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Québec, Canada : Nouveaux Romanciers
dimanche 22 janvier 2006 par Jean-François Somain

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JEAN-FRANÇOIS SOMAIN

Toujours heureux de me baigner dans d'autres mondes littéraires, je me suis récemment intéressé à de nouveaux romanciers québécois ou canadiens français ou canadiens d'expression française, des termes qui reflètent parfois des positions politiques. Ni systématique ni exhaustif, je lis ce qui me tombe sous la main, ce qui a attiré mon attention, ce que le hasard m'a mis à portée de la main. S'agissant de jeunes auteurs, ceux et celles qui ont publié deux ou trois ouvrages, je choisis des livres qu'on m'a recommandés ou je me laisse guider par ce que j'ai lu ou entendu à leur sujet. C'est ainsi que j'ai eu l'occasion de découvrir une belle brochette de nouveaux auteurs de ce coin du monde. N'étant pas critique littéraire, je me contente d'en donner des impressions de lecture.

J'ai beaucoup aimé Nadine Bismuth, une des étoiles montantes de cette littérature. À l'instar de bien des nouveaux auteurs, Mme Bismuth est, ou a été, étudiante en lettres, se nourrissant de livres et de concepts littéraires et ajoutant à sa formation des cours de création littéraire. Ce n'est pas différent des peintres de la Renaissance qui apprenaient leur métier comme apprentis auprès de grands peintres. La plupart répètent des leçons et quelques-uns ont du génie que leurs études aident à mettre en valeur.

Elle s'est tout de suite fait remarquer par un recueil de nouvelles, Les gens fidèles ne font pas les nouvelles (éd. du Boréal, 2001). C'est un plaisir de lecture. Mme Bismuth est une fine observatrice de la nature humaine et excelle à présenter des personnages intéressants dans des situations également intéressantes. Son regard souriant, un peu espiègle, sur les travers humains m'a touché. J'ai noté parfois une retenue inutile (dans Site historique, on ne sait pas tout à fait si la narratrice a été violée, d'autant plus qu'elle prend sa mésaventure bien paisiblement, et dans La demoiselle d'honneur, on ne sait pas exactement si la mariée s'est offert le plaisir d'une incartade durant les noces, encombrée qu'elle était par sa robe de mariée). Je préfère, en littérature, ce qui est net et clair. À peu près toutes les nouvelles du recueil sont des réussites, des bribes de vie qui dégagent une douce chaleur humaine.

Son roman Scrapbook (éd. du Boréal, 2004) montre encore son grand talent. Il se déroule dans des milieux que Mme Bismuth connaît bien, le monde universitaire, les maisons d'éditions, les premiers pas dans la vie. Ses personnages sont vivants, authentiques, familiers. Mme Bismuth présente son roman comme une parodie d'auto-fiction, ce qui me fait froncer les sourcils parce que je ne sais pas trop ce que c'est. En tant que lecteur, je m'occupe de ce que je lis, pas des liens possibles, anecdotiques, entre la vie de l'auteur et l'ouvrage qu'il donne. Ce roman, déjà traduit en plusieurs langues, rend la musique exacte de la vie quotidienne, avec un fourmillement de personnages bien campés et de situations qui captent l'intérêt. Nadine Bismuth est à coup sûr un des grands auteurs d'aujourd'hui et de demain. C'est de la musique de chambre, tout en nuances, en délicatesse, des notes justes, avec un humour d'une grande finesse.

Nicolas Dickner a également fait son entrée avec un recueil bien original, L'encyclopédie du petit cercle (éd. L'instant même, 2000). Chaque nouvelle débute par une parodie de définition savante d'un terme inventé et M. Dickner brode une histoire souvent cocasse, intelligente et stimulante autour de son thème. J'ai été sensible à cette imagination débridée qui remue agréablement les méninges.

Son roman Nikolski (éd. Alto, 2005) a suscité bien des émois dans les milieux littéraires, et il y a de quoi. Alors que les personnages de Mme Bismuth sont généralement raisonnables, pondérés, pleins des qualités et des défauts qu'on trouve autour de nous, ceux de M. Dickner sont allégrement plus grands que nature, originaux, inattendus. C'est un déferlement de sous-histoires profondément réalistes et plausibles ou bien invraisemblables et hors du commun, comme ce narrateur qui écrit inlassablement à sa mère qui sillonne l'Ouest canadien en roulotte, essayant de deviner où diable elle arrêtera prendre son courrier, ou cette héritière de pirates et de chasseurs de baleines qui cannibalise des ordinateurs volés, ou cet étrange manuscrit composé de tranches rafistolées.

