Aldo Naouri, Editions Odile Jacob, 2006
mardi 26 septembre 2006 par Alice GrangerDans ce nouveau livre, de même que dans les précédents et dans sa pratique de pédiatre qu’il a inventée en écoutant les symptômes des enfants aussi bien de la place du médecin que du point de vue de l’inconscient et de la psychanalyse d’où ce rôle de « débroussailleur » qu’il se plaît à se donner, il fait un « bien étrange travail », qui « repose sur une adhésion sans réserve à la Loi de l’espèce », c’est-à-dire la Loi de l’interdit de l’inceste. Ce qui devient de plus en plus rare dans une société à dominante perverse, où les mères, croyant qu’être bonne mère c’est de faire que rien ne manque à leur enfant (ce qui profite tellement à la société de consommation qui peut si bien formater et programmer les comportements et habitudes pour les meilleurs profits économiques), ce « rien ne manque » correspondant justement à l’étymologie du mot « inceste » rappelée par Aldo Naouri, sont de plus en plus incestueuses ( en latin, un enfant « qui ne manque de rien » est dit « incestus »). Par exemple, dans « l’écrasante majorité des filles d’aujourd’hui », il y a « la mainmise de sa mère sur elle ». Alors que, depuis toujours, « il est plus difficile à une fille qu’à un fils de distendre le lien qui la lie à sa mère ».
Les adultères et les fracas qui en résultent, de même que les symptômes, ceux des enfants, ceux des mères, ceux des pères, ceux des femmes, ceux des hommes, invitent toujours à orienter l’écoute vers le repérage du « point où dans son histoire a pu intervenir une contravention à la Loi ». Lorsque, dans un couple, un homme, ou une femme, prennent un autre embranchement, commettent l’adultère, il s’agit toujours d’une voie régressive, d’un retour à la mère, comme si, d’après la métaphore utilisée par Aldo Naouri, des parties du circuit électrique pour la pulsion n’avaient jamais été déconnectées alors qu’elles auraient dû l’être, de sorte que demeure la possibilité de revenir en arrière, par exemple à l’infini pour un « homme à femmes » qui, avec chacune d’elles, vérifie qu’il peut retrouver sa mère. Dans une sorte de confusion des générations. Alors que la Loi au contraire inscrit la différence des générations, fait prendre conscience de la vectorisation d’un temps.
Par son livre, Aldo Naouri veut nous faire entendre, notamment en nous parlant de cas précis, comme il sait si bien le faire, car il a toujours su si bien écouter, que nous sommes malgré toutes les avancées techniques de notre société encore englués dans une régressive, archaïque, façon de faire, nous ne sommes pas dégagés de ça, bien au contraire.
Livre sur les « Adultères », mais qui, une fois de plus, parlent des enfants, car évidemment ces adultères sont déterminés par l’enfance, par les histoires respectives, par la façon dont les deux protagonistes du couple se sont ou non séparés de leur mère et de leur période œdipienne.
