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Un psychanalyste anthropologue à l’écoute de la désorientation adolescente.
lundi 2 février 2009 par Mariane Perruche

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De l’Adolescence errante. Variations sur les non-lieux de nos modernités

Olivier Douville, Pleins Feux, Nantes 2008, 60 pages, 8 €.

Voilà un livre qui élargit notre horizon : ce n’est pas seulement dans un cabinet parisien qu’Olivier Douville reçoit ses patients. Depuis de longues années il multiplie également les interventions au Sénégal, Mali et Congo, en collaboration avec le Samu Social international dirigé par Xavier Emmanuelli. Fort de son expérience de clinicien « itinérant » avec de jeunes errants sur le continent africain, victimes des guerres et des massacres, Olivier Douville forge le matériau de son livre qui vient d’obtenir le prix Œdipe 2008.

L’auteur, qui se définit lui-même comme un « clinicien adossé à la psychanalyse et à l’anthropologie », travaille depuis longtemps sur le terrain, tant en France qu’en Afrique de l’Ouest, à la rencontre d’adolescents dont le principal symptôme est « le désordre de l’orientation des corps dans les espaces publics ». Cette désorientation qui les mène jusqu’à l’errance s’accompagne de troubles de la subjectivation et affecte gravement leurs liens sociaux ainsi que leur rapport au discours. C’est là qu’intervient le regard de l’anthropologue : Olivier Douville va faire de cette pathologie adolescente le symptôme même de notre modernité, ici caractérisée par une « mélancolisation du lien social ». Ce livre n’est donc pas seulement un livre de plus sur l’adolescence : c’est également un essai sur le sujet moderne et son rapport au monde, marqué essentiellement par la désertion du politique du devant de la scène, désertion qui entraîne des maladies de l’identité. Le travail d’Olivier Douville relève donc de l’anthropologie clinique dans la plus pure tradition freudienne. On pense ici au Freud de « Malaise dans la culture ». Même hauteur de vue qui nous offre le précipité et la décantation de longues années de pratique avec des adolescents sous la forme, osons le mot, d’une spéculation ou d’un rêve. Rêve qui mène l’auteur à adopter ce fameux « regard d’en haut », que l’on trouve notamment chez les poètes romantiques (sur ce point on renvoie au beau livre de Pierre Hadot sur Goethe, N’oublie pas de vivre, Albin Michel, 2008).

Ne croyons pas pourtant qu’on ne trouvera aucune notation clinique dans cet ouvrage et que l’adolescence s’y réduit à un simple paradigme. Le clinicien trouvera un tableau minutieux des pathologies adolescentes et une écoute psychanalytique du corps et de ses symptômes. Le corps adolescent y est interrogé dans ses rapports à l’objet, à l’histoire et à la mémoire, à la production économique, aux lieux, et en tout premier « lieu » à lui-même dans sa logique narcissique. Il faudrait d’abord préciser que ce corps est « post-moderne », car l’adolescent s’inscrit dans une logique marquée par le libéralisme, l’engageant dans un rapport exclusif à la consommation et donc à l’objet. Privé de cet objet pour des raisons socio-économiques, l’adolescent errant est aspiré par des lieux marqués par le vide et les déchets, se situant à la frange des cités post-industrielles, zones portant les stigmates de la désindustrialisation et de l’abandon. Lieux d’oubli, porteurs d’une mémoire niée, et que la psyché à l’abandon de l’adolescent tente d’investir à l’aide de tags, inscriptions sur les murs qui sont comme un début de symbolisation, d’appropriation d’un espace encore non né. Biffures – c’est le titre d’une œuvre autobiographique de Michel Leiris qui montre l’importance de la trace pour la subjectivation – qui sont ici les marques d’une psyché à la recherche d’elle-même. Simples griffures sur les murs qui ne font d’ailleurs pas encore écriture, ni lien social, mais qui permettent d’échapper à l’angoisse du vide tant externe qu’interne.

Comment le clinicien peut-il alors inventer de nouvelles prises en charge de ces adolescents ? S’il ne peut plus être question seulement de l’Œdipe, c’est que l’adolescence est précisément un lieu de passage entre le lieu clos de la famille et l’espace social dans lequel l’adolescent tisse de nouveaux liens à partir d’une trajectoire qui va articuler réel, symbolique et imaginaire. Qu’il rencontre l’adolescent en institution ou sur les lieux de ces non-lieux, le psychanalyste doit être à l’écoute et pouvoir interpréter les productions de ce sujet en errance. Car à travers ses symptômes l’adolescent tente d’articuler un discours qu’il s’agit de faire advenir : histoire individuelle aussi bien qu’histoire collective marquées par le refoulement et l’anesthésie. Cette dernière est d’ailleurs un point essentiel dans la clinique du corps de la grande errance : absence à soi-même et aux souffrances qui ne sont plus ressenties comme celles du corps propre, l’anesthésie est oubli du « souci de soi ». Cet oubli est le symptôme de la désubjectivation qui ronge littéralement corps et psyché indissociables : c’est l’envers du principe de l’epimeleia heautou (latin : cura sui le soin de soi), l’injonction à s’occuper de soi-même, qui est le principe fondateur du sujet dans la philosophie antique, et même un « phénomène culturel d’ensemble propre à la société hellénistique et romaine" (Foucault, 2001). Qu’en est-il de ce cura sui dans nos sociétés post-modernes ?

Quelle place alors pour la souffrance non symbolisée engendrée par les crimes, les génocides et les violences dont ils sont ou ont été les témoins et les victimes ? Dans l’espace déshumanisé de ces « non-lieux de nos modernités » quelle place pour le rêve ? C’est ce que le clinicien doit inventer en dépassant la position compassionnelle - passage obligé - mais aussi la sidération face à la très grande souffrance psychique et somatique. Inventer ou même rêver des lieux capables d’accueillir des adolescents hantés par la mort et l’absence de filiation. Inventer des paroles pour permettre à la vie psychique et pulsionnelle de reprendre.



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Messages

  • Très bon article constat sur la désorientaion adolescente,ne peut on pas aider l’adolescent à mieux se connaître ? en enseignant la psychologie dès la 6eme ? Une belle amorce pour se connaître soi-même.Une recommendation d’un certain Socrate.

    Stephane

  • Juste des précisions :
    l’adolescence est un temps logique et à bien lire Olivier Douville, l’errance n’est certainement pas une catastrophe mais pour certains une invention de destin ; c’est une solution en tant que symptôme. Je dirais même que c’est un rempart contre la jouissance de l’Autre ; l’errance est un exil salutaire là où la solution de la folie ou du délire ne se présentent pas ! Tenter d’assigner à résidence certains sujets en errance révèle le désir de l’Autre du social à normer. Ce qu’Olivier dévoile c’est l’abandon du politique et sa trouvaille, que j’admire, c’est la métaphore du "non-lieu" : ce qui ne fait pas accueil et ce qui n’a pas existé. Ce n’est pas pour rien que certains adolescents choisissent des endroits de désolation ; c’est leur être qu’ils essaient de capturer par les biffures !

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