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Alessandro Taglioni. La qualité de la Terre
dimanche 16 juillet 2006 par Fabiola Giancotti

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Nous pouvons marcher dans la galerie de Alaessandro Taglioni et ouïr, avec les fables et les tableaux de Taglioni, le rythme des ondes, la légèreté de l’air, la poésie de l’eau. Bref, la qualité de la terre.
(3.03.2002)

Alessandro Taglioni est né à Macerata, Italie, en 1958. En 1962, il déménage à Padoue avec ses parents. Son histoire commence très tôt ; le mythe de la famille est intense, et son inquiétude pour la recherche et pour la peinture est extrême. La peinture est son école, son éducation, son moyen pour l’écriture et la communication. A travers la peinture, il invente son alphabet, sa langue, son art. Les toiles, les couleurs, le matériel du peintre sont les outils dont il profite pour aborder la qualité de son œuvre. A dix-huit ans, après avoir terminé le lycée artistique, il effleure d’autres arts comme le cinéma, le théâtre, la musique, la poésie. Il voyage, il visite les musées, il s’intéresse à l’art ancien et à l’art moderne.

Il s’inscrit, à Salzbourg, à l’école fondée par Oskar Kokoschka, puis retourne en Italie, à Venise, où il fréquente le cours d’Emilio Vedova. Là, la recherche se poursuit. Il arrive à l’exigence non renvoyable d’enquêter autour de la peinture ancienne, de saisir ce qui, de celle-ci, se trouve dans la peinture actuelle, de trouver la particularité, les détails, ce qui existe d’irrépétable et d’éternel. D’accomplir une lecture et d’en restituer le texte dans sa propre œuvre. C’est un hommage à l’art, mais aussi à la mémoire, à travers quelque chose qu’aucun de nous ne sait lire ou écrire, mais qui passe dans l’œuvre et la constitue. Taglioni ne considère pas qu’il participe aux modes du vingtième siècle. Il tente cependant une approche de l’art du vingtième siècle. Le voilà spectateur, tantôt d’un mouvement, tantôt d’un autre, lecteur, tantôt d’un auteur, tantôt d’un autre.

Alessandro Taglioni, "Unsable", digitale su carta, 2000, cm 126x100

Le dix-neuvième siècle est une autre histoire, face à laquelle il ne peut s’empêcher de dire la surprise, la merveille, le plaisir de se trouver à admirer l’œuvre de Hayez, de De Nittis, de Segantini. Taglioni trouve là des instances originaires concernant la peinture et son histoire, des leçons de métier et de vie, des impressions de pensées et d’idées. Les œuvres anciennes, ou classiques, comme Taglioni les appelle, sont éternelles, et c’est peut-être cela qui l’intéresse. Elles se situent sur la corde et sur le fil du temps, intouchables et inapprochables. Elles constituent ce qui reste et elles appartiennent au sacré. Elles s’écrivent comme témoignage et qualifient l’œuvre. A travers le dix-huitième siècle, Taglioni lit aussi le vingtième. Il le rend ainsi actuel. "Mais cela ne suffit pas", ajoute-t-il, "encore faut-il restituer la qualité de ce témoignage. il ne suffit pas de percevoir qu’il y a là quelque chose d’absolu, d’important, il faut réussir, je ne dis pas à la réécrire, mais à dire que cela existe. A le raconter, en somme, même si ce n’est justement pas simple de raconter.

Il y a aussi une question de disposition, je pense, de disposition à l’écoute, même si je ne sais pas comment l’expliquer. S’il y a la disposition, alors on est en mesure d’écouter une conférence ou d’entrer dans une galerie d’art. D’entrer dans un musée, ou d’accomplir n’importe quel acte de la vie : ou bien il y a la disposition à l’écoute, ou bien l’on passe à côté des choses". L’indifférence ne concerne absolument pas Taglioni. Il ne commente pas, n’explique pas, ne s’appuie pas sur le dit, le fait, l’écrit pour se faire une idée ; c’est plutôt l’idée - indicible - qui opère à ce que les choses s’écrivent. Le vingtième siècle est encore tout entier à lire.

Mais aussi le dix-huitième, le dix-neuvième. La couleur de l’objet n’a pas d’époques, de courants, de partisans ni de détracteurs. L’abstraction se trouve dans la figure, dans le portrait, dans le paysage, dans les cartographies infinies de l’œuvre. En fait, dans chaque œuvre d’art, dans le classique, dans le moderne, dans l’actuel. L’abstractionnisme d’Alessandro Taglioni est apparent : c’est son classicisme. C’est-à-dire qu’il recueille les leçons des œuvres anciennes et qu’il en accomplit la lecture. pas avant de traverser des voies difficiles, où se combinent des éléments du labyrinthe et de l’histoire.