Aldo Naouri scrute donc, dans les histoires qu’il aime tant recueillir, détails après détails, la contravention à la Loi d’interdit de l’inceste. Il constate le malmenage presque systématique et de plus en plus de cette Loi, il se demande pourquoi elle est aussi fragile. Sa réponse est : « C’est la relation de toute mère à son enfant » . Une relation « qui prête le flanc...à une dérive incestueuse ». Y a-t-il en effet encore des mères qui ne rêve pas que son enfant ne manque de rien ? Cette préoccupation, écrit Aldo Naouri, est indispensable à l’enfant dans les premières semaines de la vie, mais elle est nuisible assez vite aussi bien à cet enfant qu’au couple parental. « J’ai passé mon temps à tenter de tempérer la passion que les parents développent pour un enfant surinvesti parce que fait, aujourd’hui, quand ils le veulent et avec qui ils veulent. ». A propos du père, stupide est la « promotion de sa version mère bis. »
Si Aldo Naouri, dans ce livre sur les adultères, parle aussi tellement des enfants, c’est parce qu’il voit à long terme, et non pas à court terme. La raison des adultères se trouve dans cette enfance. Et « La plupart des parents font aujourd’hui des enfants pour le plaisir narcissique qu’ils escomptent en tirer. » Les adultères cherchent à faire taire la dimension adulte de l’existence. Dans cette dimension adulte, la fidélité, qui exige une construction de chaque jour dans la conscience de l’impossibilité du retour en arrière et l’admission de l’autre dans l’ouverture d’une sorte de sevrage, reste encore à raconter, comme si soudain l’unique possibilité de retrouvailles avec quelque chose d’irrenonçable était portée et apportée par l’autre reconnu pour la vie depuis l’infini du passé. Il n’y a pas d’autre possibilité que celle-là, certitude qu’il n’y en a pas d’autre, aussi bien dans les mariages arrangés d’autrefois que dans les mariages d’inclinaison d’aujourd’hui, pareil, c’est avec cet autre que je vais retrouver, dans la sensation de cet autre. Et ça, ce n’est pas si facile, ce n’est pas facile d’avoir cette sensation de l’autre, de sortir des sensations qui ont cherché à saturer notre corps et surtout notre tête.
Dans ce livre sur les adultères, la place de la mère est centrale. La mère incestueuse. Donc la mère qui veut que rien ne manque à son enfant. Aldo Naouri écrit : « aucune mère ne peut spontanément mettre un frein à sa propension » incestueuse. C’est une assertion qui, d’après moi, exige un développement, dans la mesure même où elle semble trop aller de soi...Il y aurait cette instance qui, c’est plus fort qu’elle, ne peut faire autrement que tisser de l’utérus virtuel autour de son enfant, qui ne penserait qu’à ça, avec passion, faisant du coup très peur à son enfant, peur de son pouvoir de tout lui retirer puisqu’elle a celui de tout lui donner, ceci pour le garçon comme pour la fille, ensuite ce garçon va entreprendre de séduire sa mère pour être sûr qu’elle va le garder, il sera son phallus, donc il aura moins peur d’elle, qu’elle puisse ne plus l’aimer, et la fille finira, dans sa stratégie, par se tourner vers le père, elle va le séduire, mais ce faisant elle aura de nouveau peur de sa mère à laquelle elle tente de prendre son homme. Le garçon séduisant sa mère va avoir peur d’être castré par son père. La fille séduisant son père va avoir peur que sa mère...ne l’aime plus parce qu’elle s’est posée en rivale auprès du père. Temps de latence, puis, à l’adolescence, violents chamboulements, où le garçon va espérer la rencontre d’une fille qui ressemblera à sa mère : donc dans l’affaire cette mère, comme « première », reste intacte, la fille sera « deuxième » ! La fille, s’identifiant à sa mère, va espérer la rencontre d’un garçon qui ressemblera à son père, et ainsi elle va pouvoir s’emboîter dans la mère comme les poupées russes, de générations en générations. Dans cet enchaînement logique, rappelé par Aldo Naouri, vraiment l’instance maternelle reste centrale ! Jamais attaquée ! Jamais vouée...à l’apoptose ! Un postulat, il semble : jamais une fille, finalement, n’échappe à la mère. Elle y revient toujours. Et dans l’adultère, n’y aurait-il pas ça qui cloche, en fin de compte ? Si une fille, dans le système d’emboîtement comme des poupées russes, finit toujours par revenir dans sa mère...à elle, comme si elle devait toujours encore et encore finir sa gestation, alors comment peut-elle vraiment se présenter à un homme comme lui signifiant le sevrage d’avec sa mère à lui ? Cet homme, on imagine que, constatant que cette femme retourne à sa mère, spécialement lorsqu’elle commence l’aventure de la maternité, pour que celle-ci lui enseigne comment bien faire, alibi pour l’avoir à nouveau en elle, il va lui-même revenir vers sa propre mère à travers des adultères, et viceversa, chacun des protagonistes n’en finissant pas d’être enfermé dans sa propre histoire, dans sa propre...matrice se tissant sur plusieurs générations.
