samedi 28 février 2009 par Hervé Gautier
Le dit de Tianyi – François Cheng – Éditions Albin Michel [Prix Fémina 1998].
C’est une récit poignant par sa simplicité et surtout par son authenticité que nous offre François Cheng. C’est, la relation d’une vie tourmentée, celle de Tianyi [peintre né en 1925], ingrate, pauvre, visitée par la maladie et la mort. La Chine traditionnelle du début du XX° siècle est très attachée à la famille. La sienne est évoquée, avec ces éléments valeureux, qui marquent un enfant, et ceux qui le sont beaucoup moins. Il évoque son père, instituteur devenu écrivain public et calligraphe et qui mourra quand le narrateur a dix ans. Ce que je retiens plus volontiers, au lieu des images d’hommes, son grand-père et ses oncles dissemblables ou attachants, ce sont les figures féminines, sa jeune sœur morte tôt, sa mère, illettrée, dévouée et charitable qui « pratiquait les vertus d’humilité et de compassion » du bouddhisme, ses tantes dont l’une d’elles était demeurée célibataire parce que la vie avait étouffée chez elle cette espièglerie naturelle, une autre qui ne faisait que de courtes apparitions et qui avait vécu un temps en France, une autre enfin qui se pendit pour ne pas avoir connu sur terre et pendant son mariage le bonheur auquel elle estimait avoir droit. Ce qui retient cependant mon attention, c’est le personnage fulgurant de Yumei, que le narrateur retient sous le nom de « l’Amante » et qui l’impressionne par sa grande beauté et son sens de la liberté. L’adolescent qu’il est à l’époque ne peut rester insensible à son charme et il s’éprend d’elle en secret. Son amour ira grandissant avec le temps et l’absence et il finira par regarder la femme comme inaccessible. Cet attachement à la femme se vérifiera également dans la personne de Véronique, musicienne française rencontrée à Paris, torturée comme lui par la vie.
La seconde présence de ce roman est celle d’Haolang, l’ami d’enfance, communiste convaincu, le troisième élément du trio que le narrateur forme avec Yumei. Cette entente amicale à trois ne durera pas et, déçu par des gestes d’intimité qu’il surprend entre eux. Il en est bouleversé et déçu. A la faveur d’une bourse, il part pour la France où il mène une existence précaire, mais il trouve dans la peinture un baume à sa blessure mal fermée. Par Yumei, il apprend qu’Haolang est mort et décide de revenir en Chine, apprend que son amie s’est suicidée mais retrouve son camarade dans un camp de travail où il achève sa vie et lui confie ses écrits.
Drame de l’amour et de l’amitié sur fond de guerre sino-japonaise et de révolution culturelle chinoise, choc de deux civilisations entre l’occident qui ne pense qu’aux richesses et la Chine qui fait une grande place à la philosophie et à la religion, à l’équilibre du monde. La figure du moine taoïste qui apparaît dans la première partie du roman symbolise ces valeurs. Dans l’évocation de la Chine de Mao, qui forme en quelque sorte son pendant révolutionnaire, cette approche change pour laisser la place à la souffrance et à la mort. C’est donc un itinéraire intérieur et personnel, dans une trame historique, que nous livre l’auteur.
C’est aussi une quête impossible de la femme à travers les portraits esquissés de Yumei et de Véronique. Il oppose à sa propre vision du personnage féminin, magnifié à travers sa beauté, tissée notamment à travers la vision fugace de Yumei pendant ses ablutions, ces photos de femmes violées et cruellement humiliées pendant la guerre.
C’est également le mythe du retour qui est évoqué ici, retour douloureux vers cette Chine défigurée par le communisme avec, en filigranes la quête de Yumei qui se révélera vaine. En cela l’auteur semble nous dire que la femme est à la fois idéalisée et inaccessible. Sa recherche est promise à l’échec parce que le destin de l’homme lui-même débouche sur une impasse.
Pour autant, le narrateur enrichit son propos de développements passionnants notamment sur la peinture et la littérature occidentales. Il trouvera dans l’écriture, entendue à la fois comme une création et un acte de témoignage une manière de consolation à son mal-être intérieur.
L’écriture en est limpide, agréable à lire, poétique et nostalgique à la fois, attachante, par l’émotion que suscite ce récit. François Cheng, en spécialiste de la culture, communique à son lecteur attentif, au-delà même du récit, sa passion pour la connaissance, la profondeur de ses réflexions notamment sur le destin de l’homme, ce qui en fait un œuvre profonde et d’une grande richesse, au confluent de l’orient et de l’occident. Il semble dire que la valeur de l’homme, la seule peut-être, réside dans l’art, dans cette extraordinaire faculté qu’il possède à la fois de porter témoignage de son vécu et donc de la condition humaine de le transcender pour en faire une œuvre universelle et unique.
Hervé GAUTIER – Février 2009.
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