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A un ami israélien, Régis Debray

Editions Flammarion, 2010

lundi 24 mai 2010 par Alice Granger

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Il faut rendre hommage à Régis Debray d’oser ré-orienter notre intérêt sur ce qu’il y a d’explosif dans l’aventure humaine et qui est porté par le peuple juif. Sa lettre à son ami israélien Elie Barnavi est comparable à une analyse des toutes premières secondes de la formation de l’univers, la Shoah étant le télescope qui seul en a ouvert l’accès. Une sorte de retour du refoulement originaire.

Avant de suivre pas à pas la lettre de Régis Debray et la réponse d’Elie Barnavi, je voudrais faire sentir ce risque si imminent de mort que vivent ceux qui, n’étant jamais assurés d’un territoire à eux ni d’un Etat leur garantissant un vivre ensemble régi par des lois gardiennes de droits fondamentaux, doivent instant après instant faire vivre une singularité aspirée par le gouffre de l’assimilation. Sensation du pays étranger, et des autres, danger de cette altérité qui a l’avantage du nombre et de l’organisation, et au sein de laquelle des déracinés sont jetés comme lors d’une naissance brutale, et sur laquelle en l’absence d’une matrice protectrice évidemment disparue puisque la rupture placentaire s’est produite établissant un avant et un après il s’agit de se retrouver quelque chose qui rende intouchable la singularité en danger, qu’on ne puisse pas mettre la main dessus, et ceci se fait par le Livre, les récits d’épopées anciennes qui se transmettent, la parole. Un peuple radicalement jeté dehors, comme lors d’un naufrage se retrouvant sur les plages d’une terre inconnue, ayant perdu le réseau matriciel, doit vivre désormais parmi les autres, et pourtant, s’ils sont sauvés, le paradoxe est qu’ils sont en danger de mort à cause du vertige de l’assimilation. Lorsque je suis face à l’autre radical, je sens comme sacré, comme une question de vie et de mort, le fait de rester moi, différente, intouchable, de ne pas être avalée par les autres, dépersonnalisée. Un peuple qui a une terre, qui vit au sein d’une nation, qui est protégé par l’Etat, n’a plus cette sensation originaire d’être précipité sur une terre autre, il tient pour acquis de posséder cette terre, cet abri où chacun a la sensation de jouir de droits privés garantis par les lois d’un vivre ensemble, ce peuple a oublié que naître c’est forcément un déracinement, une perte d’abri, qui ouvre à une terre autre qui, si elle sauve le naufragé, n’en fait pas moins courir dès les premières secondes le risque de se perdre comme être absolument singulier. Le naufragé qui a perdu le ventre de son bateau rencontre tout de suite les autres dont il s’agit de se distinguer : comment être soi, sur cette terre qui accueille et avec ces autres auxquels on doit tout puisqu’on nous accueille ? Ce risque d’engloutissement, d’assimilation au point qu’il n’y ait plus de différence, de former une masse avec une façon de vivre de masse, est insupportable. Impossible d’être le même que les autres, ces autres qui, ayant une terre, des lois, une nation, un Etat, ont peut-être l’illusion d’avoir dénié la perte du cocon matriciel. Nous, peuple radicalement déraciné, sommes confrontés à ces autres qui sont à l’abri, nous, nous sommes différents par cette sensation aiguë d’avoir perdu, alors qu’eux font masse dans leur sensation d’avoir réintégré un lieu matriciel, leur sensation d’une plénitude.

Que faire pour ne pas céder au vertige de l’assimilation qui ferait perdre à ce peuple déraciné de sa matrice son âme pour se fondre dans la masse de ces autres abrités ? Le peuple déraciné, né, ne peut effacer son expérience de la mise dehors, ne peut dénier qu’une matrice ne perdure pas après la naissance, ne peut reconnaître dans cette terre où il aborde une métastase de matrice qui recommencerait de plus belle. Le peuple déraciné, né, désire envers et contre tout dire, parler, voire imposer cette vérité de la perte, face à ces autres, ces étrangers bizarres, qui se comportent comme si la matrice était éternelle, et que c’était cette terre, cette nation, cet Etat. Le peuple déraciné qui arrive sur la terre inconnue où vivre est forcément en porte-à-faux. Pour lutter, pour faire envers et contre tout triompher la vérité du déracinement originaire qui fait perdre une matrice qui ne sera jamais retrouvée dans une terre, le peuple déraciné va utiliser la parole, qui va raconter, et raconter encore, de génération en génération, à l’infini, une épopée dans laquelle en fin de compte il s’agit toujours de la mise dehors, de la perte d’une matrice qu’on ne peut jamais métamorphoser en terre. Le peuple déraciné ne cesse de dire aux peuples enracinés que la terre n’est pas une matrice. Que la terre, c’est tout autre chose ! Qu’il ne faut pas confondre. Partout où il a abordé une terre d’accueil sur laquelle bizarrement un peuple vivait enraciné, le peuple déraciné n’a cessé de dire que, dans ces conditions, ce n’était pas une terre, mais une matrice, donc le peuple déraciné n’a cessé de dire, ce n’est pas vraiment ma terre, parce que c’est une terre qui ne se distingue pas d’une matrice, alors que la terre, ce n’est pas une matrice, la terre ne s’aborde qu’à la suite de la perte de matrice, qu’après avoir été mis dehors et désiré l’être. Le peuple déraciné s’est imposé en tant que primogéniture pour cette raison-là. Sa parole, son commencement né qui est Verbe, ne cesse de raconter les épopées du déracinement, de l’impossibilité qu’une terre se rejoigne comme matrice.