Mais on ne peut pas visiter la galerie d’Alessandro Taglioni sans tenir compte du narcissisme de la parole, un narcissisme qui n’est pas personnel, un narcissisme sans contemplation ni complaisance, mais qui tourne autour de ce qui constitue un obstacle à toute représentation. La peinture est-elle une représentation des choses ? De celles-ci, la peinture saisit l’absolu, l’essentiel, la particularité, le détail. Dans le cas de Taglioni, elle saisit la mêmeté des choses, elle construit les choses strate après strate jusqu’à leur intégrité - "Tableaux, pages et fonds serrés au fur et à mesure, incises plus complexes dans des itinéraires et des diagrammes chaque instant se brise à n’en plus pouvoir en coupures et détails d’un unique souffle" - jusqu’à leur poésie.

Pendant quelques années, Taglioni n’a apparemment plus peint, il n’a pas fait d’expositions, il n’a pas acheté de pinceaux, de couleur, de matériel.

Pendant ce temps, il a lu des livres, il a parlé avec des artistes, il a organisé des expositions, il a édité des livres d’art, il a participé à des congrès et rencontré différents intellectuels : écrivains, poètes, des informaticiens. Il s’est formé culturellement et intellectuellement par le travail et l’étude. Il a trouvé des interlocuteurs, des amis, des artistes. pendant ces années, sa curiosité s’est aussi tournée vers le computer art, le design, le graphisme. des instruments utilisés pour le travail, et devenus instruments pour l’écriture et pour la peinture elle-même.

L’informatique des dix dernières années n’a pas seulement fourni d’infinis éléments de recherche, mais elle a aussi formalisé et, d’une certaine manière, donné une réponse à la question où s’écrivent les choses, mettant dans un relief extrême le langage, l’image, la matière. Dans le dispositif où il s’est trouvé, Taglioni a saisi l’occasion - en poursuivant sa recherche - de profiter de ces instruments. Nous l’avons vu étudier des programmes qui n’avaient pas forcément été inventés pour l’art, utiliser simultanément plusieurs softwares pour un fonctionnement inédit, dessiner, ajouter, ôter, superposer, composer, intégrer, colorer, écrire, mettre en page... Puis faire des épreuves, des impressions, des agrandissements, des pellicules, des plaques photographiques, des reproductions, des copies multiples...

C’est le nouveau laboratoire du peintre, son nouvel atelier, où, outre les toiles appuyées aux murs, les feuilles de papier qui servent de palette, les tubes de couleur, il y a aussi un ordinateur, une souris, une table de graphiste et différents CD. Peut-être pour en faire un film, une performance, une galerie digitale ou un site Internet. L’ère de l’image électronique est une ère nouvelle qui ne se constitue pas comme époque. A l’image, rien ne correspond : l’image approche de l’indécidable, de l’incroyable, de l’inimaginable. Elle n’a plus besoin de recourir ni à la magie ni à l’animation. Elle s’écrit comme acoustique et non comme visuelle.

L’image électronique, dont le digital constitue peut-être ce qu’auparavant nous appelions technique (huile, aquarelle, détrempe...), se consacre, à travers l’écriture, même à la communication. Légère, elle est traversée par son anatomie, par laquelle justement elle s’écrit. Le peintre l’avait déjà trouvée dans d’autres ères, mais l’extraordinaire invention de l’informatique permet à chacun aujourd’hui de rendre un témoignage. Pour la qualification des choses.

Par cette voie, l’œuvre participe de l’artifice, elle se combine avec des toiles, des papiers, des impressions digitales ; puis avec des huiles, des aquarelles, des détrempes, des collages. Telle est la typographie d’Alessandro Taglioni. Chaque œuvre s’ajoute à l’expérience et se constitue comme type. Précisément en fonction de cette typographie, le ciel, le paysage, la ville, l’eau, l’onde, la mer, la croix, le nœud, les dimensions font partie du même firmament de logique et de vie. Avec ces éléments, il parle, il écrit, il communique sa fable : "Si je dis que cette œuvre est accomplie, si je me mets à la décrire, c’est toute une question d’anecdotes ou de nouvelles, qui sont des façons de dire comment adviennent les choses".

Nous pouvons marcher dans cette galerie et ouïr, avec les fables et les tableaux de Taglioni, le rythme des ondes, la légèreté de l’air, la poésie de l’eau. Bref, la qualité de la terre.

Alessandro Taglioni, peintre, directeur artistique des Éditions "Spirali", Milan.

Fabiola Giancotti, chiffrématicienne, redacteur d’art.

Reproduit avec l’aimable autorisation de Transfinito

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