Donc, j’insiste sur ce dire d’Aldo Naouri : aucune mère ne peut mettre un frein spontanément à sa propension incestueuse. Après l’exploit d’avoir donné la vie « à un être qui a fait d’elle, en toute innocence, le centre de son monde », elle ne va pas reculer devant « un tel privilège ». « Elle dispose à portée d’elle de l’être qui va pouvoir enfin, dans le statut nouveau auquel elle accède, demeurer infiniment attaché à elle, la consoler, compenser ses frustrations, la venger de toutes les humiliations et l’installer dans la puissance qui lui avait été refusée jusque-là...on retrouve...la notion de phallus...elle va tisser autour de lui, comme un véritable fourreau, un utérus virtuel extensible à l’infini dans lequel elle va l’enfermer sa vie durant. » Bien. Voici UNE femme qui devient mère, qui, au cours de la gestation, transmet UNE histoire à son fœtus, et lorsque l’enfant naît, pour la première fois il ouvre les yeux, et par la vue il reconnaît sa mère qu’il connaît déjà si bien dans les sensations intra-matricielles. Donc, après la naissance, ça continuerait...comme si cette mère avait toujours à sa disposition cette matrice, à mettre tout autour de son enfant né, ceci pour toute sa vie, et quelle puissance pour cette mère, non ? Mais enfin, d’où la tire-t-elle, cette matrice, cette mère ? La matrice, à la naissance, elle se décompose. Sa destruction avait été programmée. Tout ce qui entourait l’embryon puis le fœtus, ce placenta véritable tricotage de deux parties hétérogènes, se décolle et se détruit lorsque le fruit, l’enfant, est tiré de là. C’est incroyable de continuer, pourtant, de parler d’utérus virtuel, de matrice, comme si, nulle part, n’était inscrit cet événement de la destruction placentaire, de la mort de ce tissu spécial en lequel la mère s’incarnait totale ! Cela, c’est bizarre ! Qu’aucune femme, une fois son enfant sorti encore plus de cette matrice que d’elle, n’ait une conscience aiguë et définitive que c’est décomposé, que, finalement, elle n’était pas propriétaire pour l’éternité de cette matrice au pouvoir total, et à la naissance elle ne l’a plus. Cela, ce n’est pas raconté. Au lieu de cela, Aldo Naouri parle de la rétivité des femmes à la Loi. Curieux... Et puis, aussi, le mutisme des femmes. On n’arrive jamais à savoir...Leur jouissance... C’est très mystérieux. Lacan les suppliait, pour qu’elles en disent plus. En vain...
J’aime beaucoup, surtout avec Aldo Naouri, venir par surprise jumeler mon écriture à celle de l’écrivain que je lis. Avec Aldo Naouri, le plaisir est encore plus grand. Un ami m’a dit il y a quelques jours, as-tu lu cet été dans le journal Le Monde la chronique de ton « chouchou » Aldo Naouri ? J’ai dit oui en éclatant de rire...En le lisant, j’imagine qu’il est en train d’écrire ce que je lis, et moi je me glisse avec ma plume sur sa page, je dis coucou je suis là, j’ajoute des phrases, c’est un jeu, j’écris c’est quand bizarre ces mères qui ne renoncent jamais spontanément à leur propension incestueuse, très bizarre, vraiment. Et lui, il me regarde, pas vraiment étonné, non, que je me sois approchée sans faire de bruit, simplement, comment dire, il est comme un père qui saurait qu’il a une fille quelque part, mais