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La petite fille qui aimait trop les allumettes - Gaétan Soucy.
mardi 10 mars 2009 par Calciolari

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Montréal, Éditions Boréal, 1998 ; éd. Points Seuil, 2000, pp. 180, € 6

La voix des personnages de Gaétan Soucy, écrivain né à Montréal, nous l’avons déjà entendue dans les romans de Réjean Ducharme, auteur québécois de plusieurs romans chez Gallimard, presque inconnu en Italie, où il a été traduit en 1972 L’avalée des avalés, et puis plus rien. C’est la voix absolue des enfants, des adolescents, des femmes et des hommes qui vivent collés au réel d’une façon presque psychotique. Mais il y a cette petite musique dans la narration qui vient encore de plus de loin, celle de Céline, en particulier celle du Voyage au bout de la nuit.

Étant donné que l’on cherche toujours à lire les romans québécois comme métaphore de la question du Québec (c’est aussi la lecture de Pierre Lepape dans la présentation de l’édition à notre disposition, bien qu’il signale que le roman de Soucy ne respecte pas le type du roman québécois correct), il faudrait se questionner sur le succès au Québec de la méthode littéraire de Céline. En passant, nous citons l’autre grande tradition littéraire du Québec, celle d’Hubert Aquin, apparemment plus proche des classiques européens.

Entre parenthèses : pourquoi Gaétan Soucy est-il traduit en italien et non les maîtres Aquin et Ducharme ?

Cela dit, Gaétan Soucy avec La petite fille qui aimait trop les allumettes a écrit un chef d’œuvre. Et il ne doit plus rien à Ducharme, dans le sens qu’il en restitue en qualité d’invention la leçon, comme le même Ducharme ne doit plus rien à Céline, parce que ses œuvres sont aussi une restitution en qualité de la leçon de Céline. Nous disons que le problème vient de ceux qui prennent sans citer, sans rendre en qualité, tout en tenant la petite quantité soustraite au maître. Et chez eux la quantité n’a plus rien à voir avec la qualité du maître.

La petite fille qui aimait trop les allumettes est un récit absolu, une fable sublime et terrible, où Gaétan Soucy invente sa langue tout en inventant la langue de la voix du personnage qui parle à la première personne. Une voix fraîche comme l’eau d’un ruisseau, armée d’un langage brut et érudit, sereinement indécent, formée sans école mais avec une grande bibliothèque à la maison, qui est presque une grande demeure.

Deux adolescents se retrouvent livrés à eux-mêmes après la mort de leur père. Mais quels ados et quel père ! Deux jumeaux, ou trois. C’est un lui qui parle, mais il est une « elle », une fille transformée en fils par le père. Le frère est presqu’un singe tout pris par la manipulation de sa « saucisse ». Le père était un père-patron, richissime, écrasé par le poids d’un vide indicible.

Les deux grands enfants sauvages au réveil d’un jour doivent prendre l’univers en mains, mais le réel fantastique s’écroule sous l’irruption de la réalité, qui est définie par le social, le village qui quelque part existe, avec le prêtre, le maire, les fonctionnaires, les bonnes femmes. Justement, et par exemple, pour lui-elle qui parle, il y a seulement putes et saintes-vierges (« mais la nuance est infime »). La transmission du savoir du père achoppera contre une autre vie.

Ne pouvant pas raconter l’histoire du livre, parce que le récit est bâti sur la découverte ligne par ligne d’une histoire surprenante, avec un horrible secret, nous remarquons certains topoï du roman : les enfants sauvages comme le Kaspar Haüser, le presque rien qui devient la cause de tout, une sorte de mixité entre Don Quichotte et Bouvard et Pécuchet côté livres, la vraie vie « psychotique » face à la vie normale et morne de tous (aussi très exploité par le cinéma américain), la douleur sans remède, la décision de sortir du consortium humain (comme dans la fin de Lolita de Nabokov)…

La force de Gaétan Soucy est celle de faire tenir ensemble toute cette matière (qui fait dire à certains critiques qu’il s’agit d’un mythe métaphysique ou d’un thriller hors classe) avec légèreté et sans que rien de sa formation culturelle (physique, littérature, philosophie) ne pèse dans le récit.

Oui, le succès de Gaétan Soucy fait partie de la globalisation, la bonne, pas celle des oligarchies mondiales : il est possible à un écrivain aux marges de l’empire (en pire) de réussir comme au centre, qui d’ailleurs est vide.



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