Ne s’assimilant pas aux peuples enracinés, le peuple déraciné n’ayant pourtant aucune autre terre où vivre que celle-là où il a dû accoster s’est peu à peu distingué par sa parole, sa vitalité, son pragmatisme. Ne possédant pas la terre, n’étant pas des abrités, ils ont au fil des siècles développé un savoir réussir à vivre qui force l’envie, l’admiration, des peuples enracinés qui n’ont pas les mêmes raisons de se battre et de lutter. Il y a une réussite du peuple déraciné sur chaque terre où vivent des peuples enracinés qui, littéralement, déstabilise ceux-ci, les castre. Le peuple déraciné fait mieux, fait différemment, certains s’enrichissent, beaucoup font partie de l’élite, alors même qu’ils ne se reconnaissent pas de vraie terre dans ce que les peuples enracinés prennent pour leur terre alors qu’elle a tous les traits d’une matrice. Développant une sorte de flagrante, voir déflagrante supériorité liée au Verbe et à une sorte d’époustouflant pragmatisme, ainsi qu’une mobilité planétaire, le peuple déraciné met les peuples enracinés en danger de… déracinement ! La terre matricielle tremble sous les pieds des enracinés, ceux qui sont sûrs de posséder leur terre. Ils sont en danger de déracinement tandis qu’ils sont narcissiquement attaqués. La violence la plus grande, la plus explosive, n’est-elle pas là ? N’est-elle pas dans le fait qu’un peuple déraciné, dont la vitalité insolite et très manifeste se témoigne dans la réalité et dans le temps, précipite les autres peuples tout près de la catastrophe qu’est une naissance, cette mise en abîme qui force avec violence à quitter un mode matriciel d’organisation pour accepter un autre mode d’organisation, très différent, où la base, c’est que la terre n’a rien de commun avec une matrice ? Alors, ce moment de cataclysme entrevu n’est-il pas insupportable aux peuples enracinés ? Et la dénégation, tel un processus de paranoïa, ne consiste-t-elle pas à tirer sur ce peuple déraciné, pour que ces peuples enracinés ne rencontrent jamais leur propre déracinement entrevu ? Voilà, on extermine de manière programmée le peuple déraciné si dérangeant, et la solution finale fait faire aux peuples enracinés l’économie de vivre leur naissance, leur déracinement, et de voir leur terre tout autrement qu’une matrice.

Hitler et les nazis, ainsi que tous les antisémites, ont très bien saisi cette supériorité existentielle du peuple juif, qui a entraîné une supériorité intellectuelle et pragmatique. Les écrits antisémites eux-mêmes, par exemple ceux de Céline, laissent percer une incommensurable admiration que leurs auteurs ne peuvent pardonner. Hitler et les nazis, pour éliminer à jamais une supériorité dévoilant leur infériorité, pour nier la hiérarchie violente d’une primogéniture, dans la perspective d’un arasement de toute hiérarchie (comme c’est le cas désormais avec le bon en avant de la technologie et de la science ainsi que le pouvoir formatant de la vidéosphère qui horizontalise les relations humaines et inter-générationnelles) ont mis en acte l’Holocauste. Pour ne pas admettre leur propre infériorité ! Donc, la perpétuant… Une infériorité qui n’est pas la faute du peuple supérieur car né, car ne confondant pas une terre et une matrice. La seule faute du peuple déraciné, c’est de révéler une infériorité existante. La paranoïa feint de croire que c’est la supériorité qui crée l’infériorité, qui tire, qui attaque, alors que cette infériorité tient à la croyance que c’est possible de rester éternellement à l’abri, que c’est même ça une terre où vivre, que c’est ce qui fait la cohésion d’une nation, que c’est ça que l’Etat garantit. Or, le peuple déraciné a laissé entendre que ce qui fait la cohésion d’une nation, et que ce que l’Etat doit garantir, c’est autre chose, une terre qui ne s’offre, ne se conquiert, qu’en faisant le deuil d’une matrice, qu’en cessant de confondre et de ne pas saisir la différence.