surtout il ne faut pas s’en soucier, elle existe, tout simplement, lui, c’est un père qui a des enfants, des filles, des garçons, visibles, il s’en est occupé comme il dit, en inscrivant cette fameuse Loi de l’Interdit de l’inceste, vu que du danger de l’inceste, il y en avait en puissance, si c’est vrai que les mères, même à les sevrer en apparence de leurs petits, elles ne renoncent jamais, par-delà leur mari et amant retrouvé pour remédier à la perte. Il y a une fille qui surgit, comme ça, de l’invisible, ce n’est pas une fille dont le père s’occupe, enfin disons que, dans cette dimension du transfert bien sûr, c’est un père qui se distingue d’un père habituel, d’un père convenu, d’un père qui déploie son inscription de la Loi sur une certitude incestueuse dont on peut se demander d’où elle vient et qui la certifie. Surpris la première fois, certes, ce père qui diffère du père par exemple décrit dans ce livre, d’apprendre l’existence de ce genre de fille, qui surgit de l’invisible pour ajouter quelque chose d’autre à ce qu’il écrit, voilà je suggère qu’en vérité je trouve que cela ne va pas de soi, cet utérus virtuel, cette matrice, qu’une femme devenue mère aurait le pouvoir de tisser autour de son enfant né pour qu’il ne manque de rien, pour se le remettre dedans, pour toujours. Et pourquoi, ajouterait cette fille venue de l’invisible sur la page où écrit ce père qui se distingue du père, une femme qui a mis au monde son enfant ne serait-elle pas confrontée à l’impossibilité de retrouver cette matrice où remettre dedans son enfant ? Pourquoi cela ne pourrait-il pas être ainsi ? Cet autre genre de père ne pourrait-il pas se distinguer comme avalisant cette vérité d’une perte auprès d’une femme de laquelle un enfant est né ? Et pourquoi ne pourrait-il pas y avoir de fille qui n’aurait plus besoin qu’une mère la remette dans son ventre pour n’en plus finir de terminer sa gestation ? Coucou ! Il y a quand même bien un père qui n’est plus fasciné par ce « mystère » de la mère dont la matrice n’est jamais tombée en apoptose ! Qui ne cautionne plus ça ! Il existe, ou il n’existe pas, ce genre de père ? Et cette Loi, n’interdit-elle l’inceste que pour mieux le certifier comme l’origine de tout ? Ces femmes, si mutiques, sont-elles si passionnément accrochées comme à un doudou à cette matrice malignement éternisée qui les fait si puissantes, si mystérieuses, et si paranos ? Coucou, voilà, j’ajoute sur la page, avec ma plume : c’est le père, enfin le père normal, celui qui, dans la cellule familiale s’occupe bien de ses enfants, et de sa femme qu’il dispute à ses enfants pour bien leur faire entrer dans la tête qu’elle a, certes, une matrice éternelle dont elle jouit et à jouir, mais c’est à lui, désolé les petits je ferme la porte de la chambre à coucher, qui l’invente, qui la certifie, qui lui donne chair, à cette mère incestueuse. C’est lui-même, par la parole inscrivant l’Interdit, qui certifie que le lieu charnel du « rien ne manque » existe. C’est ce père qui fait, littéralement, ce genre de mère. Et ensuite, cette mère susurre à sa fille, de générations en générations, voilà, tu peux revenir en symbiose en moi par l’homme qui te certifiera en mère, en ce mystère-là.
