Les Bienveillantes -J Littell - Gallimard
mardi 5 décembre 2006 par penvins

Comment peut-on en arriver à considérer un tel livre comme l'évènement littéraire de l’année

Comment peut-on en arriver à considérer un tel livre comme l'évènement littéraire de l’année ? Ceci n’est tout simplement pas de la littérature. Ce n’est pas un mauvais livre – encore que … peut-être pourrait-on le classer dans une catégorie proche du roman de gare, lui donner 12/20 dans une composition d’atelier d’écriture, pourquoi pas 15, ce n’est pas trop mal fait, mais justement c’est fait ! Son succès m’a fait penser à Da Vinci Code. Cela n’a rien à voir avec la littérature que nous aimons lire.

Mais bien entendu c’est ce que l’on a fait de mieux dans le domaine de la littérature que l’on aimerait que nous lisions. Et de ce point de vue c’est un chef d’œuvre. Un pur produit de marketing. Un gros livre, il parait que les éditeurs avaient besoin d’un livre épais, c’est l’auteur lui-même qui le dit dans un entretien au Monde, un livre qui fasse rayonner la culture française à l’étranger, du moins l’espère-t-on, un livre qui parle du nazisme autrement, un livre qui parle d’histoire et l’on sait que les Français en raffolent.

Mais à qui fera-t-on croire qu’il parle de l’Histoire autrement ? Bien sûr il y a cette volonté de prendre le point de vue du bourreau, il faut bien changer la sauce pour faire avaler le plat, mais contrairement à ce que dit la rumeur, soigneusement orchestrée par l’éditeur et ses nombreux soutiens, il n’y a pas grand-chose de changé dans la façon de regarder la genèse du nazisme. Et ce justement parce que le bourreau de J. Littell n’existe pas, il est une sorte d’ectoplasme construit pour développer une thèse : " Un honnête homme peut devenir un parfait salaud sous la pression des circonstances ". D’où l’insistance à la limite du ridicule avec laquelle l’auteur fait du Dr Aue un antisémite qui ne voudrait pas que l’on tue les juifs ou en tout cas qui souhaiterait que l’on épargne ceux qui ne sont pas un danger pour le Reich, allant jusqu’à donner au héros une raison objective d’épargner les victimes de par sa fonction d'officier de l'Arbeitseinsatz . Tout cela est cousu de fil blanc. A la limite de l'invraisemblalble alors que c'est justement la fonction du roman que de faire croire. Au fond l'auteur ne parvient pas à s'identifier à son héros.

Le Dr Aue est un SS homosexuel caricatural une sorte de personnage hybride inventé pour la circonstance mi-honnête homme, mi-figure mythique du SS, tout à l'opposé de l'Allemand moyen que Littell aurait pu choisir pour soutenir sa thèse, du coup on le sent gêné ne sachant pas comment démontrer la véracité du personnage, en faisant des tonnes pour démontrer son homosexualité, comme si cela n'allait pas de soi, lui inventant une relation incestueuse avec sa sœur et un sur-attachement au père qui n'explique rien, homosexualité qu'il parviendrait malgré tout à surpasser pour épouser une femme et avoir des enfants après la guerre. Curieux également que Littell n'oublie pas de circoncire son héros mais encore une fois sans aller jusqu'au bout "Oh, ce n'est rien. Une infection d'adolescence, ça arrive assez fréquemment. p 189". Enfin à l'image de son créateur le Dr Aue est un intellectuel, quelqu'un qui agit avec raisonnement. Beaucoup de traits qui auraient pu permettre à l'auteur de s'identifier à son héros mais peut-être en a-t-il eu peur ? J. Littell ne cesse d'insister sur le fait que son héros n'est pas une antisémite viscéral. On est en droit de se demander pourquoi une telle insistance, sinon pour bien le distinguer du nazi que l'on voit dans tous les films de guerre. Mais c'est justement cette insistance qui – par sa lourdeur – souligne à chaque page qu'il s'agit non pas d'un roman mais d'une démonstration.

