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Chronique vénitienne, Marcelin Pleynet

Editions Gallimard, collection L’Infini, 2010

samedi 10 avril 2010 par Alice Granger

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Que Marcelin Pleynet vive de l’autre côté, je l’ai senti il y a très longtemps, en 1980, lorsque Philippe Sollers, qui m’avait donné rendez-vous dans le bureau de la revue Tel Quel, me le présenta. Il m’a donné la sensation d’un être d’une exquise douceur et discrétion, d’une qualité de silence non commune à mon oreille habituée à écouter le silence depuis l’enfance. Après m’avoir serré la main avec un sourire élégant, il glissa littéralement hors du bureau, nous laissant seuls Philippe Sollers et moi. Attention, tact, élégance, silence, glissement ailleurs. Je ne l’ai pas oublié. Même si j’ai eu l’air depuis de ne voir que Sollers un vrai soleil éblouissant, et pas ce poète silencieux à côté fidèlement.

Si Marcelin Pleynet, dans ce roman, évoque l’accident vasculaire dont il a été victime, où « la vie se joue en une fraction de seconde », ainsi que la résurrection, on entend aussi que cette résurrection donc cette chute cela fait très longtemps qu’elles se jouent. Cet homme renfermé, silencieux, derrière, on se dit qu’il a compris bien avant tout le monde qu’il faut la tombe pour pouvoir en ressusciter… ! D’une certaine manière, le brillant Sollers n’en serait-il pas le révélateur ? Venir à ce point se mettre à l’ombre de la lumière « sollers », il faut saisir au quart de tour l’occurrence, non ? Se dire qu’un être aussi solaire est seul capable d’offrir l’ombre bienheureuse. Dans ce roman, je lis qu’une amitié et une collaboration aussi longue et fidèle est ce qui a le mieux convenu au goût du retrait de Marcelin Pleynet, que ces deux-là se sont reconnus au quart de tour, que le dispositif à Tel Quel puis à L’Infini équivaut à cette phrase de l’Apocalypse de Jean placée en exergue du livre : « Voici, j’ai ouvert devant toi une porte que nul ne peut fermer. » Au « point de non-retour. » A Venise, ce n’est pas seulement Nietzsche lecteur de Hölderlin qui est « comme une figure sainte qui m’accompagne et se tourne vers moi avec cette voix unique », c’est aussi Philippe Sollers, et on dirait en effet qu’ils forment à travers leurs pages sur Venise un couple de jumeaux très en résonance et complicité à propos de cette ville des amants. Unique proximité du même. « J’ai toujours vécu comme un survivant » écrit Pleynet. J’ai envie d’ajouter : comme un ressuscitant ! Tandis que « La technique nous domine et nous assombrit. » « Ma chance. J’ai été cet enfant silencieux et que l’on disait renfermé. » Mais le renfermement devint infini dans l’ombre du docteur Subtil Sollers ! Pleynet peut s’attarder à l’infini « dans la méditation d’une belle et bien calme solitude. »

« LORSQU’EN 1962, SOLLERS ME SUGGERE DE DEVENIR SECRETAIRE DE REDACTION ET DIRECTEUR GERANT DE LA REVUE, J’ABANDONNE TOUT AUTRE PROJET./ C’EST DE LOIN CE QUI, LE PLUS CERTAINEMENT, M’ASSURE UNE INESPEREE (OU TROP ESPEREE – MAIS JAMAIS TROP) LIBERTE DE CREATION ET DE MOUVEMENT… » Voilà la porte ouverte que plus personne ne peut refermer. L’infini, nul doute que Marcelin Pleynet le sent et le voit dans l’ouverture, puisqu’il dit qu’il est un visuel, et on entend visuel comme le nouveau-né voit pour la première fois la lumière, yeux qui s’ouvrent sur Venise la Sérénissime, cette première fois qui s’éternise, une poésie qui est en avant, ah ! la nouvelle science du cœur ! Invisible, le poète Marcelin Pleynet ouvre ses yeux naissant sur le dehors qui est Venise, dans le sillage d’un franchissement à travers une région inconnue, non balisée, incertaine, sans aucune route tracée.