Certes, comme le rappelle si bien Aldo Naouri, le fœtus commence son expérience sensorielle dans le ventre de sa mère, il a un grand nombre de stimulis qui s’inscrivent dans son cerveau, elle lui transmet une histoire, certes il y a là quelque chose d’inoubliable et d’unique qui va définir la trame d’une fidélité, jamais plus ensuite, dehors, ce ne sera ainsi, et les traces qu’il en garde vont pouvoir jouer et se tricoter avec de nouvelles sensations, de nouvelles expériences. Même au temps de la prématurité des premiers mois, est-ce sûr que ce nouveau-né vit les soins qui lui sont apportés comme si c’étaient des soins encore matriciels ? C’est une question. On peut le mettre en couveuse. Mais c’est un dedans qui n’est plus un dedans. Le placenta, ça se tisse comme ça, c’est quelque chose qui se passe à l’intérieur de l’utérus, et dans quelle mesure une femme en état de grossesse est-elle sûre que cette chair qui se tricote avec une autre chair hétérogène est vraiment la sienne en terme de propriété, cela se fait peut-être malgré elle, elle prend acte que ceci se fait en elle, elle tolère quelque chose qu’elle ne devrait pas tolérer, elle le tolère parce qu’il y va de la continuation de la vie, de l’espèce, mais en même temps, ça la prend comme ce n’est pas permis, ça se passe en elle, elle a prêté son corps, elle sera ensuite, à terme, quitte par rapport à cette espèce assurée par elle de se poursuivre. On pourrait voir les choses ainsi. Pas du tout dans cette passion maligne, cancéreuse, de la chair. Pas dans la folie de cette appropriation de cette chair provisoire et vouée, à terme, à l’apoptose. Une fille s’approche, dit à un père qui ne pensait pas, ça non, qu’il pourrait être un père comme ça, moi je ne suis pas remise dans la mère, non, moi, ma mère elle me regarde comme finie, allez, dehors ! Assez de devoir remettre en gestation une fille, assez, assez de devoir toujours en remettre une couche, de gestation, et ainsi, de sa la chouchouter, cette fille, se l’emboîter dedans. C’est bien d’un garçon, de croire qu’une mère matricielle, ça continue d’exister après la naissance !
Aldo Naouri écrit : « La voie pulsionnelle de l’adultère, chez les hommes comme chez les femmes, ne serait-elle pas alors la réponse tardive à la voie pulsionnelle dont la mère aura usé sans modération et sans régulation avec son petit enfant ? » En miroir par rapport à cette « voie pulsionnelle » dont la mère est portée à en user sans modération et sans régulation, heureusement, heureusement, il y a le père, lui c’est le modérateur, c’est le régulateur, et comment fait-il ? Et bien c’est simple, cette mère si « dangereuse », si incestueuse, il se la garde pour lui...
Il y a une autre phrase écrite par Aldo Naouri qui est curieuse : « La mère va être le premier objet d’amour, et c’est sur la matrice de cet amour que, quoi qu’il veuille ou fasse et quel que soit son sexe, chacun est condamné (c’est moi qui souligne) à construire l’intégralité de ses amours ultérieurs. » Déjà, il y a « la matrice de cet amour ». Cela ne va pas de soi que ce soit une matrice. C’est peut-être un abus de pouvoir, que d’imposer ces soins intensifs au nouveau-né comme une matrice, alors que cette matrice, elle s’est décomposée, elle a été enlevée, il y a eu la séparation. C’est abusif, de parler de matrice, ce n’est pas une matrice, c’est autre chose. Comme le proposait Françoise Dolto, on peut élever les enfants de manière mercenaire, par des nourrices, et le nouveau-né ne reconnaîtra en elles ni l’odeur ni la voix de cette mère telle qu’elles lui parvenaient dans le ventre, et alors, ces enfants, s’ils ne manquent pas de soins attentifs à ce que cette vie nouvelle puisse advenir sur terre, vont-ils tant que ça être à jamais, les pauvres, marqués de n’avoir pas retrouvé charnellement leur mère ? Ce qui compte, n’est-ce pas le désir qu’une vie nouvelle représente la continuité de l’aventure humaine ? Et ce dont le nouveau-né a besoin, n’est-ce pas de ce désir-là ? Donc, beaucoup moins quelque chose de narcissique venant des parents ? Ensuite, il y a le mot condamné... ! Curieux, que ce soit une...condamnation. Un amour pour la mère...qui condamne...