Il y a, certes, dans l'inspiration de M. Dickner, quelque chose de fabriqué, d'abstrait, d'artificiel. Plutôt qu'une littérature qui jaillit d'un surplus de cœur, on y sent un regard doucement ironique. L'autour joue, et joue bien. Il laisse abondamment de trous dans ses histoires, il ébauche des situations qu'il ne poursuit pas, offrant aux lecteurs l'occasion d'imaginer eux-mêmes la suite des événements. Pour ma part, je préfère tout savoir d'un personnage, y compris sa vie avant et après le récit. On peut aimer ou ne pas aimer ce côté brouillon de la trame narrative, tout en sachant qu'il est voulu, qu'il est cherché. Ou bien, on peut simplement se régaler de ce qu'on nous présente, qui est d'une magnifique vitalité, tout en songeant aux grands romans que l'auteur pourrait écrire avec son immense talent.

Guillaume Vigneault a impressionné tout le monde avec son roman Carnets de naufrage (éd. du Boréal, 2000), puis avec un deuxième roman, Chercher le vent (éd. du Boréal, 2001). Dans cet ouvrage, le narrateur, dans la foulée d'un amour contrarié, décide de se rendre aux États-Unis avec un copain. Chemin faisant, une jeune femme s'entiche de son copain et accepte de les accompagner. Le narrateur, qui a la bougeotte, laisse vite ses amis et se retrouve en Louisiane, où il rencontre des personnages truculents dans des situations parfois époustouflantes, dont une belle description d'une tornade tropicale. Ça se lit toujours avec plaisir, tellement les pages suintent de vie.

M. Vigneault a un beau tempérament d'écrivain. Le lecteur se laisse porter par le narrateur, éprouve ses sentiments, partage ses réactions. La dimension américaine est très bien rendue. On voit ce que le narrateur voit. Il est rare de tomber sur un talent aussi indiscutable, collé à la vie. Cet auteur pourra donner des œuvres riches en poussant plus loin la densité de ses personnages et l'ampleur de ses thèmes.

Nelly Arcan s'est imposée avec Putain (éd. du Seuil, 2001), traduit en plusieurs langues, qu'elle présente comme un récit plutôt que comme un roman. La narratrice travaille dans une agence d'escorte tout en étant étudiante à l'université. Élevée chez les sœurs, avec un père très religieux qu'elle soupçonne pourtant de fréquenter des putains, elle affiche une rectitude politique de béton, trouvant que la prostitution est " un commerce de dégénérés ", bien qu'elle ne signale aucune mésaventure avec ses clients. Elle les méprise plutôt de faire appel à des putains et appréhende, et souhaite peut-être, de voir son père franchir sa porte. Je ne vois pas moi-même où serait le problème, trouvant plutôt que le père a bien le droit d'aller chez des putes et que la fille a bien le droit de vendre ses caresses si bon lui semble. Si jamais ils tombent l'un sur l'autre, ils peuvent choisir de baiser, ce qui va à l'encontre du code criminel concernant l'inceste, ou de se dire bonjour et au revoir et bonne chance dans ta vie. Mais le propre des gens, même en littérature, c'est de voir des problèmes là où il n'y en a pas vraiment. La narratrice déteste visiblement son métier. Pourquoi le fait-elle ? Pour de profondes motivations personnelles qui suintent du récit, et parce que ça rapporte beaucoup et rapidement, de quoi s'offrir une belle garde-robe et payer ses études, ses cosmétiques et des opérations occasionnelles pour se sentir toujours aussi belle que possible.

L'essentiel de l'ouvrage, c'est la voix, le ton de la narratrice, quelque chose d'exceptionnel, de belles descentes dans les abîmes d'un être, ce flot de conscience qui s'exprime en de longues phrases si bien tournées qu'on plonge au cœur même de cette prostituée tourmentée et lucide, touchant ses obsessions de près, voyant le monde comme elle le voit.

