La sagesse dans le sang, Flannery O’Connor

 

Dans ce texte nerveux publié au début des années 50, la romancière Flannery O’Connor décrit avec sarcasme l’influence des évangélistes aux Etats-Unis, qu’elle juge néfaste. Cette fervente catholique, minoritaire dans un Sud résolument protestant, y voue aux gémonies les usurpateurs de l’Evangile qui vendent la foi comme on vend des savonnettes. O’Connor, élevée dans le respect de l’inflexible autorité de l’Eglise de Rome, utilise dès lors le ton de la farce pour dresser le portrait de cette faune burlesque qui fait, selon elle, de la religion une caricature sacrilège.

 

La sagesse dans le sang relate les aventures rocambolesques d’Hazel Motes, un prédicateur ambulant qui parcourt la campagne sudiste pour convertir la populace à sa secte, l’Eglise sans Christ. Petit-fils d’un évangéliste, il n’en sombre pas moins dans les pires excès (violence, sexe, etc.). Il finit, après avoir assassiné un prophète concurrent, par se brûler les yeux avec de la chaux vive, espérant apercevoir ainsi, dans les ténèbres, les vérités divines. Un jour de grand froid, la police le retrouve agonisant dans un fossé, les chaussures remplies de pierres et de verre pilé et le torse ceint de fil de fer barbelé. Piteuse fin pour un illuminé qui ne parvint pas, au bout du compte, à convertir grand monde…

 

Dans La sagesse dans le sang, Flannery O’Connor reproduit à merveille les caractéristiques pittoresques du dialecte du Sud des Etats-Unis, en mettant en scène avec verve une pléiade de personnages typés. L’univers tragi-comique des évangélistes est dépeint à l’aide d’un style décoiffant où se mêlent humour, gothique, satire et ironie. O’Connor force allégrement le trait, utilise un grossissement qui lui permet de tendre vers la vérité qu’elle souhaite révéler au lecteur. Minoritaire dans une contrée dominée par le protestantisme (la Géorgie), convaincue qu’on ne transige pas avec le sacré, elle tente de relever un défi, comme elle l’indique dans un témoignage cité en introduction à l’ouvrage: «Le romancier chrétien trouvera donc dans notre vie moderne des distorsions qui lui seront odieuses, et le problème qu’il aura à résoudre est celui de savoir comment faire apparaître ces distorsions à des lecteurs accoutumés à les trouver très naturelles. Il pourra être amené à forcer la violence de ses procédés afin de communiquer sa vision à un public hostile. L’écrivain qui peut espérer que son public partage les mêmes idées que lui peut se détendre et employer, pour s’adresser à lui, des moyens plus normaux; mais, dans le cas  contraire, il faut user de la méthode de choc, crier pour que les sourds vous entendent et dessiner, pour ceux qui sont atteints de quasi-cécité, de grandes figures surprenantes.» L’outil privilégié, dans ce roman, sera l’humour noir, un trait de l’imaginaire sudiste qu’O’Connor manipule comme personne, excepté bien sûr le prix Nobel de littérature William Faulkner. Le grotesque est chez O’Connor une arme pour secouer les consciences relâchées, engoncées dans des voies erronées. Il apparaît souvent comme cruel puisque les personnages o’connoriens ont tous quelque chose de grand-guignolesque. Ainsi son univers grouille-t-il de menu fretin à la dérive, de culs-terreux truculents, de prédicateurs fous ou de tenanciers de bouges pas piqués des vers. Dans ce roman, l’être humain est tellement déformé qu’il en devient presque inhumain. Une certaine pitié n’est toutefois pas absente: le sort tragique des évangélistes émeut l’auteure, autant que leur pittoresque quête l’amuse.

 

Florent Cosandey, 28 octobre 2007