Edition Attila
dimanche 22 novembre 2009 par penvinsMagnifique idée que d’avoir réédité le Paris insolite de Jean-Paul Clébert.
Au tournant des années 50 - la première édition du livre date de 1952 - nous nous promenons dans Paris, entrant dans les ruelles, dans les immeubles, les appartements, les greniers, les cours avec la liberté d’un clochard. Le voyage est pittoresque, parfois insupportable, le regard sur la société, bien sûr décalé donne une formidable impression de liberté qui petit à petit s’estompe. Mais surtout nous nous promenons dans un Paris dont il ne reste plus grand-chose, qui déjà est en train de disparaître comme le souligne l’auteur, que nous connaissions par le travail des photographes notamment Robert Doisneau mais qui revient ici sous l’objectif de Patrice Molinard qui accompagne admirablement le texte sans jamais interférer. Rares sont les rues que l’on reconnaît, mais plus que les détails c’est l’ambiance elle-même que l’on ne reconnaît plus.
Tous ces petits boulots, métreur, Jean-Paul Clébert se fait un moment de l’argent en allant métrer sur place les appartements locatifs – avec beaucoup de fantaisie – vendeur de journaux, cardeur, biffin, chiffonnier, bougnat, réparateur de phares et lanternes, porteur d’eau… boulots qui ont soit disparu soit changé de nom soit ce sont drastiquement raréfiés.
On est dans un autre monde non seulement parce qu’on aborde Paris avec le regard d’un poète vagabond, mais aussi parce que Paris a changé. On est également dans un autre monde parce que la langue de Clébert est celle de la rue, un argot daté avec parfois des trouvailles propres à l’auteur comme ce : Elles s’en donnaient à cul joie qui exprime bien ce qu’il veut exprimer !
Les lieux également nous sont sinon inconnus tout au moins ne sont que des souvenirs tels : Les Halles, Bercy, les dernières guinguettes dans Paris, Luna Park… des lieux pittoresques qui ont soit disparu soit se sont transformés en quartiers branchés c’est tout dire !
Jean-Paul Clébert est un authentique anarchiste, épris de liberté et prêt pour cela à tous les sacrifices : Mais quand on a choisi sciemment ce mode d’existence […] évidemment on n’a guère le droit de gueuler contre la faim, c’est le jeu …Et pourtant la faim peut être terrible, on peut - au sens propre du terme - crier famine sans que le bourgeois ne vienne à votre secours comme pour cet homme que voit l’auteur gueulant : je crève de faim un soir à la sortie d’un théâtre.
On est amusé de lire le jeu de cache-cache avec les flics traquant l’infraction et les trucs et astuces pour ne pas se faire pincer, tout cela est bon enfant, il y a une sorte de complicité aujourd’hui bien oubliée. Comme le dit par ailleurs Jean-Paul Clébert : à l’époque les clochards n’étaient pas des exclus comme aujourd’hui.
On est d’ailleurs souvent étonné de voir l’attitude de la population à l’égard de ces hommes (principalement) souvent sales et malodorants comme l’auteur les décrit et notamment de constater que cela ne les empêche pas parfois de draguer… avec succès ! Il faut dire que l’on sortait tout juste de la guerre et que la névrose hygiéniste n’avait pas atteint les proportions qu’elle a atteintes aujourd’hui. Les photos de Patrice Molinard donnent d’ailleurs un aperçu de l’état de délabrement des immeubles qui en dit long sur cet aspect.
Le plus important dans ce livre est ailleurs, dans ce style désordonné qui pourtant tient en haleine, dans les conditions d’écriture qui en font un livre différent des livres au plan bien établi comme on les concevait à l’époque et encore parfois aujourd’hui. Ce livre a été écrit à partir de notes prises sur des bouts de papier qui tombaient sous la main de l’auteur et qui étaient jetés en vrac dans un sac ! il en sort un véritable vagabondage à travers les quartiers de Paris chers aux clochards mais surtout une atmosphère de liberté qui vient souligner la philosophie de l’auteur.
Il semble que ce livre ait eu beaucoup de succès, lors de sa parution comme lors de ses rééditions. Comme quoi le succès n’est pas synonyme de médiocrité, ici il est totalement mérité. Ce livre est à la fois un merveilleux album de photos sur un Paris disparu, un texte admirable de poésie et d’humour sur les relations entre les clochards et la ville, un document ethnographique. A recommander absolument.
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