L’Holocauste serait en ce sens la négation brutale du message du peuple juif. Et donner une terre, enfin, à ce peuple déraciné, réduit au statut de victimes qu’un excès de mémoire perpétue dans cet état, pose une question très précise : quelle sorte de terre ? Quelle nation ? Quel Etat ? Ce nouvel Etat est-il le même que tous les autres ? L’assimilation ? Signifie-t-il une guerre subtile visant à détruire la singularité juive en lui donnant enfin une terre qui serait à l’image de celle que chaque peuple enraciné possède ? Et que la supériorité des premiers-nés, de la primogéniture, de dérange plus jamais l’infériorité des pas encore nés à l’abri non déstabilisés par des autres inconciliables ouvrant un entre-deux qu’aucune massification des humains ne devrait exterminer. Le traitement de masse des humains ne serait-il pas une solution finale ? En tout cas, cet Etat, Israël, toujours en état de guerre, ne semble jamais confondre sa terre avec un abri. C’est, dans le réel, une terre qui n’est jamais à l’abri… Ce qui me frappe, en lisant la lettre de Régis Debray, c’est à quel point il réussit à faire voir que la violence de cet entre-deux ouvert par le peuple juif de premiers-nés se joue dans le réel, avec des armes, parce qu’elle n’a pas pu se jouer à un niveau symbolique. L’échec de la confrontation symbolique, où le supérieur peut déloger de son abri l’inférieur, ne s’est-il pas joué avec la Shoah, et ces nazis avec Hitler qui ont perpétré au nom de tous les éternels abrités de la terre matricielle le meurtre des premiers-nés si dérangeants, si intelligents sur ce qui fait naître ? Alors, le refoulé originaire occidental, voir planétaire, revient dans le réel au Proche-Orient. Dans le réel, et non pas sur un plan symbolique, la supériorité de la primogéniture sur les pas encore nés (dans le réel, ceux qui n’ont pas encore d’Etat) se manifeste par les armes qu’ils ont dix fois plus que l’autre camp et qu’ils font pleuvoir sans soucis de dommages collatéraux. Dans le réel, parce que rendu impossible au niveau symbolique, les premiers-nés, donc les premiers à avoir l’expérience d’une terre qui n’est pas un abri matriciel, tuent les abrités, ils leur envoient tels des bombardements le message qu’ils sont mort à un temps abrité, et qu’ils doivent naître autrement, tels des deuxièmes ou des troisièmes nés auxquels les premiers nés ont de toute la hauteur de leur antériorité imposé un message, un savoir, un savoir-faire, un savoir analyser, et un savoir s’organiser. C’est extrêmement violent et déracinant, de devoir admettre une antériorité existentielle, le fait qu’il y a des déjà nés lorsqu’on naît, et que ceux-ci ont forcément une avance d’expérience sur soi… L’admission de cette hiérarchie humaine dérange toute croyance à un droit naturel à la terre conçue par le fantasme comme un abri. Nous les premiers nés qui devons nous battre pour conquérir cette terre, terre difficile, qui exige tant de pragmatisme, d’énergie, de travail, d’intelligence, nous avons un message à vous transmettre, à vous les pas encore nés, qui croyez encore avoir droit à une terre que vous n’auriez pas à conquérir, qui vous abriterait naturellement. Vous êtes en dette envers nous qui nous vous montrons la voie, qui vous accueillons sur une autre terre que celle que vous croyiez. Les premiers-nés, tant qu’ils ne sont pas entendus dans leur antériorité, ne peuvent désarmer, c’est-à-dire que leur hiérarchie existentielle surplombe dans le réel lorsqu’elle n’a pu s’inscrire dans le symbolique. Cette hiérarchie continue à frapper aussi longtemps qu’elle n’a pas été reconnue. Cela interpelle chacun de nous. Ceux qui ont été et sont là avant nous, depuis les siècles, nous surplombent de l’antériorité de leur expérience, même si notre narcissisme traverse la castration nous devons nous incliner, et nous situer dans la suite générationnelle. Sinon, comme aujourd’hui, la verticalité est détruite au profit de l’horizontalité, et les humains ne sont que des animaux supérieurs qu’on peut traiter en masse, divertir, tous uniformisés sur la planète. Le peuple juif, par-delà la Shoah qui aurait dû être la solution finale pour éliminer leur primogéniture de déracinés matriciels, est un peuple qui n’a pas cédé sur l’existence d’un surplomb de chaque vie humaine incarné par la vie qu’il y a avant la nôtre, et que personne ne peut éliminer en croyant posséder un savoir capable de réaliser un génocide, spécial, de tous ceux qui sont nés avant soi. La façon que ce peuple a de ne pas céder est de laisser faire retour dans le réel une inscription symbolique violente qui n’a pas pu se faire. Retour du refoulé qu’il serait pourtant urgent de se dire qu’il devrait un beau jour pouvoir se faire comme il devrait, sur un plan symbolique. Car un retour du refoulé dans le réel installe du flou radical à propos de cette terre des Juifs, du Retour : curieusement, en Israël, ces Juifs qui pendant de nombreux siècles ont lutté pour dire le déracinement, que la terre des nés n’était pas un abri, voici qu’ils sont toujours en guerre pour se garantir… un abri !

