabe.
Nous partons donc à la recherche de Laïd celui qui est mort en 1983 à Lodève-en-Rivière. Et nous en apprenons plus sur la rumeur qui a accompagné la mort de Laïd que sur Laïd lui-même, jeu de fausses pistes sans doute, de dissimulation mais aussi manière de montrer la difficulté de connaître la vérité sur Laïd. Bien sûr la rumeur n’est qu’une rumeur mais elle cache une réalité que l’on ne veut pas dire. Honteuse. Celle que Yasmina avait apprise de son père, quand certains soldats français se comportaient comme les pires bourreaux mais aussi celle que l’on va découvrir lorsque les collabos - comme disent ceux qui les méprisent et qui pourtant ont profité de leurs services - seront oubliés quelque part du côté de Lodève.
Il sera temps alors de laisser parler Laïd, de le laisser dire toute la honte accumulée qui l’enferme à tout jamais dans l’impossible. Ni de Là-bas, ni d’Ici.Et pourtant là-bas son père avait eu sa fierté, il avait été dresseur de serpent et avait été célèbre pour son intégrité, comment avait-il pu à la suite d’un attentat s’engager du côté des français ? Et la question que se pose Laïd : Mon père qu’a-t-il fait ? renvoie à celle que se pose aussi Yasmina à propos des horreurs que lui racontait son propre père affirmant ne pas y avoir participé.
Peut-être pour cela qu’Anne Bourrel met tout le poids de la faute du côté des colons et que Laïd réclame non pas le prix des services rendus par les Harkis mais des excuses pour avoir à ce point acculturé un peuple que son père et lui n’existent plus nulle part. Il y a bien sûr entre la honte des Harkis et celle des Français pour leur propre collaboration une relation qui n’est pas vraiment abordée ici - Anne Bourrel s’en tient à son sujet - mais que le lecteur perçoit.
On notera la façon dont l’auteur exprime la privation de mémoire du père et du fils : le père désormais se tait, il a perdu la parole, le fils lui est devenu incapable d’écrire, raison pour laquelle son témoignage nous parvient oralement par l’intermédiaire d’une cassette Il a donc fallu pour que ce témoignage nous parvienne que Yasmina quitte Bruno - c’est aussi le prénom du meilleur ami français de Laïd - et parte à la recherche de celui qui était enterré à Lodève-en-Rivière. Qu’elle en soit remerciée, elle nous laisse un livre qui ouvre la réflexion sur une attitude bien peu glorieuse de la France et qui ne saurait restée plus ou moins volontairement ignorée comme l’ont été ces Algériens passés plus ou moins volontairement du côté de leur ennemi.