Le liseur, Bernhard Schlink

Gallimard, 1996

Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary

 

L’intrigue de ce best seller des années 90 se déroule dans l’Allemagne de l’après Deuxième Guerre mondiale. A l’âge de quinze ans, Michaël Berg fait par hasard la connaissance d’Hanna Schmitz, une trentenaire à poigne qui pourrait être sa mère. Un matin d’octobre, le jeune homme est frappé par un début de jaunisse et vomit en pleine rue. La femme s’occupe de lui, puis le ramène à la maison. Quelques mois plus tard, enfin guéri, Michaël décide d’aller remercier Hanna. Très vite, il tombe sous le charme de cette femme mystérieuse et autoritaire. Durant six mois, ils seront amants. L’adolescent rejoint sa maîtresse tous les jours et partage avec elle les plaisirs de la chair et, plus original, de la lecture. Hanna demande en effet à celui qu’elle appelle «garçon» de lui lire, des heures durant, des ouvrages à haute voix. Michaël, aveuglé par l’amour, ne se pose pas de question sur cet étrange rituel. Jour après jour, il fait découvrir à Hanna les grands classiques de la littérature. L’idylle, trop belle pour être vraie, s’arrête brusquement le jour où, bizarrement, Hanna disparaît sans laisser d’adresse. Le jeune Michaël est anéanti.

 

Si la première partie du roman est légère et sensuelle, la suite est beaucoup plus dure. Michaël retrouve Hanna, sept ans après son départ abrupt, dans un contexte peu banal: un procès pour crimes de guerre auquel le jeune homme assiste dans le cadre de ses études de droit. Il découvre, stupéfait, qu’Hanna est soupçonnée d’avoir commis des actes ignobles lorsqu’elle était gardienne de camp de concentration. Mise en cause par ses coaccusées, l’ancienne amante de Michaël se défend avec une naïveté confondante. Elle est finalement condamnée à perpétuité. En assistant assidûment aux audiences, Michaël Berg comprend enfin pourquoi son amoureuse lui demandait de lui lire des livres à haute voix. Ce mystère enfin percé et des sentiments amoureux encore vivaces pousseront Michaël Berg à continuer à entretenir la flamme avec Hanna durant sa longue détention, d’une façon originale que nous ne dévoilerons pas.

 

Pour être franc, nous avons failli ne jamais lire ce livre après avoir vu son adaptation cinématographique totalement insipide. Finalement, la curiosité nous a conduit à ouvrir le best seller de Bernhard Schlink. Et, ô surprise, nous avons découvert un texte plus subtil et émouvant qu’attendu. Oeuvre d’un juge spécialiste des droits de l’homme, ce roman propose une réflexion intéressante sur le lourd héritage qu’ont reçu les Allemands nés après la Deuxième Guerre mondiale. Bernhard Schlink utilise dans un premier temps une histoire d’amour très touchante, qu’il transforme de fil en aiguille en métaphore d’une société qui a dû faire cohabiter la génération qui a joué un rôle actif durant la période nazie et celle qui lui a succédée, qui culpabilise et cherche à prendre ses distances vis-à-vis des actes commis sous le IIIe Reich.

 

Si Le Liseur nous a globalement plu, la fin nous a toutefois fortement dérangé. Après le décès d’Hanna, qui survient quelques jours avant sa sortie de prison, Michaël Berg apporte un modeste héritage à une des survivantes du camp de concentration dans lequel officiait son ex-amante. On ressent un profond malaise devant cette façon maladroite de demander pardon et, d’une certaine façon, de tenter de réhabiliter Hanna. Le malaise est d’autant plus grand qu’Hanna n’exprima que peu de remords pour les actes odieux dont elle se fit la complice et que la survivante juive du camp de la mort est présentée sous les traits d’une richissime bourgeoise new-yorkaise. Dommage que cette fin totalement déplacée ternisse un ouvrage au demeurant très original et touchant.

 

Florent Cosandey, 6 août 2009