Régis Debray, lorsqu’il visualise par son écriture Israël pays toujours sur le pied de guerre, c’est-à-dire pays sans cesse dérangé par la vérité de l’inexistence d’un abri même s’il ne renonce pas à le faire revenir dans la précarité, confronté au culte de la mort palestinien, dit qu’on ne semonce pas un vaincu lorsqu’il est à terre, on ne doit s’en prendre qu’aux forts. Autant Régis Debray, par son admiration, se laisse être surplombé par la supériorité du peuple juif qui s’enfonce dans un lointain passé et est au croisement de toutes les mémoires du monde, autant il a de l’antipathie pour ce que ce peuple fait au Proche-Orient, et que j’appelle retour du refoulé dans le réel. Il ne s’agit surtout pas de tuer réellement, mais d’imprimer cette vérité existentielle du déracinement originaire. Là où Debray fait un lapsus et évoque Elie Barnavi comme un sioniste pro-palestinien, celui-ci lui répond en rectifiant : il est pour un sionisme palestinien ! Et la différence est de taille ! Car en effet, le sionisme palestinien aurait parfaitement intériorisé le message sismique envoyé par le peuple juif, au point de désirer pour eux aussi une terre qui n’a rien à voir avec un abri. Parler de sionisme palestinien est extraordinaire : il y a le pari que le peuple juif peut désarmer si son arme de la supériorité existentielle a été absolument efficace au point de faire apparaître d’autres nés. Soit dit en passant, le peuple juif ne fait pas de prosélytisme : c’est logique, c’est juste que la hiérarchie existentielle dans toute sa violence entraîne dans un mouvement de bascule d’autres êtres candidats au sionisme défini comme désir d’une terre qui ne soit pas un abri, qui ne soit pas à l’image de la matrice. Debray se pose la question : quelle Palestine ? C’est sûr que cette Palestine à inventer ne peut se faire que dans une sorte d’imitation de la terre juive dont elle découle. Antériorité de la terre juive sur la terre palestinienne, Etat juif avant Etat palestinien, dans une sorte d’intimité imitative, de transmission de message. C’est très intéressant, le désaccord qui surgit entre la lettre de Régis Debray et la réponse d’Elie Barnavi à propos de la création de l’Etat d’Israël. Debray soutient que la décision de création de cet Etat date d’avant la Shoah, et que celle-ci n’a pas d’importance pour sa création. En quelque sorte, les Juifs eux-mêmes avaient désiré posséder une terre à eux, pour la première fois, comme tous les autres peuples. Comme s’ils avaient voulu cesser d’être déracinés, comme s’ils avaient voulu faire pencher les choses du côté de la terre enfin trouvée plutôt que rester sur la brèche du déracinement. Or, Barnavi, lui, soutient que c’est la Shoah qui a rendu possible la création de l’Etat d’Israël, sans elle l’idée n’aurait pas aboutie. Culpabilité européenne en regard de l’Holocauste, et sorte de réparation par la création de cet Etat israélien ? Et en faisant d’Auschwitz le lien européen ? Manière dont l’Europe peut s’anesthésier à propos de cette haine spéciale suscitée par la supériorité de la diaspora juive, hiérarchie des premiers-nés ? S’ils ont, comme nous, un Etat, ils ne sont plus sur « notre » terre ces déracinés si débrouillards, ils ne nous déracinent plus, ils ne mettent plus en question cet abri que nous ne voulons pas quitter tels des pas vraiment nés. Voilà, nous sommes pour la création de votre Etat, pour que vous soyez comme nous, nous avons inversé la relation si dérangeante, ce n’est plus nous qui envions votre supériorité, c’est vous qui enviez notre façon de vivre à l’abri, le tour de passe passe est joué, nous avons refoulé l’acte structurant, la séparation, le déracinement, l’acte de naissance. Renversement du message, normalisation, apparition des images d’une vie très normale, maman bronzée, jolie nappe, vie jouisseuse. Voici les victimes que la mémoire n’en finit pas d’exploiter comme si on pouvait réduire les Juifs à l’Holocauste tel un rideau de fumée sur avant, et l’excès de mémoire : mine de rien on a singulièrement anesthésié l’effet violemment déstabilisant et structurant d’un peuple différent ayant appris au cours des siècles à vivre leur déracinement au sein même des enracinés. On a anesthésié l’admiration qu’ils suscitent, l’envie qu’ils provoquent, la violence déracinante qu’ils infligent, comme chacun sent qu’un grand nous dérange par le simple fait qu’il est né avant nous, et que les anciens nous infligent une castration narcissique du simple fait qu’ils ont vécu plus longtemps que nous. Anesthésier cela ? Et oui ! Qui aujourd’hui accepte encore de reconnaître qu’être « victime » de ce genre de supériorité est sacré, structurant, ayant à voir avec cette sacralité dont Debray dit qu’elle est à la verticale au-dessus des communautés humaines ? Le geste d’éloigner la « menace » de cette supériorité d’un peuple en diaspora jusqu’au Proche-Orient par ce consensus sur cette création d’un Etat juif tout neuf est-il si innocent ? Dire, ce sont des victimes, les ramener à ça, oublier l’admiration, l’envie, la haine, oui, l’antisémitisme n’existe plus en France constate Régis Debray avec lequel est d’accord Elie Barnavi.