Dans Folle (éd. du Seuil, 2004), également présenté comme un récit, Mme Arcan donne encore la pleine mesure de son talent. C'est la même narratrice, toujours suicidaire, qui a quitté la prostitution de luxe, où on ne fait pas long feu, étant vite remplacée par des escortes plus jeunes, et raconte ses amours malheureuses avec un homme obsédé par la pornographie sur Internet. Notre vision du monde dépend souvent des gens et des milieux qu'on fréquente. La narratrice passe son temps dans des bars et côtoie des habitués des bars, ce qui la pousse à voir les choses sous ce prisme particulier qui la rebute pourtant. Mme Arcan a un style, une présence, une force bien à elle. C'est toujours fascinant. Et puis, elle parle de la baise avec un vocabulaire direct, ce qui est rafraîchissant. C'est à elle qu'on doit bien des dialogues d'Emmanuelle Béart dans Nathalie..., le beau film d'Anne Fontaine. En élargissant sa thématique, en se débarrassant d'un surplus de clichés, en se montrant moins tournée sur elle-même, ce qui risque d'être répétitif, et plus ouverte aux particularités de ses personnages, Mme Arcan donnera sans doute des romans de première classe.

Maxime-Olivier Moutier, bien présent sur la scène littéraire comme animateur d'émissions littéraires à la télévision, a publié ce qu'il appelle un " roman d'amour ", Marie-Hélène au mois de mars (éd. Triptyque, 1998). Le narrateur, déjà suicidaire, découvre que sa copine couche avec quelqu'un d'autre. Terrassé, il repousse l'envie de se tuer en se faisant volontairement interner dans l'aile psychiatrique d'un hôpital afin d'y être soigné jusqu'à ce qu'il puisse retrouver son équilibre intérieur. Étant plutôt porté à respecter les choix d'autrui concernant leur conduite dans la vie, et trouvant donc que la copine était bien libre de baiser avec qui elle veut, l'histoire n'a pas de quoi m'émouvoir. Mais des gens se suicident pour moins que ça et toute douleur intense mérite qu'on s'en occupe. J'ai beaucoup apprécié ce roman, qui est un chef-d'œuvre d'introspection, une descente les yeux ouverts dans des enfers personnels, une excellente description d'un séjour d'un mois dans un asile, avec une volonté courageuse et lucide d'y voir clair et de s'en sortir. Très engagé socialement, M. Moutier n'écrit pas beaucoup, mais ce qu'il a fait est excellent.

Au Québec, un étudiant en études littéraires peut présenter un ouvrage de fiction en guise de mémoire. En tant que travail universitaire, le roman doit montrer qu'on a bien assimilé les concepts inculqués. Certains sont publiés. Après tout, on procède de la même façon dans d'autres disciplines où on publie des thèses de maîtrise ou de doctorat. Le premier roman de Maryse Latendresse, La danseuse (éd. HMH, 2002), a reçu un prix accordé au meilleur ouvrage de fiction présenté en études littéraires. Une femme, qui étudie la danse, vit avec un écrivain, personnage assez éthéré dont on ne sait pas grand-chose. En lisant les derniers écrits de son conjoint, elle a l'impression qu'il est tombé amoureux d'une autre femme. Elle découvre rapidement qu'il s'agit de sa professeure de danse. Elle finit elle-même par quitter l'écrivain pour se jeter dans les bras de sa professeure. La situation est fascinante. Toutefois, on ne sait pas vraiment pourquoi la narratrice quitte l'écrivain, on n'entre pas dans les motivations profondes qui la poussent du côté des amours féminines.

Dans son second roman, Quelque chose à l'intérieur (éd. HMH, 2004), plus touffu que le premier, la narratrice quitte son copain lorsqu'elle s'éprend de l'ami de sa sœur. Tous deux ont découvert qu'ils étaient faits l'un pour l'autre, et c'est très bien. C'est un beau sujet, ce changement dans l'objet de son désir, mais, encore là, on ne descend pas assez profondément dans les mobiles, dans le monde riche et complexe du désir. Compliquant l'histoire, la narratrice s'adresse souvent à un " tu ", et on apprend vite qu'il s'agit de son père. À la fin, on apprend que le père a eu une liaison avec la sœur de la narratrice lorsqu'elle était adolescente et, on suppose, se fiant au contexte, consentante, mais cette sous-histoire arrive en filigrane et je n'y vois pas de quoi fouetter un chat.

