Virginia Woolf est née à Londres le 25 janvier 1882. Son enfance et son adolescence furent particulièrement tourmentées, marquées par la dépression, l’anorexie et des hallucinations. En 1912, elle accepta d’épouser Léonard Woolf, mais elle tomba malade et fit une nouvelle tentative de suicide en 1913.
L’écriture lui donnera néanmoins une raison de vivre et en 1927, lorsqu’elle écrit Orlando ( Ed. Stock ), elle a déjà publié plusieurs nouvelles et romans dont Mrs Dalloway, œuvre qui révéla sa maîtrise romanesque.
" Orlando " est un roman qui se situe en marge de l’évolution littéraire de V. Woolf. Il ne s’agit pas, comme dans " Mrs Dalloway ", " Les Vagues ", ou " La promenade au phare " de décrire à l’extrême les changements continus et éphémère de la conscience; son originalité est d’être étalé sur trois siècles, en Angleterre et dans d’autres pays et de laisser au premier plan le narrateur établir la biographie de son héros-héroïne, puisqu’ Orlando change de sexe au milieu du récit.
Orlando est d’abord un homme, mais, une fois devenu femme, il n’en continuera pas moins à aimer les femmes :
" Comme Orlando n’avait jamais aimé que des femmes et que la nature humaine se fait toujours tirer l’oreille avant de s’adapter aux conventions nouvelles, quoique femme à son tour, ce fut une femme encore qu’elle aima... "
Cette femme est dans la réalité la romancière Vita Sackville-West, l’amie que Virginia admire car " elle ose vivre ouvertement la dualité de sa nature ". Mais loin d’assumer harmonieusement les deux sexes (comme Vita), Orlando est déchirée par leur affrontement.
Vita Sackville-West, poétesse et romancière, issue d’une prestigieuse famille anglaise, mariée à Harold Nicolson, était plus jeune que Virginia Woolf (10 ans d’écart). Néanmoins Virginia avoue avoir trouvé en Vita " la protection maternelle qu’elle recherche par-dessus tout ".
Vita avait déjà vécu des amours tumultueuses avec son amie d’enfance et elle se montrait volontiers travestie en jeune homme. Son mari, lui-même homosexuel, était le confident de ses escapades.
Vita lui dit, à propos de Virginia, qu’ elle éprouve pour elle " un sentiment de tendresse et de protection ", mais qu’elle a " une peur atroce d’éveiller en elle un attachement physique, à cause de son penchant à la folie ".
Dans la préface de l’ouvrage, Diane de Margerie écrit : " Deux voix se font entendre dans Orlando : celle de Virginia s’identifiant à Vita la femme androgyne, dans un élan qui tient de l’amour; et celle de Virginia revenue à elle-même, retrouvant la nudité impitoyable du silence, la folie qui la guette, l’horreur du temps, la nécessité de la solitude, la menaçante intrusion de l’homme, l’ultime trahison des objets ".
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" Orlando " est aussi une réflexion sur les difficultés du travail de l’écrivain cherchant à décrire la nature; pour V. Woolf, toute réalité est insaisissable :
" Pourquoi ne pas dire simplement ce qu’on veut dire, pas plus ? Alors il essayait de dire que l’herbe est verte, le ciel bleu, et d’adoucir par de telles offrandes l’esprit austère de la poésie…
Levant les yeux, il voyait au contraire que le ciel est semblable aux voiles que mille madones ont laissé tomber de leur chevelure; que l’herbe frissonne, fuit et se fronce comme un envol de nymphes qu’apeure l’étreinte des sylvains velus, dans l’ombre des bois enchantés.
" Ma parole, s’exclamait-il, je ne vois pas qu’une façon de dire soit plus vraie que l’autre. Toutes deux sont horriblement fausses. " Alors, désespérant de jamais résoudre ces problèmes, de jamais savoir ce qu’est la poésie et ce qu’est la vérité, Orlando tombait dans un profond abattement ".
De même pour la complexité de la réalité humaine, et en particulier la réalité féminine: " Une biographie est considérée comme complète lorsqu’elle rend compte simplement de cinq ou six Moi alors qu’un être humain peut en avoir cinq ou six mille ".
Orlando finit par faire un immense feu de joie de ses ouvrages poétiques, ne gardant que " Le Chêne " parce que ce court poème était " le rêve de son enfance ".
" Il n’avait plus confiance qu’en deux choses : les chiens et la nature; un lissier, un buisson de roses. Toute la variété du monde, toute la complexité de la vie s’étaient réduites à ceci : des chiens et un buisson… Du temps passa et rien n’advint …
La vie lui paraissait d’une longueur prodigieuse. Cependant elle passait comme un éclair… Orlando s’exclama : " que je sois damné si jamais j’écris encore un seul mot pour plaire à la Muse; bien ou mal j’écrirais, à partir de ce jour, pour ne complaire que moi-même ".
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" Orlando " est un roman sur la nature androgyne qui fascinait Virginia Woolf; c’est aussi un conte fantastique, parfois fantasque à l’excès, une " fable symbolique d’un état rêvé ", entre fantaisie et réalité.
Virginia traverse à nouveau une crise de dépression et doute de ses capacités littéraires, notamment lorsqu’elle lit Proust :
" J’ai pris un volume de Proust après dîner et puis je l’ai remis en place. Ce fut un moment terrible et cela m’a donné des idées de suicide. Il semble qu’il n’y ait plus rien à entreprendre ".
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L’écriture d’Orlando est d’une grande richesse poétique du fait de l’imagination sans limite de l’auteur, en proie à de véritables hallucinations :
Orlando donne un éclairage allégorique de la personnalité complexe de Virginia Woolf, à la recherche comme son héros de son identité profonde, du succès et du bonheur :
" J’ai poursuivi le bonheur pendant bien des siècles et je ne l’ai pas trouvé; la gloire, et elle s’est évanouie entre mes doigts; l’amour, et je ne l’ai pas connu; la vie - et, vois, la mort est meilleure...
Ce livre, certes un peu déconcertant, mérite d’être lu. D.G.