Un autre désaccord a surgi entre Debray et Barnavi, permettant dans l’entre-deux ouvert le débat. Debray pense que la fin du conflit au Proche-Orient est une question qui regarde Israël, une question intérieure, que c’est aux Juifs et aux Palestiniens de trouver les moyens de conclure la paix, et ramener d’actualité l’enjeu purement humaniste qui était là en 1948. Qu’on n’a pas besoin des Américains, que ceux-ci ont d’autres intérêts. Le soutien américain serait moins grand qu’on ne croit. Debray a l’air de dire : trouver les ressources en vous ! C’est vous les forts ! On dirait qu’il cherche à titiller une énergie originaire, celle qui n’a pas besoin d’un grand frère ! Vous êtes assez grands tous seuls ! On imagine bien Régis Debray entrevoyant et pariant sur une possibilité de paix qui n’ait pas besoin de l’Amérique… Ce n’est pas si bizarre que ça… Si on pense qu’en 1945, la paix en Europe a été faite grâce aux Américains… Et qu’ainsi, ces Américains ont pu coloniser nos terres avec une vie à l’américaine, donnant le départ à une vie jouisseuse, ce genre de vie qui triomphe maintenant partout, et en particulier en Israël… Debray dit quelque chose à son ami israélien Barnabi lorsqu’il prétend que les Israéliens n’ont pas besoin de l’ami américain pour tenter de faire la paix avec les Palestiniens. Et on se demande, en lisant ces passages de la lettre qui décrivent l’humiliation faite quotidiennement aux Palestiniens par les Israéliens, les faisant poireauter en plein soleil, rendant difficile l’accès aux points d’eau, ce retour dans le réel d’une violence qui devrait s’infliger à un niveau symbolique, si un début de paix ne pourrait pas s’entrevoir précisément à ce niveau-là, là où les murs ont été érigés, les check points, la colonisation sans fin. Tout cela, d’accord ! Mais pas dans le réel ! A un niveau symbolique, oui. Que cela se passe à un niveau symbolique laisse la chance inouïe aux plus petits de naître à leur tour, vulnérables certes, bombardés par la supériorité des nés avant, de ceux qui ont fondé leur Etat avant, d’accord, mais, en s’inspirant d’eux (donc en leur rendant ainsi un hommage époustouflant, les reconnaissant si proches par l’imitation et l’identification), fondant à leur tour leur Etat, plus jeune. On dit souvent que dans les familles, lorsque les frères et sœurs s’entretuent, c’est la faute des parents… La faute de leurs préférences… Il y a toujours cette mère juive caricaturale… La question est de savoir comment, dans la fratrie, et notamment la fratrie du Proche-Orient, chaque enfant peut avoir sa chance, en particulier comment le premier-né si brillant peut-il laisser son jeune frère respirer. Une mère protectrice aurait le désir de rendre impossible l’affrontement fraternel spécial où, d’abord, le premier né domine violemment le deuxième, le troisième né, les dérange, les bombarde de ses avances, il sait tout mieux, il se débrouille, il sait faire, il séduit, il fascine, il fait envie, et les plus jeunes, dans leur vulnérabilité, sont des victimes, par la force des choses. Qui est né avant imprime sa violence sur qui naît avec ce retard. Mais cette victime, ce deuxième, ce troisième, si intimement instruit de la supériorité du premier-né, si elle est intelligente, et surtout si une mère sur-protectrice ne vient pas s’en mêler, va à son tour pouvoir inverser la hiérarchie si violente par l’imitation, l’identification, en commençant à faire pareil pour ensuite inventer, diverger. Donc, lorsque Régis Debray dit que la paix, si elle est possible, doit se faire au Proche-Orient, sans faire appel, cette fois, à l’ami américain, à Zorro, je trouve très intéressante cette suggestion. C’est un révolutionnaire adepte de la Real Politik très au fait que les frères ennemis sont assez grands pour se débrouiller ensemble, sans un ami qui vienne d’Amérique leur éviter l’affrontement symbolique. Toujours cette idée qu’une figure paternelle, ça doit savoir s’invisibiliser, afin que les enfants de la terre, dans la violence de leur hiérarchie existentielle, trouvent un moyen d’entente justement en n’émoussant pas par la normalisation planétaire en cours et le traitement de masse des humains par la vidéosphère les surplombs verticaux qui font qu’il y a sur terre non pas des êtres tous pareils, mais des êtres supérieurs et d’autres inférieurs. Avec possibilité d’imitation, d’identification, de divergence, qui laissent les hiérarchies s’inverser, changer de camp, dans un changement incessant des choses qui entretient intacte la sensation sacrée de l’absence d’abri, qu’on n’est jamais à l’abri de la supériorité de l’autre, à laquelle répondre par l’humilité. Humilité : une toute autre manière d’être « victime » !

Et pourtant, Elie Barnavi, lui, est persuadé que la paix, seuls les Etats-Unis peuvent aider Israël à la faire. Soulignant la médiocrité et l’imbécillité politique des dirigeants israéliens, il semble désespérer des ressources propres au peuple juif, comme si les nuques raides et les adorateurs du veau d’or qui avaient déclenché la colère de Moïse avaient gagné… Société décrite par Debray comme normalement jouisseuse, égoïste et speedée… Barnavi dit qu’il est grand temps de parler de politique, et qu’il voudrait bien se passer du démiurge américain… Mais le fossé lui semble trop large entre le maximum qu’Israël croit pouvoir donner et le minimum que les Palestiniens croient devoir recevoir. Quelqu’un, de l’extérieur, doit leur imposer le salut, selon Barnabi. Il n’y aurait que l’Amérique pour le faire ! Je suis frappée par les verbes utilisés par Elie Barnavi ! « Donner » pour Israël, et « recevoir » pour les Palestiniens. Or, j’ai l’impression que c’est dans cette façon de voir les choses que ça cloche ! Cette idée qu’un démiurge, peut-être une figure paternelle, puisse dire, ça suffit les frères ennemis, voilà, toi tu as ça, et toi ça, et tenez-vous tranquilles maintenant, jouissez de la vie, normalisez-vous en nous imitant, comme tout le monde sur la planète ! Or, ce qu’Israël, revenu à sa dimension symbolique, à sa hiérarchie existentielle, donne, ce n’est pas un partage de territoire, c’est cette sensation intime de déracinement, d’être victime de mise hors de l’abri, de subir la supériorité de premiers nés, c’est très différent ! Les Palestiniens, de leur côté, à leur place de pas encore nés dans leur Etat, ils n’ont pas à recevoir cet Etat, ils ont à le conquérir par l’imitation, par un désir infini d’être à la hauteur du paradigme senti dans sa violence et à travers l’envie. Rien d’un partage à l’amiable ou par la force des armes ! Il s’agit de s’inspirer de l’avance de l’autre, du frère israélien plus grand, de s’en nourrir, de le dévorer à pleine intelligence, de se l’incorporer, et là, nous commençons à entendre ce Juif qu’était le Christ. Il était au cœur de la question, lui, par cette eucharistie, ce repas anthropophagique, cette incorporation du Juif par des humains ayant faim d’identification… Tout Etat est pliable, écrit Elie Barnavi, pas d’accord avec Debray sur le fait qu’Israël n’écouterait personne, et se conduirait au-dessus des lois, violant toutes les clauses de la Convention de Genève. Puis il souligne que ce n’est pas seulement au Proche-Orient que l’Europe n’existe pas, elle n’existe nulle part ! Voilà, Elie Barnabi se fait en quelque sorte le témoin d’une Amérique qui existe, elle, partout… Qui, seule, pourrait donc imposer la paix entre Israël et les Palestiniens, se faisant le gendarme et l’ange de la paix.