Ce qui frappe chez Mme Latendresse, c'est la belle écriture, limpide, lumineuse, la finesse psychologique, bien qu'elle reste en surface. Il est agréable de tomber sur une auteure décidément bien dans sa peau, heureuse de vivre, heureuse d'aimer. Avec ce beau talent, en explorant davantage, en ajoutant plus de profondeur, en fouillant davantage ses personnages, Mme Latendresse pourra donner des œuvres très intéressantes.

Dans l'ensemble, ces excellents auteurs, qui ont récolté bien des prix littéraires, ont une thématique assez légère. Leurs personnages vivent dans un monde capitonné et font face à des problèmes plutôt épidermiques. On peut vouloir se tuer à cause d'un chagrin d'amour, ce qui n'empêche pas qu'un chagrin d'amour soit de l'ordre des choses triviales. On peut détester la prostitution, mais rien ne nous force à exercer ce métier, il suffit de franchir la porte de sortie. Changer de partenaire apporte parfois des complications, sans que ce soit la mer à boire. Les ouvrages que j'ai mentionnés méritent d'être lus et savourés. Prenons d'autres artistes. Van Gogh peint une chaise et en fait un tableau superbe, Picasso fabrique une belle céramique avec la carcasse d'un poisson. Un grand auteur réussit à faire une bonne œuvre sur des thèmes frivoles, qui méritent d'ailleurs le respect, car ils forment le tissu de la vie quotidienne, mais on voudrait parfois avoir des plats plus consistants à se mettre sous la dent.

Après quelques très bons romans pour jeunes, Céline Forcier a publié un premier roman grand public, Le chêne (éd. du Vermillon, 2004). La narratrice raconte les dernières années de sa mère, atteinte de sénilité croissante, et ses séjours dans des institutions spécialisées qui parfois abusent de leurs patients ou s'en occupent bien mal. Des retours dans le passé montrent la vie de cette femme dans les milieux ruraux du Québec de son époque, et c'est une existence dure, difficile, souvent pénible. Des personnages très bien campés jalonnent le récit. Même dans les situations les plus terribles, on sent que ça sonne vrai, c'est authentique, ce ne sont pas des problèmes à l'eau de rose. Cette méchanceté existe, ces malheurs existent. Il y a des passages qui touchent au mélodrame, mais on sent qu'ils sont tirés de la vie. Mme Forcier est une écrivaine naturelle. Son roman sort des tripes, pas d'études littéraires. Précisons que les études littéraires sont très utiles et aident à mieux faire son métier, mais un écrivain doit avant tout avoir quelque chose à dire, quelque chose de grand à raconter. Mme Forcier a écrit un roman dur qui frappe en plein cœur.

Après Toronto, je t'aime (éd. du Vermillon, 2000), Didier Leclair a publié un second roman, Ce pays qui est le mien (éd. du Vermillon, 2003). Ce roman, qui se déroule en une nuit, plonge dans le monde des immigrants africains à Toronto. Dans un beau rythme narratif, l'auteur présente une foule de personnages très bien décrits aux prises avec des problèmes graves, des problèmes sérieux de survie dans un monde qui n'est pas toujours le plus accueillant. Quand on lit un tel ouvrage, on en sort enrichi, on a appris des choses, on a touché du doigt à des aspects cruciaux de l'existence. C'est un bain d'humanité, ce qu'on attend d'une œuvre littéraire.

La littérature québécoise et canadienne-française se porte bien, avec un bon nombre d'auteurs qui valent le détour. Ceux que j'ai cités sont généralement jeunes, dans la trentaine, chacun et chacune avec son expérience de la vie, qui affecte évidemment la thématique. Un écrivain doit lire ce qui s'est écrit avant lui, ce qui s'écrit autour de lui ; l'important, toutefois, c'est de plonger dans la vie, de la fouiller, de la scruter, d'en enrichir sa personnalité, sa sensibilité, son jugement, pour livrer ensuite une œuvre qui porte sa marque, si possible en s'attaquant à de grands sujets et en descendant dans les profondeurs de la nature humaine. Ces nouvelles voix inspirent confiance et augurent bien pour l'avenir.

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