Marcelin Pleynet va à Venise pour le tournage d’un film à propos de la Vita Nova de Dante. Les femmes ont d’amour intelligence, bien sûr. Et Pleynet, ainsi que Sollers, font partie des Fidèles d’amour, depuis longtemps ils dialoguent. « Venise : théâtre de naissance. » A quel point Pleynet (il joue sur son nom : plaît né, ou play né) naît, ainsi que Sollers, à quel point Venise est la terre sur laquelle les yeux s’ouvrent à la naissance, et, pour que cette naissance soit vraie, à quel point les femmes doivent avoir d’amour intelligence, pour cette Vita Nova, cette Vie Nouvelle !

« Venise est la ville la moins protestante que je connaisse. Il y a un ‘catholicos’… une universalité de l’intelligence sensible vénitienne…) L’intelligence sensible sent vraiment le dehors auquel la naissance donne accès à l’infini, la vérité de cette terre où vivre s’aborde avec le déploiement des sens à partir des yeux qui s’ouvrent à la lumière, aux couleurs, aux mouvements, aux personnages, et alors imaginons le chérubin à Venise donné à tant de merveilles, où la mémoire s’épanouit à partir de l’oubli (déchirure et chute par le trou de la naissance) avec la vérité tangible des joyaux du dehors accueillant. La vérité : alêtheia. « … étroite solidarité d’Alétheia et de Mémoire. » Il arrive qu’une femme ayant d’amour intelligence bataille pour la vérité dans un art de la guerre subtil et s’appelle Alitheia Belisama… Alétheia devient Alitheia pour l’inventer, ce pays des merveilles… après être tombée dans un trou où une reine veut lui couper la tête…

« … il sort de son état comateux et retrouve la faculté de rire… » « J’ai toujours été dans les choses tellement… » Dehors ! « Il y aura toujours en moi quelque chose qui sera en éveil du côté de l’infini. »A Venise, « A tout moment surgit, au détour du chemin, que j’emprunte, une vision nouvelle… » Vivre dans cette disposition d’esprit, c’est extraordinaire et rarissime, non ? « Venise est une cité dont il faut savoir prendre en considération les intrigues et dispositions singulières. » « … invitation chaleureuse et équilibrée… au partage sensuel et musical du temps, très singulièrement fictionnel… vénitien… » Cette invitation, ce partage sensuel : entendre cela de la part de Sollers à Pleynet, voir aussi la figure de Saint Christophe portant le corps lourd du Christ, et cette librairie à Venise, ‘Aqua Alta’, où il y a beaucoup de livres de Sollers.

« Cette présence à moi-même, vivant de l’autre côté ? »

« Pound a une conscience aiguë de la puissance de la poésie. » Les yeux naissant s’ouvrent sur une terre poétique. Les quatre saisons. Vivaldi. Communion des saints : de l’autre côté (par rapport à la vie matricielle), il y a communion par la sensation naissante, par l’épanouissement infini des sens sur les merveilles de la terre, communion parce qu’aucun des humains, dès lors qu’ils ont la sensation vertigineuse d’être nés, d’être donc tombés d’abord dans un trou tourbillonnant, n’est exclu. « C’est un conte fabuleux de la nature, de sa vivacité, de son intelligence… » « On s’embarque sur l’étendue. On s’y perd. On n’en revient pas. On s’embarque sur les siècles du bleu étendu. » « L’étendue est cette simplicité qui triomphe somptueusement dans la lumière. » Simplicité ! « L’homme habite poétiquement… s’il est poétiquement habité de quelque conversation sacrée… J’héberge un hôte que je ne dois pas décevoir. » Conversation sacrée entre Pleynet et Sollers. Finesse ! Je est un autre. Au commencement est la parole.

« Libre… le corps en situation de liberté libre et musicale…)

Lautréamont : « Je ne connais pas d’autre grâce que celle d’être né. »

« Voyelles », de Rimbaud : Je dirai quelque jour vos naissances latentes…

« Je suis à Venise dans l’ouverture ponctuelle et toujours présente d’une échappée du temps. » « Le style doit vivre. » La nécessité de ressentir. « C’est ma nature… je suis attendu. »

Pour conclure ce très beau livre : « Etant donné l’état du monde, l’activité du poète est forcément révolutionnaire. »

Alice Granger Guitard
Alitheia Belisama (nom de plume)



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