On n’est pas juif, écrit Debray, simplement en se demandant ce que ça veut dire. Debray, face à cette énigme, se dit qu’il éclaire son dédale par un labyrinthe, tellement la Bible est un ensemble d’œuvres non claires, et la Thora d’une part très ethnique et militariste et d’autre part admirablement universelle et follement pacifiste. Par ailleurs, souligne-t-il, les cruautés bibliques doivent se lire à la lumière des cruautés assyriennes. En ce sens, les cruautés israéliennes ne doivent-elles pas se lire aussi à la lumière d’une part de la cruauté spéciale du traitement de masse des humains qui se voit aussi à Tel-Aviv, et d’autre part la cruauté du Retour sur cette terre idéalisée de Juifs qui ne sont pas des orphelins des victimes de la Shoah, mais qui viennent là parce que c’est écrit dans la Bible que Dieu leur a donnés cette terre, sans se poser la question de la colonisation débridée que cela implique. Le Juif de l’éthique, écrit Debray, n’est pas le Juif de maman. Et on ne saurait attendre d’un Juif selon Jacob, en lutte avec l’Ange, les mêmes attitudes qu’un Juif de Moïse, cet homme de la diaspora, toujours en conflit avec son peuple à la nuque raide. Debray souligne avec grande intelligence que chacun de nous, et chaque Juif, peut choisir parmi les ancêtres que compte le texte biblique celui dont on veut s’inspirer. Le choix existe, sublime ! Encore la fameuse verticalité ! La suprématie d’une intelligence, toute la hauteur symbolique d’une figure surplombante ! Les Juifs ont tant d’ancêtres dans leur Livre, dont ils pourraient prendre de la graine ! C’est là qu’on pourrait situer l’imbécillité politique des dirigeants israéliens dont parle Barnavi : le fait de ne choisir aucun ancêtre, dans tant de récits dont fourmille cette Bible, comme figure fondatrice à imiter, aucune supériorité située dans les siècles d’avant dont s’inspirer. Eux-mêmes frappés par une telle grandeur, une telle verticalité. Comme les Gentils devant les Juifs ! Comme Debray qui, lui, sait de longue date s’incliner devant ses Seigneurs… Lire la Bible, ça devrait avoir quoi comme conséquences, pour des politiques ? Acceptent-ils, ces politiques, la hauteur de ces paradigmes bibliques ? Aujourd’hui, c’est-à-dire depuis l’après-guerre et la colonisation de la planète par une vie à l’américaine, c’est l’horizontalité qui prime, pas la verticalité ! Et le président de la République américain, qui prête allégeance la main sur la Bible, s’inspire-t-il de certaines figures très politiques qui y sont racontées ? Ouvre-t-il vraiment la Bible sur laquelle il prête serment ? Et, en Israël, même les intégristes juifs lisent-ils la Bible dans ses aspects si différents, Abraham, Moïse d’un côté, Josué, Jacob de l’autre ?

Maintenant, écrit Debray, c’est l’abri bunker qui règne, et l’esprit Josué, avec son exclusivisme armé qui rêve d’éliminer les autochtones. Ce genre d’ancêtres choisis redoublent aujourd’hui de férocité. Mais, dieu merci, les filières de Moïse ne baissent pas les bras. C’est toujours très important de décider de qui je viens ! Arbitrairement ! Choisir un ancêtre de relief, et dire, je viens de lui, non pas me laisser imposer des figures par les images, afin que tout le monde soit formaté pareil ! Et, ainsi, par cette plage de liberté, en décidant de qui je tiens, décider où je vais ! Le judaïsme, dit Régis Debray, ce n’est pas seulement une religion, c’est aussi une pratique. Qui peut se remodeler en fonction des requêtes du moment. Il ne dépend que de vous, dit-il aux Juifs, de trouver des portes cachées dans les murs qui vous cernent, des brèches dans votre citadelle à ouvrir ou à creuser. Ce dont on a à rendre compte, c’est ce qu’on fait de ce qu’on a fait de vous.

Voilà : ce qui est frappant, c’est combien Régis Debray se laisse surplomber par une spéciale supériorité existentielle du peuple juif, allant jusqu’à dire qu’on le savait appelé à éclairer l’humanité. La qualité la mieux ancrée et la plus étonnante de cette nation est la traversée du temps, l’art et la science de la transmission, la victoire du durable sur l’éphémère, la revanche de la pérennité historique sur la dispersion géographique. Une vraie reconnaissance, une façon de se sentir petit devant la grandeur, comme un jeune frère devant un frère plus grand, déplaçant le statut de la victime des bombardements symboliques d’une telle grandeur vers l’humilité, le petit alors pouvant s’adonner à l’imitation. Mais le prix de la survie a été le retranchement, la barricade, de se mettre à part, par des prescriptions culturelles contraignantes. Reconstruire le temple dans sa tête, séparation intérieure. Bien sûr, qu’est-ce alors cette supériorité entre soi, qui ne doit pas impressionner avec conséquences les autres qui en sont frappés ? Toute la question des deux autres textes qui ont fait suite aux écrits bibliques, les Evangiles et le Coran. Le Christ était un Juif, et le christianisme, comme par hasard, est allé vers les Gentils… Il a exploité à fond cette envie d’imitation et d’incorporation suscitée par la supériorité de la primogéniture ! Rien d’une barricade entre soi ! Le prophète Mahomet a reçu la dictée inspirée des textes bibliques. Il a grandi parmi les Juifs de la diaspora, on imagine qu’il les a enviés si violemment qu’il a tout pris pour lui… Comme le dernier des frères, celui qui est chouchouté, le petit. Sauf qu’un détail lui a manqué, dans son appropriation du texte biblique qui est une reconnaissance, le fait que ces Juifs étaient capables de vivre en diaspora, déracinés, et ayant continué une histoire singulière contre vents et marées. Le prophète, lui, s’approprie les épopées sans connaître lui-même le déracinement. Il se sent peuple élu dans la plénitude. Le peuple élu suscite son envie, voilà il devient eux en s’appropriant le texte ! Mais en n’étant pas déraciné ! En restant dans l’abri ! Les Palestiniens, qui ont le soutien et la pression du monde arabe, ont au contraire l’accès direct à cette sensation du déracinement, de la ruine de l’abri qui se joue dans le réel !

