Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme, Cormac McCarthy

 

Editions de l’Olivier, 2007

 

Alors qu’il chasse l’antilope à la frontière du Texas et du Mexique, Llewelyn Moss tombe sur les restes d’un carnage d’une rare violence. Devant lui, l’horreur absolue: plusieurs cadavres, un mexicain agonisant, des camions maculés de sang, des armes à foison et un gigantesque chargement d’héroïne. Et pour couronner le tout, une sacoche contenant plus de deux millions de dollars. Pauvre hère, vétéran du Viêt-Nam, Moss ne peut résister à l’appât du gain. Grâce aux vingt kilos de papier que contient la sacoche, il s’imagine refaire sa vie, quitter le camp de caravanes où il vivote avec son épouse. Pourtant, il sait qu’en emportant le magot, il signe son arrêt de mort. Dans des territoires infinis, sauvages, où règne la loi du plus fort, il paraît bien illusoire de s’emparer de ce qui appartient aux narco trafiquants. La police, incarnée par le shérif Bell, est devenue purement décorative et totalement incapable de faire respecter l’ordre. Impuissant, Moss sera traqué telle une bête sauvage par une meute de mafieux mexicains, par un ancien officier des Forces spéciales et surtout par un tueur psychopathe de la pire espèce, le terrifiant Chigurgh. Moss tentera en vain d’échapper à la mort dans une folle cavalcade à travers des paysages apocalyptiques et des cités glauques.

 

Avec Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme, Cormac McCarthy livre un roman noir claquant comme un coup de fouet, qui plonge le lecteur pétrifié dans une mare d’hémoglobine. Sa prose lancinante, syncopée et hypnotique se caractérise par une répétition infinie de la conjonction «et» («Moss paie le chauffeur et descend dans l’espace éclairé devant la réception du motel et se passe la courroie du sac sur l’épaule et referme la portière du taxi et tourne les talons et entre.»). Sa plume est sans conteste l’une des plus âpres et rudes de la littérature contemporaine.

 

Devant pareille boucherie, on croirait presque Cormac McCarthy payé en fonction des litres de sang versés dans le caniveau ou du nombre de cadavres pourrissant au soleil. Les seuls moments de répit sont constitués par les réflexions du shérif Bell, qui fait la chronique des années 70, moment charnière de l’histoire des Etats-Unis. Bell souligne notamment le changement d’aire quand il évoque un questionnaire adressé aux écoles dans les années trente. A l’époque, les principaux soucis des professeurs étaient les bavardages, le copiage, le chahut dans les couloirs ou encore le mâchage de chewing-gum. Le même questionnaire, 40 ans plus tard, donne des résultats autrement plus effrayants: viols, incendies volontaires, meurtres, drogues, suicides. En quelques décennies, l’Amérique s’est enfoncée sans s’en rendre compte dans une guerre civile où tout se décide à coups de fusils à pompe. Désormais, l’individualisme forcené conduit aux pires atrocités. Chigurgh, tueur froid et sans pitié, en est l’incarnation suprême.

 

Autant donc avoir l’estomac bien accroché en lisant cet ouvrage, qui a fait l’objet il y a peu d’une formidable adaptation cinématographie par les frères Coen.

 

Florent Cosandey, 16 février 2008