On comprend bien sûr où sont les intentions de l'auteur je dirais même qu'on ne les comprend que trop, mais en quoi sont-elles révolutionnaires comme on le prétend. Comme si l'on ne savait pas depuis longtemps que dans une situation de crise l'homme était capable du pire ? Mais les situations de crise n'arrivent pas du jour au lendemain, l'antisémitisme n'est pas né en 1939, ce qui est important pour affronter l'avenir ce sont les sources de cet antisémitisme pas leurs conséquences, c'est l'analyse, pas la culpabilisation. Or cet ouvrage n'a pour fonction que de servir le devoir de mémoire. De figer la pensée sur des considérations moralisatrices, bien pensantes, j'allais dire judéo-chrétiennes ! Et je ne dis pas forcément cela de l'intention de l'auteur qui certes n'aurait pas suffi, mais aussi de tout le battage médiatique en adéquation avec les attentes du public.

Ce que l'on retient de ce roman, c'est, non pas: on aurait pu éviter cela si le traité de Versailles n'avait pas humilié l'Allemagne, par exemple - même si cela est dit parmi tant d'autres choses - mais au contraire: l'homme est capable du pire, voyez même un bon juriste peut devenir un criminel SS. Vous aussi vous auriez pu. Est-ce la fonction du roman ? ou celle des fables moralisantes à destination des bons élèves et des bons bourgeois bien sous tous rapports? Bien sûr le Goncourt est décerné quelques mois avant Noël!

Ses vues n'étaient pas originales, mais elles restaient solidement documentées et il savait les insérer dans un récit cohérent, ce qui est la première qualité de l'imaginaire historique. C'est bien sûr l'opinion du Dr Aue, mais ne serait-ce pas aussi celle de l'auteur ! Autrement dit le roman historique se doit de mettre l'histoire en image. Il illustre. !!! Mais faire revivre, au contraire, c'est tout autre chose que de débiter des fiches documentées, c'est inventer, c'est prendre des libertés, c'est apporter le point de vue de la sensualité, de l'âme, tout ce qui manque à l'étude détaillée des faits, et c'est précisément là-dessus que J Littell échoue. Exception faite de quelques belles pages.

Alors comment peut-on arriver à considérer un tel livre comme l'évènement littéraire de l’année? Tout simplement en confondant littérature et marchandise, les grands éditeurs sont comme de vieux amants qui ont mal vieilli, ils pratiquent encore l’amour mais n’ont plus la passion, de l’intérêt qu'ils portent aux livres ne restent que les biens qu’ils ont en commun, ils font fructifier leur patrimoine et soutiennent l'ordre moral. Le devoir de mémoire. La culpabilisation du bon peuple. La repentance.

Mais enfin que l'on lise la débâcle allemande de J Littell et la débâcle de Vichy vue par Céline (D'un château l'autre) et si l'on ne comprend pas de quel côté se trouve la littérature, que l'on aille vendre autre chose. Le métier d'éditeur rend un grand service à la littérature quand il fait un tri mais quand il le fait dans le sens de la pensée unique et du politiquement correct l'éditeur n'est rien d'autre qu'un marchand de soupe. Que l'on ne s'étonne pas alors qu'un jour ou l'autre le marché lui échappe pour passer du côté des puissances financières. Quand les hypermarchés et Amazon décideront de ce qui mérite le Goncourt et le Prix de l'Académie, le Goncourt sera un Bonus pour les cadeaux de Noël et le Prix de l'Académie un certificat de bonne moralité. Mais n'est-ce pas déjà le cas?

 

Penvins

Le 4/12/2006

 

Si vous tenez à comprendre ce qui s'est passé dans ces années-là lisez plutôt

Des hommes ordinaires de Christopher R. Browning

ainsi que Vichy et l'imaginaire totalitaire d'Yves Chalas ,

et si vous aimez la littérature pensez à lire et relire Céline...

 

Sur Les Bienveillantes lire aussi:

http://www.lefigaro.fr/debats/20061108.FIG000000047_les_bienveillantes_un_canular_deplace.html

http://www.telerama.fr/livres/M0608181443450.html

http://www.passiondulivre.com/livre-25204-les-bienveillantes.htm

http://passouline.blog.lemonde.fr/?name=2006_08_un_premier_roma

http://www.lefigaro.fr/litteraire/20060824.WWW000000312_l_apocalypse_selon_jonathan.html

http://books.guardian.co.uk/print/0,,329569734-99819,00.html

http://books.guardian.co.uk/print/0,,329589938-99819,00.html

la traduction de ces deux articles par Mélèze

http://www.chevenement2007.fr/Les-Bienveillantes,-un-livre-revisionniste_a94.html

http://www.lire.fr/extrait.asp/idC=50329/idR=202/idG=3

http://pierrecormary.blogspirit.com/tag/les+bienveillantes



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