D’autre part, Régis Debray, qui est allé sur le terrain, pas seulement Israël mais Gaza, le Liban, Beyrouth, les check points, le mur qui sépare les familles et rend l’eau rare dans le désert, a senti dans sa chair la violence de l’humiliation. Il y est allé. Il a vu. Il sait bien que ce qu’on n’a pas vu n’existe pas. Et que la vidéosphère utilise bien sûr les images pour anesthésier les humains, les manipuler, leur suggérer telle et telle opinion, mais en cache d’autres, tous les points de vue différents ne sont pas montrés pour que qui les regardent se fasse une opinion. L’humiliation des Palestiniens n’est pas visible. Elle n’est pas visible par les Israéliens eux-mêmes. Là, une brèche s’ouvre : rendre disponible chaque image du conflit israélo-palestinien ! La vidéosphère, championne de la manipulation, a les moyens de rendre visible ce qui est politiquement caché ! Ce que les Palestiniens leur font, d’accord ! Mais aussi ce que fait l’armée israélienne surpuissante aux Palestiniens. Montrer les images ! Et les armes utilisées ! Utiliser l’arme de la vidéosphère arrachée à la manipulation ! C’est-à-dire : laisser les témoins sur place ! Par exemple les chrétiens ! Les Israéliens ne voulaient pas désespérer CNN et le New York Times ? Debray loue le courage de son ami Elie Barnavi qui, prenant le contre-pied de l’officialité, souhaite la bienvenue à l’ingérence internationale. Mais, pour la classe politique, l’ami occidental n’a le droit que de fournir les armes, le crédit (par ailleurs, Israël a tout intérêt à entretenir sa vulnérabilité, montrer à quel point il n’est jamais à l’abri, il est victime de bombes, d’attentat, de requêtes, ainsi il continue de recevoir des subventions de l’étranger, des Etats-Unis), il n’a ni droit de regard ni droit d’ingérence. Cela n’aide pas, écrit Debray, et cela donne à l’ado-roi des allures d’enfants gâtés… Les commissions d’enquêtes n’aboutissent à rien.

Voilà. Je parie que Régis Debray ne se fera pas tant d’ennemis que ça ! Sa lettre est incroyablement non provocatrice, et rétablit la hauteur de cette primogéniture qui suscite admiration et envie, et incite à l’imitation. La plénitude de la paix advient lorsque la supériorité d’un peuple déraciné est imitée par les peuples qui en sont frappés, bombardés symboliquement, et que le peuple élu baisse ses armes puisque la reconnaissance en acte lui va et lui assure une terre. La question juive, de la Shoah, du conflit israélo-palestinien, nous en dit long sur les relations humaines, et sur le pouvoir de transmission et de structuration psychique qu’ont ceux d’avant, y compris ceux qui ont vécu il y a très longtemps et vivent encore par leurs œuvres, les plus grands, la génération d’avant, sur les plus jeunes, les plus petits, ceux à venir. La conclusion de cette lecture de la lettre de Régis Debray à son ami israélien Elie Barnavi ainsi que de la réponse de celui-ci s’écrit par l’importance de se choisir un ancêtre, de dire je viens de ce « quelqu’un-là », choix qui va décider où je vais, ceci dans une grande liberté arbitraire, car ce choix ne se situe pas dans l’appartenance biologique, familiale. Choix d’un ancêtre vivant à travers les siècles dans une œuvre, ou bien telle figure actuelle que je sens s’élever à la verticale tel un paradigme qui me fait signe. Je ne sais pas si aujourd’hui les jeunes peuvent encore se sentir interpellés par des « quelqu’un » dont la valeur prend du relief par leurs œuvres, désormais ce qu’ils admirent sont des stars vite faites, des sportifs pleins aux as, voire de petits tyrans imbus du pouvoir que leur donne leur savoir technologique et scientifique qui leur fait croire qu’ils peuvent être ignares quant à la complexe, subtile, et contradictoire nature humaine, et quant au fait que l’être humain est un être de langage.

Alice Granger Guitard
(Alitheia Belisama)



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Messages

  • Sans avoir lu le livre en question, celui de Regis Debray est-il possible de faire quelques remarques sur la critique de Mme.Granger qui interpelle fortement les modes de transmission du judaisme ?

    En effet des sa deuxieme ligne elle utilise l’expression si contestée de "peuple juif". Or la judeité ne saurait se transmettre par le sang. Chaque enfant, chaque generation doit refaire son alliance avec Dieu. C’est dommage que le critique ne retourne pas le probleme dans ce sens qu’il y a un peuple israelien et que le fait de naître israélien ne donne pas la religion juive. La confusion entre l’eglise et l’etat serait insupportable. Un médecin ou un ingénieur français marié avec une juive installé en israel donne naissance à des israeliens pas à des juifs.

