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Le plus grand des taureaux - Ch Dedet
samedi 7 février 2009 par penvins

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Réédité :
avec une préface d’André Le Vot
Editions de Paris - Max Chaleil - 1998

Dans tout succès il y a un malentendu, une lecture superficielle qui ne laisse pas entendre l’essentiel de ce qui est dit. Parce que tout œuvre d’art ou de littérature dit sans dire, dit en disant autre chose, ne se livre pas sans un effort d’analyse. Ce roman de Christian Dedet me paraît tout à fait symptomatique de cette lecture écran qui envahit l’imaginaire collectif et fait que l’on croit avoir lu le roman avant même de l’avoir ouvert. Le titre "Le plus grand des taureaux" est à la fois un clin d’œil aux défenseurs de la corrida et agit comme repoussoir pour ceux qui considèrent qu’il faut n’y voir qu’une boucherie d’un autre âge.

On peut bien sûr se laisser prendre à ce piège et polémiquer sur la corrida, on verra alors selon le point de vue que l’on défend des arguments pour ou contre son camp et ce d’autant plus qu’avec ce roman, on entre avec beaucoup de précision dans l’univers de la corrida depuis la formation du torero en passant par les producteurs et jusqu’à l’arène. Les techniques, les magouilles, les enjeux, les rivalités, tous les codes... Christian Dedet possède son sujet.

Ce roman m’a fait penser à Hemingway mais aussi au film de Clouzot Le Salaire de la peur, j’ai cru jusqu’au bout que l’on me montrait un héros, quelqu’un qui allait vaincre sa peur pour triompher. Et puis je me suis aperçu que ce n’était pas tout à fait cela. Bien sûr Ramon prend sur lui pour faire face au monstre, mais peut-on dire qu’il triomphe, fût-ce de lui-même, je n’en suis pas tout à fait sûr. Ramon est tout sauf un héros positif, c’est un gamin mal préparé qui réagit et qui réagit mal.

Le roman sort en 1960, Christian Dedet va partir pour l’Algérie c’est bien sûr dans ce contexte qu’il faut lire le roman, mais je crois que le roman a une toute autre portée. Il s’agit avant tout d’un roman de l’impréparation. Ramon a peur parce qu’il s’est lancé trop tôt dans la bataille, parce que séduit par les sirènes de l’argent et de la gloire, il a accepté de mener un combat qui n’était pas à sa mesure. Christian Dedet décrit ici un héros à contre-courant du héros habituel, courageux pour la seule raison qu’il en a. Son héros à lui est bien sûr décrit par les moqueurs comme un couard qui n’en a pas. Et dans ce milieu de la corrida - qui plus est en Espagne - on est fier d’en avoir !! Mais il convient de lire Le plus grand des taureaux comme une fable sur le courage très différente de celles que nous avons l’habitude d’entendre, le problème n’étant pas d’en avoir ou pas mais de s’être ou non préparé.

Renversement des valeurs, mais aussi retour à des valeurs de base, des valeurs que l’on aurait jamais dû oublier, des valeurs dont certains tel Pepe-Luis ont encore la mémoire et dont il devient évident que leur abandon est la cause de l’échec de Ramon. On comprend toute la portée de la fable, elle s’applique au monde d’aujourd’hui peut-être plus encore qu’à celui de la fin des années 50, et sonne comme un rappel aux fondamentaux dans un monde qui s’est laissé emporter par la fièvre de l’argent.

En 1960 le grand traumatisme, ce n’est pas encore l’Algérie, mais c’est toujours 1940. Ce héros qui a tant de mal à se reprendre, qui a tenté de s’opposer au monstre sans s’y être préparé, ce héros qui hante la mémoire d’un jeune homme né en 1936 et si c’était la France tout simplement !! Il ne faut pas oublier que 1940 c’est avant tout le drame d’un pays qui part en guerre contre le monstre sans s’y être préparé et qui subit la pire des humiliations.

J’ai donc repris la lecture du roman pour voir en quoi Christian Dedet pouvait faire allusion à la défaite de 40 et je n’ai rien trouvé, alors mon hypothèse serait-elle absurde ? Bien entendu ce qui importe pour un écrivain, ce qui le pousse à écrire, ce ne sont pas des considérations générales, c’est sa propre vie. Il y a très certainement dans Pepe Luis une figure du père mais que dire de plus, encore une fois j’ai lu une fable, pas un roman psychologique et la morale de la fable est claire : pas préparé, aucune chance d’y arriver, Christian Dedet ne laisse aucune chance à son héros, jusqu’au bout. Là-dessus je ne peux pas m’être trompé. Et cette morale est une véritable profession de foi, on sent tout l’amour du travail bien fait - du labeur - qui se dégage de ce roman, on peut très certainement y voir également à travers Pepe Luis un hommage au père qui n’a pas succombé aux travers du fils, qui a refusé les magouilles des apoderados. S’applique-t-elle directement ou inconsciemment au drame de 1940 je n’en sais rien, je me dis simplement qu’elle exonère le père d’avoir mal agi et que d’une certaine façon elle intime au fils l’ordre de se préparer au combat à la veille de son départ pour l’Algérie, tout cela ne peut être un hasard et en même temps cela donne un roman qui répond à cette exigence de perfection et donne une définition du courage nouvelle mais ancrée sur des valeurs anciennes.

Bien sûr c’est une lecture, il y en a d’autres possibles, plus générales peut-être, une façon de dire que la peur de la mort sera d’autant plus grande que l’on ne se sera pas préparé et que l’expérience et le travail comptent plus que la mort elle-même puisque après tout les toreros qui se sont préparés parviennent généralement à la vaincre. Sagesse.

En tentant une lecture hors du champ de la tauromachie, j’espère avoir donné à ceux que les corridas indisposent l’envie de lire un auteur. Parce que le travail d’écriture n’a d’intérêt que s’il permet de s’adresser à ceux qui autrement n’auraient pas été enclins à vous prêter l’oreille. N’y voyez aucune allusion à celles du taureau ! et laissez-vous donc entraîner par cette extraordinaire mise en scène de la peur.



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