Ensuite, il y a quelque chose que j’ai trouvé sublime, dans ce livre. Aldo Naouri parle de sa « manie » de nettoyer ses lunettes, et même...celles des autres. A cause de cette histoire d’opacité, qui le gêne beaucoup, lui qui, depuis ce traumatisme advenu dans son enfance, lorsqu’il dut quitter sa Libye natale pour l’Algérie française, subissant un déracinement culturel violent, ne comprenant pas cette nouvelle langue, le français, était forcé de regarder intensément les gens pour essayer de savoir ce qu’ils disaient, au rythme de son apprentissage de la nouvelle langue. C’était important qu’aucune opacité ne vienne l’empêcher de bien voir le visage parlant des gens. Or, cette langue étrangère, le français, lui et ses frères et sœurs eurent l’extrême surprise d’apprendre de leur veuve (c’est moi qui souligne) de mère en connaissait quelques mots, qui lui restaient de son passage, à quatre ans, dans une école maternelle de Libye. Et cette mère de dire : « Mêmêouassimêmê, éassindoua, mêmêssidou, mêmêssitoua, sississidoudou, sissiésoutoua ». Les enfants veulent savoir ce que ces mots signifient. Mais là, cette veuve de mère, elle sait prononcer des mots de la langue étrangère, elle présente la langue étrangère, la langue non maternelle, à ses enfants, elle qui en a eu pour elle-même le contact, mais elle ne va pas plus loin, elle ne sait pas ce que ces mots veulent dire, en somme, ces mots de la nouvelle langue, de la langue du pays où ses enfants déracinés (ou nés) vont devoir vivre, elle ne peut pas en dire plus, elle, la veuve de mère, elle ne peut pas mettre ces mots de français dans un biberon à donner à téter à ses enfants. A eux de se débrouiller...Elle, elle les a amenés jusqu’au seuil de cette langue non maternelle. Elle a prononcé les premiers mots, ceux qu’elle a mémorisé toute petite fille, la ramenant, elle, à son expérience de petite fille confrontée à une autre langue, amenant ses enfants jusqu’à l’ouverture de cette autre vie symbolisée par cet autre langage, cette langue, le français, donnant de manière non incestueuse ce qu’elle n’a pas. Ensuite, le jeune Aldo cherche en vain à reconnaître les mots prononcés par sa mère dans la bouche des gens qui parlent le français. Jamais il ne les retrouve. Alors, immensément déçu, il pense que sa mère lui a menti. On dirait qu’il ne s’en remet pas. Alors qu’il avait été si fier d’apprendre que cette mère parlait déjà, un peu, en Libye, dans le pays de la langue maternelle donc, cette autre langue, celle du déracinement. Longtemps après, devenu père, Aldo Naouri a une sacrée surprise avec son fils. Celui-ci, au petit-déjeuner amoureusement préparé par sa mère, et sous l’œil attendri de ses deux parents, se met à dire une comptine qu’il vient d’apprendre à la maternelle : « Ma main, voici ma main ; elle a cinq doigts ; en voici deux, en voici trois ; si ceux-ci sont deux, ceux-ci sont trois ». C’étaient les mots de la mère d’Aldo Naouri ! Celui-ci se mit à rire, à rire, avec un soulagement énorme ! Sa mère ne lui avait pas menti ! Elle aussi, comme redevenue petite fille à la maternelle, avait récité à ses enfants sa comptine ! Sans savoir qu’elle était redevenu petite fille par ces mots !
Finalement, les adultères, bien sûr Aldo Naouri en parle beaucoup, à travers les histoires qu’il a écoutées, en s’interrogeant s’ils surviennent parce que la satisfaction sexuelle est en cause avec le conjoint, en mettant l’accent sur les histoires dans lesquelles chacun se trouve pris, sur la répétition et la régression qui s’effectuent avec ces aventures, mais, parce qu’il l’a abordée à travers sa pratique de pédiatre, la question incestueuse finit pas s’imposer au cœur du problème. Si bien que la fidélité se détache, pas vraiment traitée dans ce livre, comme quelque chose qui ne combine pas avec cet inceste...
Voilà. Vous aurez deviné que j’ai lu avec beaucoup de plaisir ce nouveau livre d’Aldo Naouri, qui, comme toujours, nous fait de manière forte et sublime nous interroger, à travers les enfants et leurs parents, sur le monde d’aujourd’hui, à propos duquel on ne pourra jamais lui reprocher une complicité laxiste.
Alice Granger Guitard
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