mercredi 14 juillet 2010 par Florent Cosandey
POL, 2010
Profondément humain et engagé, La Centrale se fait l’écho glacé d’un monde du travail de plus en
plus déshumanisé. Ce premier roman d’Elisabeth Filhol plonge le lecteur dans l’univers
affolant du nucléaire et de ses dangers de contamination radioactive. Beaucoup
plus qu’un simple brûlot écologiste, La Centrale
décrit de façon abrupte les conditions de travail des intérimaires affectés au
nettoyage des réacteurs des monstres de béton. Chaque été, des travailleurs
«jetables» vont de centrale en centrale pour essayer de décrocher de vulgaires
CDD. Le travail est exténuant et met en danger la santé de ceux qui l’effectuent.
Dans le monde impitoyable du neutron, le risque de contamination est en effet grand,
malgré des mesures de sécurité drastiques. La plus grande crainte de ce
prolétariat de l’atome, c’est d’atteindre la dose de radioactivité tolérable,
ce qui signifie repos forcé: «Ce que chacun
vient vendre, c’est ça, vingt millisieverts, la dose maximale d’irradiation
autorisée sur douze mois glissants», constate l’un deux.
Pour cette chair à neutrons, le plus important est
de pouvoir travailler, même si c’est pour récolter les miettes des profits
réalisés par de puissants groupes. Ces précaires préfèrent ouvertement risquer leur
peau en livrant leur corps aux rayonnements que de devoir s’inscrire au chômage.
Car contrairement à d’autres secteurs, des jobs peuvent être décrochés dans le
nucléaire et permettre de surnager financièrement. «Effectivement, c’est dangereux, mais il faut bien le faire, et quand
on accepte ce genre de contrat, des missions on en trouve partout», reconnaît
le narrateur. Néanmoins, le travail se fait avec une résignation étonnante et
dans une ambiance pesante. L’auteure utilise d’ailleurs une métaphore forte lorsqu’elle
compare les équipes d’ouvriers à une armée contrainte d’aller se poster sur les
lignes ennemies: «Comme en première ligne
à la sortie des tranchées, celui qui tombe est remplacé immédiatement.»
En présentant avec beaucoup de sensibilité ce monde
de l’ombre, Elisabeth Filhol se fait la porte-parole de sans-grades qui subissent
un stress hors norme généré par «la gestion de la dose» et vivent dans une
précarité alarmante (travail saisonnier, en 3 fois 8, etc.). La force de La Centrale réside tant dans la
description précise et minutieuse du déroulement des différentes opérations
techniques que dans sa faculté à rendre perceptible le statut peu enviable de
ces travailleurs qui, s’ils le pouvaient, feraient tous autre chose. D’ailleurs,
certains s’effondrent psychiquement et quittent les rangs. Voire se suicident. Soit
autant de phénomènes largement sous-estimés par l’Etat et les entreprises, pour
qui comptent prioritairement les indicateurs purement économiques.
Florent Cosandey, 13 juillet 2010
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