    Et un juif installé dans un pavillon a la campagne est enraciné dans une terre mais il ne transforme pas pour autant sa compagne ses enfants et petits enfants, ses voisins et amis en juifs ! En philo-semite a la rigueur si il a le culte du souvenir et une mémoire à transmettre.

    Mme.Granger utilise des phrases très abstraites. Par exemple elle ecrit « Que faire pour ne pas céder au vertige de l’assimilation qui ferait perdre à ce peuple déraciné de sa matrice son âme pour se fondre dans la masse de ces autres abrités ? » Cette phrase qui est tres abstraite peut avoir plusieurs sens : se fondre dans la masse des autres abrités peut tres bien vouloir désigner les juifs qui formaient avant Israel une religion et non un peuple et qui se fondaient dans la masse des arabes et autres peuples qui occupaient la Palestine au 19°siecle.

    Un autre exemple d’abstraction c’est l’expression « Le peuple déraciné, né », ca c’est une expression que je pourrais a la rigueur approuver. Ca signifierait que le peuple est nomade et qu’il a choisi de le rester. Une bonne partie de la question juive git en effet dans l’abandon du nomadisme. Un grand nomade juif par exemple est Joseph Kessel. Or le sédentarisme qui domine aujourd’hui sous la forme du sionisme pourrait perdre ses avantages. Le nomadisme son opposé, peut etre considéré comme plus sur à l’époque nucléaire que le sédentarisme dans un pays qui possede des armes nucléaires, et qui de plus a toujours refusé de signer le traite de non proliferation. Un tel pays transforme ses habitants en otage.

    L’histoire de Joseph Kessel est d’autant plus significative dans cette discussion entre Debray et Barnavi que Kessel est justement né en Argentine au sein d’une colonie juive ou son pere travaillait et qui aurait pu etre l’alternative à la creation d’Israel.

    On dirait que Mme. Granger a été victime du langage des auteurs qui échangent les lettres Debray et Barnavi et qui ont refusé de se servir des categories elementaires de l’ethnologie pour debatte de leurs différences.

    Il est ecrit : « le peuple deraciné qui arrive en terre inconnue » Cette abstraction peut s’appliquer tout autant a l’un ou l’autre des adversaires aux israeliens comme aux palestiniens. Dans cette incertitude c’est de toute evidence aux peuples indigenes qu’on suppose qu’il ait fait allusion et dont on se demande dans cette expression qu’est ce qui fait qu’un peuple qui occupe une terre sans avoir d’etat accede soudain au nationalisme. Les peuples d’Amazonie comme les Palestiniens sont typiquement des peuples déracinés.

    Est-ce que ce n’est pas beaucoup plus agréable de raisonner avec ces categories concretes ? Le cas d’un peuple nomade qui devient sédentaire et le cas d’un peuple indigene qui s’efforce d’acceder au nationalisme ne s’opposent-ils pas beucoup plus aisément ? Quel besoin de la Shoah et tout cet embrouillamini existentiel issu de la conscience judeo chretienne. Car on ne peut pas dire des juifs « qu’ils ne possedaient pas la terre n’etant pas des abrités » Les terres d’immigration ont bien ete achetées au grand mufti en Turquie donc il y a bien eu acte de propriété. Puis apres il s’est ecoulé maintenant pas loin de 100 ans. Apres 4 génération on ne peut pas ecrire a juste titre « qu’ils ne sont pas des abrités et qu’ils ne possedent pas la terre ». Ca heurterait de plein fouet ces reportages qu’on voit sur ces colons fanatiques installés au dela du Jourdain en contravention avec la loi internationale qui sont bien a la fois abrités et propriétaires.

    Néanmoins on doit au langage abstrait du critique, de produire un phrase qui est sans doute le pitch de la lettre a l’ami israelien qu’elle commente et qui nous satisfait pleinement : « le peuple déraciné met les peuples enracinés en danger de… déracinement »

    Quant à la discussion sur la présence ou le retrait des américains de la négociation sur la paix entre Israel et ses voisins elle nous inspire une reaction parce qu’il est ecrit « Si on pense qu’en 1945, la paix en Europe a été faite grâce aux Américains »

    C’est en partie faux : pas seulement grâce aux américains. Il y eu aussi les Russes. Or les relations d’Israel avec la Russie ne sont pas choses négligeables. En outre le produit de la deuxieme guerre mondiale n’est pas principalement en Israel mais dans le bouleversement de l’ Extreme Orient sous la forme de la revolution chinoise. C’est pourquoi les conversation sur Israel (quoique nous n’avons pas lu celle de Debray et Barnavi) sont la plupart du temps insupportable d’europeano-centrisme.

    • Cela aurait été plus élégant de lire le livre de Régis Debray avant !

      Alice Granger

    • Il n’y a pas de Peuple supérieur à un autre. C’est un langage binaire qui limite voire anéanti toutes possibilités de créativité et donc d‘Evolution. La créative est le fruit d’une rencontre réceptive à l’altérité, à la différence bien au-delà des frontières politico-économiques.
      Faire résonner « A un ami israélien » de Régis DEBRE avec « L’Etranger » d’Albert CAMUS voilà une aventure « au Silence Turbulent » à laquelle je vous invite…
      Fifi CHIKH
      Paris 17è

    • C’est du révisionnisme ressucé.

      Relisez les intellectuels juifs, français ou allemands, H. Arend. B. Lazare : il semble plutôt que les élites juives intellectuelles (le leadership) avaient un fort désir d’assimilation qui s’accompagnait d’un complexe d’infériorité et d’un mépris affichés pour leurs frères religieux et/ou non intellectuels.

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